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L'Influence d'ARISTOTE en France

Publié le 14/11/2018

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ARISTOTE (Influence d'— en France). Aristote, dans la culture française, est partout et nulle part : ses concepts et son vocabulaire (substance, forme, entélé-chie, premier moteur...) se rencontrent en dehors de la spéculation philosophique ou théologique; le dynamisme de sa pensée se saisit mal à travers des abrégés qui simplifient, mutilent et altèrent. L’homme même qui vécut de 384 à 322 avant J.-C. — l’élève de Platon, le précepteur d’Alexandre, le fondateur du Lycée (l'« école péripatéticienne » ainsi désignée parce que le maître enseignait en déambulant) — devient un nom et un emblème : contre l’idéalisme géométrique et poétique de Platon, la révolte d’un réalisme naturaliste et positif qui fait redescendre l’idée sur la terre comme substance (Raphaël fixe l’opposition dans son École d'Athènes au Vatican). Mais Aristote ne se borne pas à ce renversement métaphysique : esprit encyclopédique, il est aussi, pour l’Occident, un logicien, un physicien et un poéticien.

 

De la fin de l’Antiquité jusqu’au XIIe siècle, à travers Cicéron, Boèce, et des compilateurs moins connus, on garde souvenir confus d’un Aristote logicien qui enseigne à bien utiliser les mots, les propositions et les syllogismes pour passer de l’expérience aux idées et aux jugements. Au xiie siècle, grâce aux commentaires du philosophe arabe Averroès, aux traductions des manuscrits grecs et arabes, se constitue un « Aristoteles latinus » presque complet, d’abord condamné par l’Église à plusieurs reprises, puis autorisé au xiiie siècle quand de grands docteurs, comme Albert le Grand et Thomas d’Aquin, parviennent à réaliser la synthèse de l’aristotélisme avec une théologie chrétienne jusque-là plutôt augustinienne, donc platonicienne. La doctrine ainsi réélaborée, adoptée par l’Université de Paris, devient horizon de référence pour toute la chrétienté : elle comprend l'Organon, ou logique, moyen de bien penser; l’Éthique et la Politique, arts d’accomplir le bien sur terre; la Métaphysique, connaissance naturelle de l’Être et de Dieu, qui doit rester subordonnée à la révélation (elle est « ancilla theologiae », servante de la théologie); la Physique et l'Histoire des animaux, descriptions des phénomènes terrestres; le Traité du Ciel, cosmographie géocentrique. Le thomisme retrouve le sens de l’effort aristotélicien vers une intelligibilité du monde qui maintienne l’équilibre entre l’idée et l’expérience, entre la totalité organique de l’univers et la variété des phénomènes concrets; mais, à partir du xive siècle, il dégénère en scolastique, orthodoxie dogmatique, enseignement officiel des écoles par commentaires, résumés, listes et recettes. L’aristotélisme, jusqu’à la fin du xviie siècle, décline lentement, forteresse assiégée réduite aux stériles

 

controverses de l’université; il est sans doute partiellement responsable de la sécheresse formelle et allégorique de la littérature à la fin du Moyen Âge. La Renaissance italienne s’enthousiasme pour Platon (enseigné à Paris, au xvie siècle, par Aléandre, Adrien Turnèbe, Pierre de la Ramée et Orner Talon); Descartes bâtit une métaphysique nouvelle sur la pure intuition de la substance pensante; les découvertes astronomiques, de Copernic à Kepler, les progrès de l’investigation anatomique ruinent la science aristotélicienne. Néanmoins la Poétique, retrouvée, et inlassablement commentée depuis l’édition de Robortello (1548), prend le relais d’une philosophie dont l’audience s’effrite, et constitue un des fondements de la doctrine littéraire classique : définition de l’art comme représentation signifiante de la nature, distinction de l’épopée et de la tragédie, énonciation de règles (limitation de l’œuvre, vraisemblance, unité, nécessité), théorie de l’effet moral (la « katharsis » ou purification des passions, ébauche des concepts modernes de transfert et de sublimation).

 

Les discussions théologiques, et même les débats de poétique théorique (depuis la querelle du Cid jusqu’aux systèmes néo-classiques de l’abbé Batteux et de Mar-montel, en passant par l'Art poétique de Boileau) intéressent moins la littérature que l’image du philosophe : dès le xiiie siècle, le Lai d'Aristote, du trouvère Henri d’An-deli, inspiré d’une nouvelle arabe, montre subjugué le grave moraliste qui prêchait la maîtrise du désir : la belle Phyllis le force à marcher à quatre pattes et le chevauche. En une plaisante inversion, le docteur par excellence — Vauctor qui autorise l’opinion pertinente, le magister (« Aristoteles dixit »), bientôt le policier de la raison — se trouve ridiculisé. Molière, qui aiguise sa verve sur les raisonnements de l’école, avec leurs formes substantielles, leurs entéléchies, leurs « vertus » (comme la vertu dormitive de l’opium), couronne toute une tradition satirique rebelle aux règles (selon la Critique de l'École des femmes [1663], la seule grande règle est de plaire en peignant d’après nature) : l’aristotélicien Pancrace, dans le Mariage forcé (1664), ne veut pas qu’on dise «la forme d’un chapeau » (le mot forme étant réservé aux êtres animés); Sganarelle (Dom Juan, 1665) prise le tabac « quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie »; le maître de philosophie, dans le Bourgeois gentilhomme (1670), assomme le prétendant à la noblesse par son énoncé des trois opérations de l’esprit : « La première est de bien concevoir par le moyen des universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des catégories; et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des figures Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, etc. » (allusion aux recettes mnémotechniques qui permettent de retenir les 19 modes syllogistiques). La Bruyère s’écrie vers la fin du siècle : « On a enfin banni la scolastique ». L'Encyclopédie, avec des accents lyriques, stigmatise l’âge révolu, « gothique », qui enchaînait le goût : « Si Racine et Corneille étaient venus dans ce temps-là, comme on n’aurait trouvé aucun ergo dans leurs tragédies, ils auraient passé pour des ignorants, et par conséquent des hommes de peu d’esprit. Heureux notre siècle de penser autrement! » (article « Aristote »).

 

Le meurtre du « père » philosophique s’achève avec Kant, dont la théorie critique de la connaissance ruine un système fondé sur l’adéquation de l’intellect et de la chose, et avec le romantisme dont l’esthétique de l’expressivité et de la génialité démonétise les règles qui gouvernaient l’imitation raisonnable de la nature. La pire critique contre le philosophe, selon Henri Michaux (Passages), est « qu’il était définitivement Aristote. Avant de mourir, on devient tout os ». Les grands séminaires, avec leur fidélité au thomisme (jusque dans les années 70), furent-ils les derniers refuges de l’aristotélisme?

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« n'attaque plus Aristote, devenu objet d'érudition et d'édition savante; sa pensée, diluée et diffusée, s'est incorporée à la tradition nationale : Montesquieu se réfère à la Politique, Buffon à 1 'Histoire des animaux; ce qu'on appelle de confiance le cartésianisme français - mode d'exposition clair et logique, division par diffé­ rence spécifique et genre prochain -pourrait aussi bien se nommer aristotélisme.

Au xxe siècle, Jacques Maritain (1882-1973) développe un néo-thomisme qui influence les écrivains catholiques de sa génération (Sa in t Thomas, 1921; Religion et culture, 1930; Christianisme et démo­ cratie, 1948 ...

); après l'impérialisme de la critique histo­ rique, Paul Valéry illustre le retour à la« poétique », aux lois qui régissent le texte; le structuralisme, soucieux des codes, des contraintes et des règles du message littéraire, retrouve une analyse des modes d'expression, des gen­ res, du dynamisme interne de l'œuvre, des effets, qui rappelle 1' abord aristotélicien de la Poétique (la notion de structure, d'ailleurs, n'est pas sans parenté avec le concept de forme ordonnant la matière).

Ainsi l'exemple d'Aristote anime une nostalgie qui travaille le savoir occidental : classer, dénombrer, comprendre les lois constitutives du ré�l, sans perdre le sens de la continuité harmonieuse de l'Etre.

[Voir aussi CLASSICISME.

CRITIQUE LITTÉRAIRE, POÉT IQUE) .

BIBLIOGRAPHIE Édi tions.

-Les œuvres d'Aristote sont éditées aux Belles Let­ tres et chez Vrin.

On consultera chez d'autres éditeurs : Morale et politique, P.U.F., 1965; Physique et métaphysique, P.U.F., 1966 (textes choisis); Poétique, éd.

R.

Dupont-Roc et J.

Lallot, Seuil, 1980.

Études.- Sur Aristote et sa pensée : P.

Aub en que , le Problème de L'être chez Aristote ( ...

), P.U.F., 1966; J.

Moreau, Aristote et son école, P.U.F., 1962; L.

Robin, Aristote, P.U.F., 1944.

Sur l'influence d'Aristote : Actes du Congrès de Lyon, 8-13 septembre 1958, de l'Association Guillaume B udé , Les Belles Lettres, 1960, p.

41-204, , portant sur Aristote dans la tradition occidentale et orientale; Platon et Aristote à la Renaissance, XVI• Congrès international de Tours , Vrin, 1976; F.

van Steenberghen, Aristote en Occident.

Les Origines de l'aristotélisme parisien, Éd.

Universitaires, 1947.

Sur l'influence de la Poétique, on consultera: R.

Bray, la Formation de la doctrine classique en France, Nizet, 1963, et Critique et création littéraire en France au xvu' siècle, C.N.R.S., 1977.

Pour mesurer la présence d'Aristote dans la critique littéraire moderne.

on consultera les revues Communications (Seuil, à partir de 1962), Poétique (Seuil, à partir de 1970), et l'ouvrage de G.

Genette, Introduction.

à L'architexte, Seuil, 1979 (sur les genres, les formes et les modes littéraires).. »

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