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Marcel PROUST, Le Côté de Guermantes.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

proust
Marcel PROUST, Le Côté de Guermantes. Le narrateur reconduit à la maison sa grand-mère qui vient d'être victime d'une congestion cérébrale durant une promenade aux Tuileries. Le soleil déclinait ; il enflammait un interminable mur que notre fiacre avait à longer avant d'arriver à la rue que nous habitions, mur sur lequel l'ombre, projetée par le couchant, du cheval et de la voiture, se détachait en noir sur le fond rougeâtre, comme un char funèbre dans une terre cuite de Pompéi. Enfin nous arrivâmes. Je fis asseoir la malade en bas de l'escalier dans le vestibule, et je montai prévenir ma mère. Je lui dis que ma grand-mère rentrait un peu souffrante, ayant eu un étourdissement. Dès mes premiers mots, le visage de ma mère atteignit au paroxysme d'un désespoir pourtant déjà si résigné, que je compris que depuis bien des années elle le tenait tout prêt en elle pour un jour incertain et final. Elle ne me demanda rien ; il semblait, de même que la méchanceté aime à exagérer les souffrances des autres, que par tendresse elle ne voulût pas admettre que sa mère fût très atteinte, surtout d'une maladie qui peut toucher à l'intelligence. Maman frissonnait, son visage pleurait sans larmes. Elle courut dire qu'on allât chercher le médecin, mais comme Françoise1 demandait qui était malade, elle ne put répondre, sa voix s'arrêta dans sa gorge. Elle descendit en courant avec moi, effaçant de sa figure le sanglot qui la plissait. Ma grand-mère attendait en bas sur le canapé du vestibule, mais dès qu'elle nous entendit, se redressa, se tint debout, fit à maman des signes gais de la main. Je lui avais enveloppé à demi la tête avec une mantille en dentelle blanche, lui disant que c'était pour qu'elle n'eût pas froid dans l'escalier. Je ne voulais pas que ma mère remarquât trop l'altération du visage, la déviation de la bouche ; ma précaution était inutile : ma mère s'approcha de grand-mère, embrassa sa main comme celle de son Dieu, la soutint, la souleva jusqu'à l'ascenseur, avec des précautions infinies où il y avait, avec la peur d'être maladroite et de lui faire mai, l'humilité de qui se sent indigne de toucher ce qu'il connaît de plus précieux, mais pas une fois elle ne leva les yeux et ne regarda le visage de la malade. Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez essayer d'étudier notamment comment le narrateur suggère les sentiments des personnages les uns à l'égard des autres et comment ce texte dégage une véritable beauté tragique. • Dans À la recherche du temps perdu, Marcel Proust aborde souvent le thème de la mort. Il analyse ainsi l'effet physique et psychologique de la vieillesse sur ses personnages à la fin du roman, ou l'égoïsme des survivants, par exemple celui de la duchesse de Guermantes qui n'hésite pas à se rendre à une soirée malgré l'annonce de l'agonie d'un proche. La fin de l'écrivain Bergotte, de l'ami Charles Swann ou de l'amante Albertine ponctuent l'oeuvre et affectent le narrateur. • Mais la mort de sa grand-mère prend une place particulière, en raison des liens très forts qui les unissaient. C'est d'ailleurs une agonie à laquelle il assiste, et sur laquelle il insiste, puisqu'elle occupe tout le premier chapitre de la seconde partie du Côté de Guermantes. • L'un des passages les plus émouvants se situe après la première attaque d'urémie lors d'une promenade. Le petit-fils comprend vite la gravité de la situation malgré la pudeur de la malade, qu'il ramène à la maison. Il lui reste à annoncer la crise à sa mère. • Le développement s'attachera à montrer : 1. l'extrême délicatesse des protagonistes, due à l'amour, 2. le ton tragique de la narration.
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« — Elle évite de regarder sa mère (l.

29-30).

Dans la suite du passage le narrateur suggère plusieurs causes à cetacte : « Peut-être fut-ce pour que celle-ci ne s'attristât pas en pensant que sa vue avait pu inquiéter sa fille.Peut-être par crainte d'une douleur trop forte qu'elle n'osa pas affronter.

Peut-être par respect, parce qu'elle necroyait pas qu'il lui fût permis sans impiété de constater la trace de quelque affaiblissement intellectuel dans levisage vénéré.

Peut-être pour mieux garder plus tard intacte l'image du vrai visage de sa mère, rayonnant d'espritet de bonté.

»Toutes ces hypothèses soulignent la délicatesse des sentiments et leur intensité. 2.

L'amourIl est partout présent dans ce texte, mais particulièrement dans l'attitude de la mère qui prouve que cette affectionatteint des sommets inhabituels :• L'adoration qu'éprouve la mère pour la malade est présente dans notre passage par le geste d'embrasser la main etpar la comparaison avec un Dieu auquel on rend un culte (l.

26).

Tous les gestes de la dernière phrase illustrentd'ailleurs cette déférence attendrie : « soutint », « souleva », « précautions infinies ».

L'amour fait paradoxalementde la mère, en bonne santé, donc physiquement supérieure, un être psychologiquement inférieur qui rend hommagepar sa force à un être amoindri de corps mais considéré comme divin.• Dans une phrase de moraliste sur les manifestations contraires de la malveillance et de l'amour, le narrateurexplique la discrétion de cette femme : « il semblait, de même que la méchanceté aime à exagérer les souffrancesdes autres, que par tendresse elle ne voulût pas admettre que sa mère fût très atteinte, surtout d'une maladie quipeut toucher à l'intelligence » (l.

12-15).Une telle passion transforme le drame intimiste et familial, les détails réalistes ou même prosaïques, en tragédiegrandiose propre à toucher universellement. II.

La tragédie 1.

Une image frappante• La première phrase donne immédiatement le ton par son ampleur et son registre.

Étude du champ lexical del'attente tragique et de la mort :— le cadre, ce « couchant » (l.

3), ce crépuscule du soleil qui « déclinait » (l.

1), figurant la fin de la vie et lamélancolie, thème repris du romantisme ;— l'attente est exprimée par 1' « interminable mur » (l.

1) et l'adverbe dans « Enfin nous arrivâmes » (l.

5) ;— les couleurs, rouge et noir, teintes de la passion et du deuil, posées avec insistance par les flammes du soleil (l.1), du mur « rougeâtre » (l.

4), de la « terre cuite » (l.

5), et du fiacre qui « se détachait en noir » (l.

4) par sonombre ;— l'image du « char funèbre » pour la voiture transportant la malade ; comme l'évocation du drame de Pompéi, oùau premier siècle après Jésus-Christ, une ville entière trouva la mort par l'éruption du volcan Vésuve, cette imageévoque les tragédies antiques littéraires ou réelles.

Cette évocation de l'Antiquité n'est pas due au hasard, puisquela tragédie est née, en Occident, des auteurs grecs Eschyle, Sophocle et Euripide.

Le rouge de la lave et le noir descendres, qui ont obscurci le ciel des environs de Naples, se retrouvent dans le texte et prolongent la traditionthéâtrale par le drame humain. 2.

Le pressentiment de la mère• Cette atmosphère est confirmée par l'intuition de la mère qui, comme son fils, comprend que le malaise est lesignal de la mort.• La prémonition se manifeste par sa réaction à la nouvelle : « Dès mes premiers mots, le visage de ma mèreatteignit au paroxysme d'un désespoir pourtant déjà si résigné, que je compris que depuis bien des années elle letenait prêt en elle pour un jour incertain et final » (l.

8-11).

Cette phrase exprime aussi le tragique par le sentimentd'inéluctable qu'elle évoque : la vieillesse de la grand-mère explique la réaction prophétique. 3.

Les masques et les gestes tragiques• Dans le théâtre antique, les acteurs portaient, selon les pièces, des masques comiques ou tragiques, ricanants oupleureurs.

Or le visage de la mère devient expressif au point d'évoquer ces pratiques :— « le visage de la mère atteignit au paroxysme d'un désespoir » (l.8-9);— « Maman frissonnait, son visage pleurait sans larmes » (l.

15).

On notera l'oxymore (alliance de termescontradictoires) des pleurs sans larmes qui exprime à la fois l'intensité du chagrin et la volonté de n'en rien montrer.— Elle en vient même à rester sans voix lorsque prosaïquement la domestique lui demande qui est malade (l.

17-18).• L'alternance du rythme des personnages montre aussi le caractère dramatique de la scène :— rapidité des réactions (« Dès mes premiers mots...

», 1.

8) et précipitation pour réclamer un médecin («ellecourut dire...» (l.

15-16) ; ou rapidité aussi pour aller chercher la grand-mère : ils prennent l'escalier plutôt qued'attendre l'ascenseur (l.

18, « Elle descendit en courant avec moi »).— solennité lente de la remontée : « la soutint, la souleva jusqu'à l'ascenseur, avec des précautions infinies » (l.26-27). Conclusion • Cet épisode a une importance évidente dans l'œuvre par son retentissement émotif ; en effet la grand-mère, avecla mère, est l'être le plus profondément aimé du narrateur : elle lui a beaucoup apporté, aussi bien du point de vuelittéraire (elle aimait les lettres, lui a fait découvrir George Sand ou surtout Mme de Sévigné, meublait toujours saconversation de citations) qu'affectif.. »

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