L'Esprit de contradiction

« pagnie.

Jamais on ne voit les deux freres arriver en meme 'temps ou par le meme chemin. Nous void sur la cour, en hiver.

e Si on jouait a la balle au pied, pour se rechauffer? 3.

En &pit d'un froid siberien et de ses doigts gourds, Marius prefere les billes.

En etc, it optera pour la balle, quitte a mijoter dans sa sueur pendant les deux heures de classe qui suivront la recreation. Bon coureur, ses camarades l'ont designe comme 4 avant ».

Non, il sera 4 goal 3>.

Et il tient pour ce mot anglais ampute, depuis que le professeur a invite ses Neves a employer le terme francais : garde-but.

Resultat : l'equipe adverse marque des points a volonte.

On lui a assign& une place en tete du rang : regulierement, il se met en queue.

Le maitre fait reciter des vers.

Marius, soufflant a son voisin, est rappele a l'ordre; son tour arrive, il se tait, encore qu'il sache son texte par eceur. II est maintenant eleve de Premiere.

Tous conviennent que le professeur a su rendre sympathiques la physique et la chimie.

Marius nourrit a leur endroit le plus profond dedain.

« Je ne serai, declare-t-il, ni fabricant de lunettes, ni marchand d'engrais. Mais on eclate sa manie contredisante, c'est au tours de franeais.

Theo- remes de geometrie, formules algebriques, lois immuables des sciences ne s'y pretent guere.

Durant les classes de lettres, it peut divaguer a son aise. Le professeur admire Racine; Marius a decide que c'etait I la barbe II formule certaines reserves au sujet des Romantiques; Marius s'indigne, prend feu : le voila 4 bousingot 2.

et « Jenne France 3 ; pour un peu, il se croirait chef de claque a Hernani.

Point de sophisme ou de paradoxe qu'il n'invente et ne soutienne, pourvu gulls soient en opposition avec la doc- trine enseignee.

Aboutissement fatal : ce terrible contradicteur ne cesse de se contredire lui-meme.

° L'education, l'usage du monde, quelques aventures cruelles a son amour- propre auraient du le guerir.

Tout au plus l'ont-ils calme.

Il n'apporte plus la meme fougue dans ses affirmations ou ses &negations; it y met des formes, use d'euphemismes, de formules de politesse, de precautions ora- -toires.

Mais...

Chassez le naturel, it retient au galop. Ecoutez, dans un salon, cet emule de Cydias.

« II me semble, insinue-t-il, que c'est tout le contraire de ce que vous dites...

» Ou bien : « Malgre la force de vos arguments, je ne saurais partager votre opinion...

3.

Ou encore : Oui, e'a etc jadis ma marotte, mais j'en suis a jamais revenu.

» Tient-on devant lui des propos optimistes? Il affecte le plus noir pessimisme et tire sur l'avenir les plus sombres pronostics.

La revolution, la guerre sont imminentes; la crise actuelle ne peut que s'aggraver...

Il se retient pour ne point annoncer, a breve echeance, la fin du monde.

Son temperament lui interdisait, semble-t-il, toute action politique.

Il s'y est lance tete baissee.

Son intelligence - qui est reelle, -- son habilete jongler avec les idees, ont fait de lui l'elu du suffrage universel.

Quel que soit le gouvernement, il siege dans les rangs de l'opposition.

Il est l'amu- seur de la Chambre.

Ses amis le lancent comme un chien hargneux, pagnie.

Jamais on ne voit les deux frères arriver en même· temps ou par le même chemin.

Nous voici sur la cour, en hiver.

« Si on jouait à la balle au pied, pour se réchauffer?:.

En dépit d'un froid sibérien et de ses doigts gourds, Marius préfère les billes.

En été, il optera pour la balle, quitte à mijoter dans sa sueur pendant les deux heures de classe qui suivront la récréation.

Bon coureur, ses camarades l'ont désigné comme «avant:..

Non, il sera « goal :.

• Et il tient pour ce mot anglais amputé, depuis que le professeur a invité ses élèves à employer le terme français : garde-bJJt.

Résultat : l'équipe adverse marque des points à volonté.

On lui a assigné une place en tête du rang : régulièrement, il se met en queue.

Le maître fait réciter des vers.

Marius, soufflant à son voisin, est rappelé à l'ordre; son tour arrive, il se tait, encore qu'il sache son texte par cœur.

Il est maintenant élève de Première.

Tous conviennent que le professeur a su rendre sympathiques la physique et la chimie.

Marius nourrit à leur endroit le plus profond dédain.

c Je ne serai, déclare-t-il, ni fabricant de lunettes, ni marchand d'engrais.

:.

Mais où éclate sa nianie contredisante; c'est au cours de français.

Théo­ remes de géométrie, formules algébriques, lois immua~les des sciences ne s'y prêtent guère.

Durant les classes de lettres, il peut divaguer à son aise.

Le professeur admire Racine; Marius a décidé que c'était «la barbe :.'.

Il formule certaines réserves au sujet des Romantiques; Marius s'indigne, prend feu : le voilà c bousingot:.

et «Jeune France:.; pour un peu, il se croirait chef de claque à Hernani.

Point de sophisme ou de paradoxe qu'il n'invente et ne soutienne, pourvu qu'ils soient en opposition avec la doc­ trine enseignée.

Aboutissement fatal : ce terrible contradicteur ne cesse de se contredire lui-même.

' L'éducation, l'usage du monde, quelques aventures cruelles à son amour­ propre auraient d'ii le guérir.

Tout au plus l'ont-ils calmé.

Il n'apporte plus la même fougue dans ses affirmations ou ses dénégations; il y met des formes, use d'euphémismes, de formules de politesse, de précautions ora­ ·toires.

Mais ...

Chassez le naturel, il revient au galop.

Ecoutez, ~ans un salon, cet émule de Cydias.

« Il me semble, insinue-t-il, que c'est tout le contraire de ce que vous dites ...

:.

Ou bien : c Malgré la force de vos arguments, je ne saurais partager votre opinion ...

:.

Ou encore : « Oui, ç'a été jadis ma marotte, mais j'en suis à jamais revenu.

:.

Tient-on devant lui des propos optimistes? Il affectè le plus noir pessimisme et tire sur l'avenir les plus sombres pronostics.

La révolution, la guerre sont imminentes; la crise actuelle ne peut que s'aggraver ...

Il se retient pour ne point annoncer, à brève échéance, la fin du monde.

Son tempérament lui interdisait, semble-t-il, toute action politique.

Il s'y est lancé tête baissée.

Son intelligence -qui est réelle, - son habileté à jongler avec les idées, ont fait de lui l'élu du suffrage universel.

Quel que soit le _gouvernement, il siège dans les rangs de l'opposition.

Il est l'amu­ seur de la Chambre.

Ses amis le lancent comme un chien hargneux, à. »