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Lettres Philosophiques Les Quakers (2e Lettre)

Publié le 01/04/2011

Extrait du document

On était déjà assemblé lorsque j'entrai avec mon conducteur. ... Il y avait environ quatre cents hommes dans l'église, et trois cents femmes : Les femmes se cachaient le visage ; les hommes étaient couverts de leurs larges chapeaux ; tous étaient assis, tous dans un profond silence. Je passai au milieu d'eux sans qu'un seul levât les yeux sur moi. Ce silence dura un quart d'heure. Enfin un d'eux se leva, ôta son chapeau, et, après quelques soupirs débita, moitié avec la bouche, moitié avec le nez, un galimatias tiré, à ce qu'il croyait, de l'Évangile, où ni lui ni personne n'entendait rien. Quand ce faiseur de contorsions eut fini son beau monologue, et que l'assemblée se fut séparée tout édifiée et toute stupide, je demandai à mon homme pourquoi les plus sages d'entre eux souffraient de pareilles sottises. « Nous sommes obligés de les tolérer, me dit-il, parce que nous ne pouvons pas savoir si un homme qui se lève pour parler sera inspiré par l'esprit ou par la folie; dans le doute, nous écoutons tout patiemment, nous permettons même aux femmes de parler. Deux ou trois de nos dévotes se trouvent souvent inspirées à la fois, et c'est alors qu'il se fait un beau bruit dans la maison du Seigneur. — Vous n'avez donc point de prêtres? lui dis-je. — Non, mon ami, dit le quaker, et nous nous en trouvons bien. A Dieu ne plaise que nous osions ordonner à quelqu'un de recevoir le Saint Esprit le dimanche à l'exclusion de tous les autres fidèles ! Grâce au ciel, nous sommes les seuls sur la terre qui n'ayons point de prêtres. Voudrais-tu nous ôter une distinction si heureuse? pourquoi abandonnerions-nous notre enfant à des nourrices mercenaires, quand nous avons du lait à lui donner? Ces mercenaires domineraient bientôt dans la maison, et opprimeraient la mère et l'enfant. Dieu a dit : « Vous avez reçu gratis, donnez gratis «. Irons-nous, après cette parole, marchander l'Évangile, vendre l'Esprit saint, et faire d'une assemblée de chrétiens une boutique de marchands ? Nous ne donnons point d'argent à des hommes vêtus de noir pour assister nos pauvres, pour enterrer nos morts, pour prêcher les fidèles; ces saints emplois nous sont trop chers pour nous en décharger sur d'autres.

COMMENTAIRE: Le séjour de Voltaire en Angleterre ne lui a pas seulement révélé un art dramatique nouveau, qu'il a essayé d'adapter, nous l'avons vu, à la scène française en composant Zaïre, il a aussi contribué à former sa pensée philosophique, ou du moins à l'affermir, en lui 5 montrant que, si la France est le pays de l'esclavage, l'Angleterre est au contraire celui de la liberté. Trente sectes religieuses y vivent en paix sans se porter ombrage; le Parlement y équilibre et y contient les pouvoirs de la Royauté; l'impôt y est égal pour tous; les négociants qui font la richesse et la prospérité du pays y sont traités avec considération; les philosophes, renonçant aux vaines spéculations de la métaphysique, se bornent à appliquer la méthode expérimentale; les artistes y sont hardis et les écrivains respectés. Telles sont les observations que Voltaire exprime dans ses Lettres Philosophiques ou Lettres Anglaises parues 15 en 1734.

« b) A ce comique de l'attitude ou du geste s'ajoute le comique de l'évocation, soit de la silhouette campée à largestraits (Enfin un d'eux se leva...), soit du tableau cocasse (il se fait un beau bruit dans la maison du Seigneur). c) Dans la troisième partie apparaît le comique de caractère, quand le quaker explique, sur un ton à la fois surpris,extasié et naïf, que sa secte est la seule à connaître la vérité. d) D'une façon générale, Voltaire répand avec aisance sa verve plaisante, ses périphrases pleines d'irrévérence (cefaiseur de contorsions, des hommes vêtus de noir), ses comparaisons inattendues (nos prêtres sont comparés à desnourrices mercenaires), son ironie tantôt familière (débita - galimatias), tantôt sérieuse (toute stupide), toujoursmoqueuse (tout édifiée - un beau monologue - un beau bruit). II.

— Voltaire pamphlétaire Sous ces apparences, l'auteur exprime des idées plus sérieuses et des préoccupations plus âpres que le ton ironiqueet plaisant ne le laisserait supposer au premier abord.

C'est le procédé de Montesquieu dans les Lettres Persanes;mais ce sera surtout la tactique habituelle de Voltaire.

Exposant sa pensée sous les formes les plus diverses(Lettres, Contes, Dialogues...), il pense que pour répandre ses idées, il doit les présenter sous un vêtement agréableet vivant.

Simplifiant, même aux dépens du vrai problème, les aspects d'une question, il les expose nettement,montre d'un mot ou d'un trait le ridicule de la théorie qu'il combat et, mettant ainsi les rieurs de son côté, s'attacheà les convaincre en les amusant.

Rapide et bref, vivant et clair, au point d'être quelquefois superficiel, parfoiséloquent quand la passion l'enflamme, mais le plus souvent spirituel parce qu'il réprime ses élans, il fait appel auxmille ressources de son esprit pour faire triompher ses idées sans ennuyer, pour attirer, puis retenir l'attention sansjamais la lasser.

Tous ses pamphlets procéderont de cette méthode et ses démonstrations ne seront le plus souventque des pirouettes; mais il saura mettre au service de son intelligence un travail et une persévérance acharnés, quiprodigueront jusqu'à la fin de sa vie les assauts les plus divers pour défendre les mêmes causes, notamment celle dela raison et celle de la liberté. C'est ainsi que dans cette page des Lettres Philosophiques, tout en amusant le lecteur, Voltaire attaque lesquakers, mais encore et surtout le catholicisme et même les religions en général. a) A l'égard des quakers, Voltaire n'est pas trop sévère; il le sera 85 beaucoup plus quand il parlera des Anglicans(Lettre V) et des Presbytériens (Lettre VI) à qui il reprochera leur fanatisme et leurs ambitions séculières.Appréciant chez les quakers leur haine de la guerre et la préférence qu'ils accordent aux problèmes de morale sur lesquestions théologiques, il se contente de se gausser de leurs 90 réunions ridicules. b) Par contre, il est beaucoup plus dur pour le catholicisme; il reproche aux prêtres la place envahissante qu'ilsprennent dans un pays (les mercenaires domineraient bientôt dans la maison...), ainsi que la manière éhontée dontils ont commercialisé leur ministère et fait d'une église une boutique de marchands.

Le mot est cruel, mais par unesuprême habileté, car Voltaire a l'art d'attaquer en se mettant le plus possible à couvert, il le met dans la bouched'un quaker comme pour lui en laisser la responsabilité. c) Enfin, derrière ces attaques, Voltaire vise par contre-coup toutes les religions.

Il montre à quels résultats ellesaboutissent de toute façon puisque, sans prêtres, elles sombrent dans le ridicule et avec prêtres dans l'odieux. On voit la portée des critiques de Voltaire.

Il a su unir à l'ironie des Provinciales de Pascal la violence d'un Philosophehostile à toutes les religions révélées et rompu à tous les stratagèmes de la polémique.

On comprend que la censurese soit émue.

Aussitôt paru, l'ouvrage fut condamné à être brûlé comme dangereux pour la religion et pour l'ordre dela Société civile.. »

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