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MALLARMÉ Étienne, dit Stéphane : sa vie et son oeuvre

Publié le 26/11/2018

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MALLARMÉ Étienne, dit Stéphane (1842-1898). L'œuvre de Mallarmé représente l’apogée d’une certaine évolution des principes et des formes littéraires du xixc siècle : celle qui, commençant en plein romantisme avec le Hugo des années 1830, continue avec la tendance surnaturaliste et l’imagination chez Baudelaire, pour aboutir à la rupture mallarméenne entre l’existence littéraire et le social, entre l’écriture poétique et le monde référentiel. Cette rupture est vécue existentiellement d’abord, métaphysiquement par la suite, résolue enfin dans l’élaboration lente d’une esthétique selon laquelle l'œuvre poétique constitue la forme suprême du sens du monde. En cette fin du siècle, Mallarmé est le seul à avoir formulé en clair une telle sacralisation de la littérature et à en avoir tiré les conséquences pour la poésie, quitte à risquer la mort de celle-ci, tant par le caractère hermétique de ses propres poèmes que par la postulation radicale impliquée dans les idées esthétiques sous-

 

jacentes. Sa visée poétique pouvait avoir, aux yeux des contemporains, quelque chose d’obscur et d’abstrait (lui-même était d’une « aristocratique réserve », notait Charles Morice). Mais l'idée que « tout, au monde, existe pour aboutir à un livre » nous rappelle simplement que le sens du monde passe par l’interprétation artistique : « Quel génie pour être un poète! quel foudre d’instinct renfermer, simplement la vie, vierge, en sa synthèse et loin illuminant tout! » D'avoir vu ce principe clairement, c’est là le secret de Mallarmé.

 

L'existence littéraire

 

« L’existence littéraire (...) a-t-elle lieu, avec le monde; que comme inconvénient », se demande Mallarmé parvenu au sommet de la gloire... littéraire. La question révèle l’hésitation du poète devant les faits sociaux, son « manquement social ». On peut, dans le cas de Mallarmé, parler d’une véritable existence littéraire, celle-ci étant la seule digne d’être retenue. « Pour moi, précise-t-il, le cas d’un poète, en cette société qui ne lui permet pas de vivre, c’est le cas d'un homme qui s’isole pour sculpter son propre tombeau ». Dès lors, la création poétique devient un acte exclusif, et « qui l’accomplit, intégralement, se retranche ». Dans son existence, Mallarmé, professeur d’anglais dans les lycées, a des raisons concrètes pour exempter sa vocation littéraire de devoirs sociaux accablants; il peut prétendre vivre « antérieurement selon un pacte avec la Beauté ». Or, cette attitude, comme il sera démontré par la suite, provoque une rupture plus radicale encore entre le monde et la littérature, littérature dont Mallarmé peut dire qu’elle existe seule, « à l’exception de tout ».

 

Cela dit, il faut retenir de la vie de Mallarmé certains faits non négligeables pour son travail d’écrivain. A son « gagne-pain », aux cours d’anglais, il ne réserve que deux lignes dans son « Autobiographie » envoyée à Verlaine en 1885; «le misérable collège» qui dévore son temps de 1863 à 1893 ne lui cause que des ennuis, d’autant plus qu’il n’est pas bon pédagogue, qu’il arrive à ses inspecteurs de se demander « si l’on n’est pas en présence d’un malade », et que ce gagne-pain ne lui assure qu’un niveau de vie fort médiocre.

 

Mallarmé, ayant perdu sa mère dès l’âge de cinq ans, en 1847, a encore la douleur de voir mourir sa sœur en 1857. Son père, simple fonctionnaire de l’État, meurt en 1863, et Mallarmé se marie quatre mois après, l’année même où il passe le certificat d’aptitude à l’enseignement de l’anglais et obtient un poste à Tournon. Ensuite, c’est le lycée de Besançon, celui d’Avignon, et enfin Paris, après la Commune, en 1871. Si la vie de province, d’après la correspondance de Mallarmé, semble être une longue épreuve, elle lui donne pourtant l’occasion de lier amitié avec des poètes tels que Théodore Aubanel et Frédéric Mistral et d’échanger une longue série de lettres avec d’anciens amis tels que Cazalis et Lefébure, lettres confidentielles et très révélatrices en ce qui concerne l’évolution du poète, qui traverse justement, à Tournon et à Besançon, une longue crise d’abord métaphysique, ensuite poétique. C’est au cours des années 1860 que Mallarmé commence à publier ses poèmes, dans le Parnasse contemporain, où paraissent « les Fenêtres », «Soupir», «l’Azur» et d’autres, qui lui assurent une première notoriété de poète. D’autres sont commencés, tels qu’Hérodiade et le Faune, alors que le fragment en prose d’Igitur nous révèle le drame métaphysique du hasard et de l’absolu qui devait jouer un rôle déterminant pour l’œuvre à venir.

 

Les années 1870 sont marquées par la publication de quelques ouvrages qui semblent annoncer un Mallarmé moins épris d’absolu poétique. Ixi Dernière Mode, huit livraisons d’une revue mondaine qu’il rédige pratiquement seul (1874), est une première — et dernière — tentative pour entrer en contact avec le public, au demeurant fort restreint, puisqu’il s’agissait de la classe privilégiée de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie. Les Mots anglais (1877), « petite philologie à l’usage des Classes et du Monde », sont composés dans un dessein utilitaire, mais témoignent de l’intérêt du professeur d’anglais pour le rapport poétique entre la forme et le sens des mots. Beaucoup d’écrivains ont réfléchi sur ce rapport, tous s’efforçant de le fonder sur l’idée d’une correspondance nécessaire entre la forme et le fond. De cette série de réflexions, Mallarmé tirera profit, sans doute, pour ses traductions des Poèmes d'Edgar Poe, dont quelques-uns paraissent en 1872 et 1877 avant d’être réunis en volume en 1888. En tout cas, le travail du traducteur et du philologue (Mallarmé projette, en 1869, d’écrire une thèse sur la langue) annonce celui du théoricien d’esthétique qui domine les années 1880 et 1890,

 

où — tant par écrit qu’oralement, à ses fameux « mardis » qui rassembleront nombre des poètes contemporains dans le petit appartement des Mallarmé, 89, rue de Rome — le poète, devenu le « maître » des symbolistes, communiquera à ceux-ci sa conception de la poésie. L’exclusivité qui imprègne la Dernière Mode, les Poèmes d'Edgar Poe ainsi que l'Après-midi d'un faune (1876), tiré à très peu d’exemplaires, et que Manet a illustré, témoigne d’un effort pour distinguer l’œuvre esthétique de « l’emploi élémentaire du discours », lequel cherche simplement à assurer les échanges de pensée. Rehaussant ainsi l’existence littéraire proprement dite, seule capable de « produire sur beaucoup un mouvement qui te donne en retour l’émoi que tu en fus le principe », Mallarmé répudie le journalisme « avec l’immunité du résultat nul ». Pourtant, point n’est besoin de le juger avec la véhémence d’un Sartre (dans « F Engagement de Mallarmé », essai non terminé publié par la revue Obliques), qui accuse les poètes de se faire « une fois de plus les agents de la contre-révolution précieuse » et d’établir « un ordre de l’incommunicable ». Il est vrai que Mallarmé a proféré, dans un essai de jeunesse, P Art pour tous, que la poésie est l’apanage des poètes seuls; mais son projet principal, le « Livre », s’il avait été mené à son terme, aurait donné du monde une interprétation systématique, dont la lecture n’aurait pas été réservée aux seuls initiés, mais à tous, afin d’éviter l’éparpillement du sens du monde moderne (cf. Julia Kristeva).

 

L’existence de Mallarmé, littéraire, donc, du fait d’être dominée par ces réflexions et travaux, fut brisée subitement en 1898, quand il fut terrassé par une laryngite dans sa maison de Valvins. Cette maison était d’ailleurs comme la réalisation du rêve de ce grand amoureux de la nature, bucolique lui-même comme le faune, aimant autant qu’il aime sa femme et sa fille, cette Méry Laurent qui est à l’arrière-plan de bien des poèmes de Mallarmé sur la femme. Ce Sisyphe, il ne faut pas l’imaginer malheureux.

 

Principes d'une écriture nouvelle

 

« La littérature existe seule », déclare Mallarmé. Cet idéalisme, il le professe au nom de ses contemporains symbolistes tout en exprimant, dans l’essai Crise de vers, son implication esthétique fondamentale : « Un Idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonates) refuse les matériaux naturels et, comme brutale, une pensée exacte les ordonnant; pour ne garder de rien que la suggestion. Instituer une relation entre les images exacte, et que s’en détache un tiers aspect fusible et clair présenté à la divination. » C’est par le sens multiple des mots, en particulier des mots-images suggérant l’idée des choses absentes, que le poète opère cette transposition si importante pour la pratique poétique de Mallarmé. Or, cette opération n’est pas seulement d’ordre esthétique — elle est aussi un devoir existentiel de l’homme : « La divine transposition, pour l’accomplissement de quoi existe l’homme, va du fait à l’idéal. »

 

On conçoit que Mallarmé devait s’éloigner du naturalisme, pourtant contemporain de cette théorie symboliste où l’emporte l’image suggestive au dépens de la description. Il avait pour Zola « une grande admiration », mais voyait plutôt dans les romans naturalistes, en même temps qu’un mouvement pour se rapprocher de l’histoire, un éloignement de la littérature qui, elle, « a quelque chose de plus intellectuel que cela ». Ne conserver des choses que l’idée était pour Mallarmé une nécessité évidente : « Les choses existent, nous n’avons pas à les créer »; bien plus, « la Nature a lieu, on n’y ajoutera pas [...] ». Alors pourquoi la poésie? Il reste à rendre l’impression (au sens des impressionnistes : Manet et Berthe Morisot étaient parmi les amis proches de Mallarmé) et à saisir les rapports entre les choses. Mallarmé avait trouvé ces principes dès 1864-1865 en travaillant à Hérodiade (voir plus loin); il voulait en effet « peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit » et faire de son héroïne « un être purement rêvé et absolument indépendant de l’histoire ».

 

En séparant ainsi radicalement le sens obtenu par le langage poétique et la réalité référentielle, le poète peut concentrer son travail sur la structure immanente au texte poétique. La cohérence interne de l’« œuvre pure » permet au poète de disparaître et de céder l’initiative aux mots, qui, désormais, « s’allument de reflets réciproques ». A un niveau plus élevé on obtient par là un résultat esthétiquement et existentiellement important : « Une ordonnance du livre de vers poind innée ou partout, élimine le hasard. » Cet instant consacre la fiction, dont la beauté est un trait constitutif, le royaume absolu de la poésie qui subsume celui de la réalité. Exclusivité? Sans doute, mais Mallarmé incluait dans ses principes poétiques tout un projet de communication qui, par ailleurs, ne concernait pas seulement la poésie, mais aussi le drame et le ballet. Comme le livre, le ballet est un drame visible et lisible et, face à la scène du théâtre ou à un orchestre, comme face aux pages d’un livre, l’individu interpellé par quelque chose d’extérieur à lui, comme on peut l’être par une « scène » de nature, est maintenu en haleine dans un effort pour comprendre. « Loin de tout, la Nature, en automne, prépare son théâtre », mais le texte, de son côté, peut apparaître également comme un théâtre : « Quelle représentation! le monde y tient; un livre, dans notre main, s’il énonce quelque idée auguste, supplée à tous les théâtres, non par l’oubli qu’il en cause mais les rappelant impérieusement, au contraire ». Bien plus que l’existence immédiate, déterminée par le hasard, c’est le Livre qui ouvre vers le monde, comme, inversement, le poète a le « devoir de tout recréer, avec des réminiscences, pour avérer qu’on est bien là où l’on doit être ». L’esthétique mallarméenne répond, finalement, à un besoin existentiel et social, ce que Mallarmé a exprimé lui-même dans une interview célèbre : « De cette organisation sociale inachevée, qui explique en même temps l’inquiétude des esprits, naît l’inexpliqué besoin d’individualité dont les manifestations littéraires présentes sont le reflet direct. »

Mallarmé nous invite ainsi à lire ses poésies à la lumière de sa théorie esthétique. La « poésie pure et subjective » qui refléterait « la sérénité et le calme de lignes nécessaires à la Beauté », il la rêva du début à la fin de sa carrière — notamment à propos du « mystère » d’Hérodiade, qui concentre presque toutes les images exploitées dans les autres poèmes. Aller du fait à l’idéal, du concret à la notion pure, c'est accepter, au niveau de l’écriture, l’isolement du poète, de ce « solitaire ébloui de sa foi » (sonnet « Quand l’ombre menaça... »).

 

Condition de la poésie

 

« La poésie consistant à créer, il faut prendre dans l’âme humaine des états, des lueurs d’une pureté si absolue que, bien chantés et bien mis en lumière, cela constitue en effet les joyaux de l’homme : là, il y a symbole, il y a création, et le mot poésie a ici son sens : c’est, en somme, la seule création humaine possible ». Nul doute que le poète était conscient d'écrire à contre-courant, et la structure sociale de son temps, encore moins cohérente que ne l’est la nôtre, s’opposait en fait à son idée de contribuer à une nouvelle religion, à « l’amplification à mille joies de l’instinct de ciel en chacun ». Exclu de la communauté en tant que poète et considéré, en tant que poète symboliste, comme décadent par rapport aux grands courants « réalistes » de la littérature. Mallarmé parle de son époque comme d'un « temps où le devoir qui lie l'action multiple des hommes existe mais à ton exclusion ». On a donc pu parler d'un échec à propos de Mallarmé. Si échec il y avait, c’était celui de la société; l’époque était « trop en désuétude et en effervescence préparatoire pour que [le poète] ait autre chose à faire qu’à travailler avec mystère en vue de plus tard [...] ». Ce travail devait être le « Livre », longuement rêvé, finalement abandonné, fragmentaire comme le monde même auquel il aurait dû s’adresser. Il nous reste donc une œuvre éparpillée, des poésies rassemblées en volumes ne présentant aucune structure d'ensemble et des morceaux de prose dont le titre, « Divagations », révèle la futilité aux yeux de celui qui se voulait un Orphée moderne.

« de Mallarmé, parler d'une véritable existence littéraire, celle-ci étant la seule digne d'être retenue.

« Pour moi, précise-t-il, le cas d'un poète, en cette société qui ne lui permet pas de vivre, c'est le cas d'un homme qui s'isole pour sculpter son propre tombeau>>.

Dès lors, la création poétique devient un acte exclusif, et «qui l'accomplit, intégralement, se retranche >>.

Dans son existence, Mal­ larmé, professeur d'anglais dans les lycées, a des raisons concrètes pour exempter sa vocation littéraire de devoirs sociaux accablants; il peut prétendre vivre «antérieure­ ment selon un pacte avec la Beauté».

Or, cette attitude, comme il sera démontré par la suite, provoque une rup­ ture plus radicale encore entre le monde et la littérature, littérature dont Mallarmé peut dire qu'elle existe seule, «à l'exception de tout >>.

Cela dit, il faut retenir de la vie de Mallarmé certains faits non négligeables pour son travail d'écrivain.

A son «gagne-pain>> , aux cours d'anglais, il ne réserve que deux lignes dans son « Autobiographie >> envoyée à Verlaine en 1885; «le misérable collège>> qui dévore son temps de 1863 à 1893 ne lui cause que des ennuis, d'autant plus qu'il n'est pas bon pédagogue, qu'il arrive à ses inspecteurs de se demander « si 1 'on n'est pas en présence d'un malade >>, et que ce gagne-pain ne lui assure qu'un niveau de vie fort médiocre.

Mallarmé, ayant perdu sa mère dès l'âge de cinq ans, en 1847, a encore la douleur de voir mourir sa sœur en 1857.

Son père, simple fonctionnaire de l'État, meurt en 1863, et Mallarmé se marie quatre mois après, l'année même où il passe le certificat d'aptitude à l'enseigne­ ment de l'anglais et obtient un poste à Tournon.

Ensuite, c'est le lycée de Besançon, celui d'Avignon, et enfin Paris, après la Commune, en 1871.

Si la vie de province, d'après la correspondance de Mallarmé, semble être une longue épreuve, elle lui donne pourtant 1 'occasion de lier amitié avec des poètes tels que Théodore Aubanel et Frédéric Mistral et d'échanger une longue série de lettres avec d'anciens amis tels que Cazalis et Lefébure, lettres confidentielles et très révélatrices en ce qui concerne l'évolution du poète, qui traverse justement, à Tournon et à Besançon, une longue crise d'abord métaphysique, ensuite poétique.

C'est au cours des années 1860 que Mallarmé commence à publier ses poèmes, dans le Par­ nasse contemporain, où paraissent >, «Soupir >>, « l'Azur» et d'autres, qui lui assurent une première notoriété de poète.

D'autres sont commencés, tels qu'Hérodiade et le Faune, alors que le fragment en prose d' lgitur nous révèle le drame métaphysique du hasard et de l'absolu qui devait jouer un rôle déterminant pour l'œuvre à venir.

Les années 1870 sont marquées par la publication de quelques ouvrages qui semblent annoncer un Mallarmé moins épris d'absolu poétique.

La Dernière Mode, huit livraisons d'une revue mondaine qu'il rédige pratique­ ment seul (1874), est une première -et dernière - tentative pour entrer en contact avec le public, au demeu­ rant fort restreint.

puisqu'il s'agissait de la classe privilé­ giée de 1' aristocratie ou de la haute bourgeoisie.

Les Mots anglais (1877), « petite philologie à 1 'usage des Classes et du Monde>> , sont composés dans un dessein utilitaire, mais témoignent de l'intérêt du professeur d'anglais pour le rapport poétique entre la forme et le sens des mots.

Beaucoup d'écrivains ont réfléchi sur ce rapport, tous s'efforçant de le fonder sur l'idée d'une correspondance nécessaire entre la forme et le fond.

De cette série de réflexions, Mallarmé tirera profit, sans doute, pour ses traductions des Poèmes d'Edgar Poe, dont quelques-uns paraissent en 1872 et 1877 avant d'ê­ tre réunis en volume en 1888.

En tout cas, le travail du traducteur et du philologue (Mallarmé projette, en 1869, d'écrire une thèse sur la langue) annonce celui du théori­ cien d'esthétique qui domine les années 1880 et 1890, où - tant par écrit qu'oralement, à ses fameux «mar­ dis >> qui rassembleront nombre des poètes contempo­ rains dans le petit appartement des Mallarmé, 89, rue de Rome -le poète, devenu le « maître >> des symbolistes, communiquera à ceux-ci sa conception de la poésie.

L'exclusivité qui imprègne la Dernière Mode, les Poè­ mes d'Edgar Poe ainsi que l'Après-midi d'un faune (1876), tiré à très peu d'exemplaires, et que Manet a illustré, témoigne d'un effort pour distinguer l'œuvre esthétique de «l'emploi élémentaire du discours>>, lequel cherche simplement à assurer les échanges de pensée.

Rehaussant ainsi l'existence littéraire propre­ ment dite, seule capable de « produire sur beaucoup un mouvement qui te donne en retour l'émoi que tu en fus le princ ipe>>, Mallarmé répudie le journalisme «avec l'immunité du résultat nul>>.

Pourtant, point n'est besoin de le juger avec la véhémence d'un Sartre (dans «l'En­ gagement de Mallarmé », essai non terminé publié par la revue Obliques), qui accuse les poètes de se faire « une fois de plus les agents de la contre-révolution précieuse>> et d'établir « un ordre de l'incommunicable ».

II est vrai que Mallarmé a proféré, dans un essai de jeunesse, l'Art pour tous, que la poésie est l'apanage des poètes seuls; mais son projet principal, le « Livre »,s'il avait été mené à son terme, aurait donné du monde une interprétation systématique, dont la lecture n'aurait pas été réservée aux seuls initiés, mais à tous, afin d'éviter l'éparpille­ ment du sens du monde moderne (cf.

Julia Kristeva).

L'existence de Mallarmé, 1 ittéraire, donc, du fait d'être dominée par ces réflexions et travaux, fut brisée subitement en 1898, quand il fut terrassé par une laryn­ gite dans sa maison de Valvins.

Cette maison était d'ail­ leurs comme la réalisation du rêve de ce grand amoureux de la nature, bucolique lui-même comme le faune, aimant autant qu'il aime sa femme et sa fille, cette Méry Laurent qui est à l'arrière-plan de bien des poèmes de Mallarmé sur la femme.

Ce Sisyphe, il ne faut pas l'imaginer malheureux.

Principes d'une écriture nouvelle «La littérature existe seule>>, déclare Mallarmé.

Cet idéalisme, il le professe au nom de ses contemporains symbolistes tout en exprimant, dans l'essai Crise de vers, son implication esthétique fondamentale : « Un Idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonates) refuse les matériaux naturels et, comme brutale, une pensée exacte les ordonnant; pour ne garder de rien que la suggestion.

Instituer une relation entre les images exacte, et que s'en détache un tiers aspect fusible et clair présenté à la divina­ tion.

>> C'est par le sens multiple des mots, en particulier des mots-images suggérant l'idée des choses absentes, que le poète opère cette TRANSPOSITION si importante pour la pratique poétique de Mallarmé.

Or, cette opération n'est pas seulement d'ordre esthétique-elle est aussi un devoir existentiel de 1 'homme : « La divine transposition, pour l'accomplissement de quoi existe l'homme, va du fait à 1' idéal.

» On conçoit que Mallarmé devait s'éloigner du natura­ lisme, pourtant contemporain de celle théorie symboliste où l'emporte l'image suggestive au dépens de la descrip­ tion.

Il avait pour Zola « une grande admiration >>, mais voyait plutôt dans les romans naturalistes, en même temps qu'un mouvement pour se rapprocher de l'histoire, un éloignement de la littérature qui, elle, «a quelque chose de plus intellectuel que cela ».

Ne conserver des choses que l'Idée était pour Mallarmé une nécessité évidente : « Les choses existent, nous n'avons pas à les créer »; bien plus, «la Nature a lieu, on n'y ajoutera pas [ ...

] ».

Alors pourquoi la poésie? Il reste à rendre l'impression (au sens des impressionnistes : Manet et Berthe Morisot étaient parmi les amis proches de Mallarmé) et à saisir les rap-. »

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