LIBÉRATION DE PARIS

Vers le deuxième ou le troisième jour de l'insurrection, il y eut quelque chose comme un sursaut des Allemands. Des chars s'aventurèrent jusque dans la rue du Louvre et tirèrent des obus qui éraflèrent les maisons. Pour prévenir leur retour, j'ordonnai que l'on fortifiât l'immeuble de Paris-Soir, c'est-à-dire que l'on coupât par des barricades toutes les rues qui y menaient. Cela électrisa les habitants du quartier. » Ils se jetèrent dans cette occupation avec enthousiasme. Les barricades furent élevées en une heure. Non seulement on avait dépavé les rues, mais chacun avait apporté sa contribution : qui un vieux fauteuil, qui un bahut, qui un matelas. Des vieillards que l'on croyait morts depuis 1930 descendaient de leur sixième. L'un d'eux m'est resté présent à l'esprit : il était maigre; il avait une moustache blanche et une casquette. Son pantalon tirebouchonnait autour de ses vieilles pattes. Il portait une chemise de flanelle et un gilet déboutonné. Il traînait à grand effort son bois de lit, qu'il jeta sur la barricade. Jean DUTOURD, Le demi-solde, Gallimard, 1965.