Les Phares (Baudelaire)
Publié le 07/09/2013
Extrait du document
«Les Phares« désignent les artistes qui ont pour mission de
sauver l'humanité en transmuant leurs souffrances en beauté
dans un acte d'adoration, d'hommage à Dieu. Ainsi, pour
Baudelaire, les artistes sont des intercesseurs entre l'homme
et Dieu, ils suivent en cela l'exemple du Christ. Baudelaire
consacre les huit premières strophes à huit artistes qui ne sont
pas présentés dans un ordre chronologique, puisque successivement
il définit l'art de Rubens, Léonard de Vinci, Rembrandt,
Michel-Ange, Puget, Watteau, Goya et enfin Delacroix.
Le choix de ces six peintres, dont deux ont été également
des graveurs, et de deux sculpteurs, dont l'un, MichelAnge,
a été aussi un grand peintre, montre la prédilection de
Baudelaire pour les arts plastiques. Bien qu'une symétrie soit
perceptible dans l'inversion qui met en regard la cinquième et
la sixième strophes consacrées respectivement à Michel-Ange
et à Puget, on ne peut juger concluantes les tentatives d'expliquer
cette symétrie formelle par une opposition entre les
artistes de l'idéal (Rubens, Rembrandt, Vinci, Michel-Ange)
et ceux du Spleen (Puget, Watteau, Goya, Delacroix). La
pause perceptible entre les deux strophes centrales est une
respiration destinée à éviter la monotonie d'une répétition
systématique du nom de l'artiste lancé comme une invocation
et qui, tout en ayant l'effet d'une litanie, d'une prière, appelle
toutefois une diversité dans l'unité.
«
systématique du nom de l'artiste lancé comme une invocation
et qui, tout en ayant l'effet d'une litanie, d'une prière, ap
pelle toutefois une diversité dans l'unité.
Mais loin d'intro
duire un contraste
en blanc et noir entre les adeptes de
!'Idéal,
d'une part, et les martyrs du Spleen, de l'autre, Bau
delaire réunit, au contraire, tous ces maîtres sous
le signe
d'une réversibilité sublimée: chacun d'eux, à sa manière,
convertit la souffrance de l'existence en
beauté de l'art, cha
cun d'eux s'élève
du Spleen à !'Idéal, chacun d'eux est donc
cité
par l'auteur des Fleurs du Mal comme un précurseur, un
membre de
la communauté spirituelle qui, à travers les âges,
relie ceux qui sacrifient leur vie à l'art et à travers l'art à
Dieu.
Tous sont des intercesseurs et dans les trois dernières
strophes Baudelaire
les confond dans un même chœur dont ils sont, par métonymie, les représentants.
Transmuant la malé
diction
en extase, ces artistes ont une double mission : ils prennent la parole au nom de
l'humanité, mais
leur interces
sion ne se
limite pas à un acte de transmission, elle s'accom
plit en don de soi, en acte de sacrifice.
Transformant en
«pure lumière» la boue de la réalité où ils se débattent, ils
offrent leur vie à Dieu pour sauver non seulement leur propre
âme mais aussi celle des autres hommes.
Dans les deux avant
demières strophes, apparaît une nouvelle et capitale variation
sur
Je thème des «Correspondances» qui était le sujet du
quatrième poème de «Spleen et Idéal» :
" Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes;
C'est pour les cœurs mortels un divin opium!
C'est
un cri répété par mille sentinelles, Un ordre renvoyé par mille porte-voix;
C'est un phare allumé sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois!"
La notion de correspondances, présente dans l' «écho redit
par mille labyrinthes», connaît ici son accomplissement
concret dans le lien que l'artiste apporte à la collectivité
humaine qui,
par la grâce de l'art, transcendant l'espace et le
temps, est sublimée
en communauté mystique..
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