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L’étude des personnages dans Le meilleur des mondes d'Huxley

Publié le 24/01/2020

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Mondes, Bernard est tout simplement de ces hommes qui ont peur de la vie, du changement, de l’inconnu.

Tout au long du roman, Huxley insiste sur le caractère pusillanime de son personnage central : Bernard s’abaisse devant ses supérieurs; il redoute sans cesse d’être espionné (cf. p. 90); par lâcheté physique, il hésite à intervenir dans la violente bagarre du chapitre 15, au cours de laquelle ses amis sont en danger (et c’est d’ailleurs habituellement sur ces derniers qu’il se venge, par des mesquineries, de ses humiliations et de ses échecs : cf. p. 202, 206). Avec son comportement irrégulier de velléitaire, ses accès de jalousie égoïste, Bernard n’a rien d’un héros positif. Il n’est pas un révolutionnaire. Et sans doute faut-il voir un trait d’humour d’Huxley dans le nom dont il l’a affublé : Marx.

Comme l’écrit Stan Barets1, Bernard a «suffisamment de conscience pour comprendre [...], mais pas assez pour se révolter», encore moins pour prêcher la révolte. Bernard n’intervient pas dans la société par une action contestataire. En revanche, sa simple présence amène la société à réagir — à se démasquer. Il lui suffit d’exister pour enrayer, fût-ce partiellement, la Machine sociale; il lui suffit d’être lui-même pour devenir «un ennemi de la Société, un homme subversif [...] à l’égard de tout Ordre et de toute Stabilité, un conspirateur contre la Civilisation elle-même» (p. 171), ainsi que l’affirme le D.I.C.

Qu’une pareille menace pour le système social soit le fait d’un médiocre, souligne la force de la conscience. Tel est bien le propos d’Aldous Huxley : la conscience, suffit, elle représente à elle seule un danger pour le totalitarisme, même quand elle n’est pas accompagnée, servie par la force de caractère.

Au reste, il conviendrait de ne pas exagérer la faiblesse et la médiocrité de Bernard. Le lendemain de la scène honteuse où il s’est ridiculisé et abaissé devant Mustapha Menier, Bernard se reprend, sans doute grâce au soutien moral d’Helmholtz, et le Sauvage peut

1. In Catalogue des Ames et Cycles de la science-fiction, Éd. Denoël.

Dans un roman comme Le Meilleur des Mondes où l’expression des idées tient une place fondamentale, on peut toujours craindre que les personnages ne soient réduits au rang de simples outils démonstratifs et qu’ils manquent par là de vie, de richesse psychologique et d’intensité littéraire. Or cette crainte n’est pas fondée. Et cela, pour une raison bien simple : dans la mesure même où Huxley veut dénoncer dans son œuvre un univers impersonnel et glacé, il faut que, par contraste, la plupart des acteurs du récit soient dotés d’une personnalité véritable, d’une sensibilité profonde, voire d’une authentique dimension romanesque. Ce sont ainsi les intentions polémiques mêmes de l’auteur qui requièrent des personnages complexes et donnant vraiment l’impression d’exister.

Parmi ces protagonistes, on distinguera :

trois figures contestataires masculines (celles de Bernard Marx, d’Helmholtz Watson et du Sauvage), déterminées chacune par un drame personnel et incarnant chacune un type particulier de remise en cause du Meilleur des Mondes;

deux figures féminines (celles de Lenina et de Linda),

fonctionnelles en ce sens qu’elles permettent une meilleure définition des personnages précédents, mais caractérisées aussi par leurs propres difficultés affectives et leur propre complexité psychologique;

une figure représentative de l’autorité de l’Etat Mondial mais qui n’en est pas moins problématique (celle de Mustapha Menier).

LES FIGURES CONTESTATAIRES

Bernard Marx, ou le drame de l'inadaptation

Personnage clé du roman, on le trouve à l’origine de presque tous les rebondissements de l’action. Dans la structure de l’intrigue, il constitue le trait d’union entre la plupart des autres protagonistes. C’est lui qui découvre le

« Sauvage et l'introduit dans le Monde civilisé, y apportant sans doute le plus grave facteur de perturbation qu'il ait connu depuis longtemps.

Fait significatif, Marx est le seul personnage à ne pas être présenté directement au lecteur qui le connaît d'abord par sa mauvaise réputation : il est l'inadapté désigné comme tel par son entourage, par la société tout entière.

Un objet de honte et de raillerie pour l'opinion publique.

Il est vrai que Marx attire d'abord l'attention par son aspect extérieur : cet Alpha plus n'a ni la taille élevée, ni la beauté des membres de cette caste.

C'est, au sens strict, un «raté» de la reproduction artificielle puisque ses défauts physiques résulteraient d'une erreur de manipulation en laboratoire, quand il n'était encore qu'un fœtus.

«Ün dit que quelqu'un s'est trompé quand il était[ ...

] en flacon, qu'on a cru qu'il était un Gamma, et qu'on a mis de l'alcool dans son pseudo-sang.

Voilà pourquoi il est si rabougri», déclare à Lenina son amie Fanny Crowne (p.

65).

.

Bernard est la preuve vivante d'un échec de l'ectoge­ nèse.

D'un échec du conditionnement aussi -ce qui est beaucoup plus grave.

Un conditionnement réussi aurait dû empêcher ses déficiences corporelles d'avoir des réper­ cussions sur son psychisme.

Mais «il y a des gens qui ne réagissent pas convenablement au conditionnement», re­ connaît Henry Foster, le jeune technicien en ectogenèse apparu au chapitre 1, qui ajoute : «Les pauvres diables! Bernard en est un» (p.

108).

L'inadaptation de Bernard ne s'explique donc pas seulement par une erreur humaine: elle provient aussi d'une résistance, d'une insensibilité du sujet au conditionnement.

Ce phénomène, si l'on en croit Henry, semble se produire de temps à autre.

Bernard n'est pas une exception, comme le prouve d'ailleurs l'existence d'Helmholtz Watson, Alpha plus parfaitement réussi, lui, et qui éprouve pourtant un fort sentiment d'insatisfaction et de malaise.

Ainsi, loin d'oublier sa petitesse et sa laideur, Bernard souffre intensément de ses insuffisances physiques et des manifestations d'hostilité qu'elles suscitent chez des gens habitués «à associer la masse corporelle avec la supériorité sociale» (p.

85).

Par réaction, il tend à se réfugier dans la solitude, le repli sur soi, ce qui augmente encore l'antipa­ thie à son égard.

33. »

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