L'oeuvre littéraire n'est-elle que texte ?
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
dans le premier tercet que nous avons déjà cité.
Autre rythme donné que ne peut cette fois qu'être aperçu qu'àune lecture très attentive, l'ordre des réseaux de métaphores car celles-ci se répartissent en trois colonnes :métaphore maritime dans une première, architecturale dans une seconde, métaphore du charme dans la troisième.Les trois colonnes se décalent sensiblement dans les tercets : au vers 2 « Et le monde et la Chair, et l'Angerévolté », répond le vers 11 : « Cet ange révolté, cette Chair et ce monde ».
Nous voyons donc là à quel pointnotre lecture est dépendante des structures du texte : son cours y est inscrit en filigrane.
Cette remarque, ici fruitd'une observation minutieuse, est aussi justifiée par l'agencement d'ensemble présent dans les différents genres.Qu'on pense ainsi à l'unité d'action dans la doctrine classique : n'est-ce pas une incitation à ne lire les récitsenchâssés de la Princesse de Clèves que dans leur rapport à l'évolution de l'héroïne ? Le meilleur exemple de ce « sens de l'écriture » est sans doute l'organisation dramatique classique : dans l'archétype d'une pièce tragique,nous savons que la situation initiale perturbée atteindra un point de crise extrême avant de cheminer vers sondénouement, éventuellement sous forme de catastrophe, d'après le sens qu'on ajoute à ce terme aristotélicien auXVIIème siècle.
Notre lecture est également guidée par des éléments externes ou internes au texte, indications claires surl'attitude à adopter.
Les conseils exprimés en dehors de l'ouvrage sont souvent le produit d'une défense de l'auteurface à de mauvaises lectures, l'anticipation de celles-ci, ou une manière de confirmer ce qui est mis en cause souscouvert de le nier.
C'est par exemple le cas des « réflexions sur les lettres persanes » de Montesquieu.
Accuséd'athéisme suite aux remarques des narrateurs persans sur la religion, il se défend en invoquant un regardnécessairement naïf de l'étranger, qui s'étonne plus qu'il ne condamne : « Il y a quelques traits que bien des gensont trouvé trop hardis.
Mais ils sont priés de faire attention à la nature de cet ouvrage.
Les persans, qui devaient yjouer un si grand rôle, se trouvaient tout à coup transplantés en Europe, c'est-à-dire dans un autre univers.
Leurspremières pensées devaient être singulières » et plus loin : « ces traits se trouvent liés avec le sentiment desurprise et d'étonnement, et point avec l'idée d'examen, et encore moins avec celle de critique ».
Il s'agit donc apriori de ne considérer la narration persane que sous l'angle de l'ingénuité : cette lecture est il est vrai possibledans certains passages, comme la description du capucin dans la lettres 49 : « je vis entrer un dervisextraordinairement habillé.
(…) Le tout me parut si bizarre que ma première idée fut d'envoyer chercher un peintrepour en faire une fantaisie.
».
Mais nous comprenons qu'elle est insuffisant devant une telle phrase : « n'est pashérétique qui veut », dont l'insinuation est mordante, ou celle-ci : « j'ai ouï dire qu'en Espagne et au Portugal, il y ade certains dervis qui n'entendent pas raillerie et font brûler un homme comme de la paille ».
Nous voyons là queMontesquieu joue la carte de la mauvaise lecture pour confondre ceux qui n'ont que trop bien lu.
A l'intérieur de l'oeuvre se trouvent aussi des adresses au lecteur, qui ne prennent pas toujours la formed'un incipit ou d'un prologue et peuvent n'être que des phrases ici ou là, comme chez le cardinal de Retz quientretient sa compagnie avec des commentaires à valeur explicative : « vous me faites bien la justice d'êtrepersuadée que je n'en eus pas la pensée ».
Nous devons comprendre par cet aparté destiné à la destinataire, doncà nous, que la tentative de rejoindre la cour se sera ensuite qu'une comédie.
Ces marques participent de ce quel'on peut appeler la présence de l'auteur dans l'oeuvre, en quelque sorte le préalable de l'intention d'auteur, elleaussi prise en charge de notre lecture.
Cette présence de l'auteur dont Julien Gracq se fait l'écho dans En lisant en écrivant , au chapitre Lecture se communique par une tonalité que nous ressentons, et qui hante notre lecture : « la lecture d'un ouvrage n'est pas seulement, d'un esprit dans un autre esprit, le transvasement d'un complexeorganisé d'idées et d'images (…) c'est aussi, tout au long d'une visite intégralement réglée, à l'itinéraire de laquelleil n'est nul moyen de changer une virgule : le concepteur et le constructeur, devenu le propriétaire, qui vous fait dudébut à la fin les honneurs de son domaine, et de la compagnie duquel il n'est pas question de se libérer.
» JulienGracq parle ensuite de Victor Hugo, de Malraux, Stendhal et Nerval, mais nous pouvons ici parler du cardinal deRetz.
Ce qui nous accompagne au long des Mémoires, c'est le ton inauguré par l'incipit « sous forme deconversation galante » (Marc Fumarolli) et qui nous installe dans un rapport d'intime convivialité : l'auteurabandonnera ici toute solennité pour conserver la légèreté d'une confidence.
Parler des directions données àla lecture sans pour autant évoquer la finalité de cet agencement n'aurait cependant que peu de sens, c'estpourquoi nous allons maintenant nous intéresser aux représentations que suscitent ces agencements chez lelecteur, corrélat de l'intention d'auteur.
***
Les lignes qui précédent tiennent ainsi compte des effets qui influent sur notre lecture, mais ne semblent pas opérer de liaison entre ce que ces contraintes ont de formel et leur action sur nos représentations.
Commentpourtant évoquer une direction de lecture s'il ne s'agit de celle à laquelle veut nous convier l'auteur ? Nous devonsdonc repenser cette union de la cause et de l'effet en littérature, sous peine de réduire le texte à une succession.
»
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