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MA SOEUR LA PLUIE... par Ch. Van Lerberghe

Publié le 03/03/2011

Extrait du document

C'est dans cette Chanson d'Eve que l'on peut lire la pièce que nous nous proposons d'analyser, et dont voici le texte : Ma sœur la Pluie

La belle et tiède pluie d'été,

Doucement vole, doucement fuit,

A travers les airs mouillés. Tout son collier de blanches perles

Dans le ciel bleu s'est délié.

Chantez les merles,

Dansez les pies !

Parmi les branches quelle plie,

Dansez les fleurs, chantez les nids ;

Tout ce qui vient du ciel est béni. De ma bouche, elle approche

Ses lèvres humides des fraises des bois ;

Rit, et me touche, Partout à la fois,

De ses milliers de petits doigts.

Sur des tapis de fleurs sonores,

De l'aurore jusqu'au soir,

Et du soir jusquà l'aurore,

Elle pleut et pleut encore,

Autant quelle peut pleuvoir. Puis, vient le soleil qui essuie,

De ses cheveux d'or,

Les pieds de la Pluie. (La Chanson d'Eve, Mercure de France, édit. 1904).   

Tous les poètes qui, selon l'expression de Th. Gautier, « voient le monde extérieur «, ont chanté la pluie, — tantôt la pluie bienfaisante du printemps, tantôt la pluie qui fait tomber les feuilles à l'automne. Sans remonter trop haut, on peut signaler une charmante pièce de Th. de Viau, où le poète signale surtout les heureux effets de la pluie, — des descriptions assez lourdes de Saint-Lambert (les Saisons), de Roucher (les Mois), et de presque tous les didactiques de l'époque pseudo-classique, au premier rang desquels il faut placer Delille (les Jardins).   

« didactiques de l'époque pseudo-classique, au premier rang desquels il faut placer Delille (les Jardins). Les Romantiques et les Parnassiens n'ont pas manqué de traiter ce thème, Victor Hugo, dans les Odes et Ballades,reste aussi objectif que les classiques, et note les aspects pittoresques et riants de la nature rafraîchie : La pluie a versé ses ondées ;Le ciel reprend son bleu changeant,Les terres luisent fécondéesComme sous un réseau d'argent... Sully-Prudhomme est pénétré, au contraire, par la mélancolie qui se dégage d'un jour de pluie : Le deuil de l'air afflige les oiseauxLa bourbe monte et trouble la fontaine...Tout l'horizon n'est qu'un blême rideau...L'homme s'ennuie : oh ! que la pluie est triste ! Les poètes ne sont pas les seuls à chanter la pluie.

On peut lire dans le Nabab, d'A.

Daudet, d'admirables pagesdont le style a un rythme marqué par ce refrain : Il pleut...

il pleut...

Et ce rythme finit par donner une obsessionpénible, comme celle d'une implacable et inlassable averse. Ces quelques exemples, — auxquels on pouvait en ajouter bien d'autres (en particulier dans la littérature anglaise),— nous prouvent qu'il y a là un thème très banal, et c'était, pour Van Lerberghe, une véritable gageure que de letraiter avec originalité. II Répétons d'abord que ces vers sont tirés de la Chanson d'Eve, et que c'est Eve elle-même, la première femme, néedans le Paradis terrestre, et y séjournant encore, qui nous parle...

Nous aurons donc ici les impressions naïves, —physiques, mais transformées par une imagination toute primitive, — d'un être qui perçoit des sensations inconnues.Pour Eve, la pluie est quelque chose de vivant, d'aussi vivant que les animaux qui l'entourent et que les fleurs qu'ellecueille, d'aussi vivant qu'elle-même : « Ma sœur la pluie...

» Et il ne s'agit pas ici d'une pluie sombre et mélancolique, tombant d'un ciel noir, endeuillant toute la nature, noyantles formes, éteignant les couleurs.

Nous sommes dans l'Eden.

Tout y est riant et béni.

Cette pluie est belle etdouce.

A travers ses gouttes lourdes et espacées comme les perles d'un collier qui s'est délié, on aperçoit encore leciel bleu.

Cette pluie doucement vole et doucement fuit.

Cette pluie fait danser les fleurs et chanter les nids.

Elleverse à toute la nature comme à Eve une sorte d'ivresse. Mais cette partie de la description, si gracieuse et si coquette qu'elle soit, ne nous paraît pas la plus originale.

Sansdoute, c'est bien le ton d'un être primitif, qui prend une part directe à la vie d'un phénomène naturel, à la foisfamilier et mystérieux ; mais, dans ces vers 1 à 11, le ton reste objectif. Au vers 12, cette pluie qui n'a été perçue jusque là que par les yeux et par les oreilles, prend une forme réelle,quoique invisible.

Eve, sentant le contact de la pluie sur ses lèvres et sur son corps, croit à la présence et autoucher d'un être organisé comme elle : de ma bouche elle approche ses lèvres...

et me touche partout à la fois deses milliers de petits doigts.

Ne dirait-on pas un enfant qui, face à l'averse, ouvre sa bouche à la fraîcheur del'ondée, et peut s'imaginer que des lèvres humides touchent ses lèvres, et que des doigts mutins lui chatouillent lefront et les joues ? Aux caresses de la pluie se mêlent les parfums qui, par l'humidité, se dégagent, avec plusd'intensité, des fruits de la terre.

Eve attribue aux lèvres de la pluie ce goût de fraises qu'elle perçoit par l'odorat. Du v.

17 au v.

21, nous revenons au ton descriptif.

Sauf l'épithète de sonores donnée très heureusement aux fleurssur lesquelles tombe la pluie, ces cinq vers ne contiennent rien, selon nous, qui complète ou qui enrichisse les vers 1à 11. Observons même qu'en disant que la pluie tombe de l'aurore jusqu'au soir et du soir jusqu'à l'aurore, le poète fausseun peu l'impression de clarté joyeuse donnée par les premiers vers.

Le moyen de croire à ces fleurs qui dansent et àces oiseaux qui chantent, si la pluie ne cesse pas et si elle pleut autant qu'elle peut pleuvoir pendant vingt-quatreheures ? Les trois derniers vers nous ramènent heureusement à l'enchantement des premiers, et répondent à l'image réelle dela pluie qui s'était levée pour nous aux vers 12-16.

Nous sommes de nouveau en pleine féerie.

Le soleil est lui aussi,pour Eve, un être mystérieux; ses rayons sont des cheveux d'or.

Son action n'est point passive ; elle s'accomplitpar un geste : il essuie...

Quant à l'expression : les pieds de lu Pluie, elle est des plus heureuses.

La pluie, en effet,est tombée du ciel (cf.

v.

11) ; quand elle cesse, le sol sur lequel elle était descendue, sur lequel elle avait enquelque sorte marché, reste trempé.

En séchant la terre et les fleurs, il semble donc que le soleil exerce sacaressante chaleur sur les pieds même de la mystérieuse sœur d'Eve. III. »

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