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MARMONTEL Jean-François

Publié le 26/11/2018

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MARMONTEL Jean-François (1723-1799). La fortune de Marmontel — sujet de réflexions utiles — se résume en peu de mots : le public s’est conduit à son égard d’une manière digne de Bouvard et Pécuchet. De son vivant, il jouissait d'une réputation éclatante : éditeur original et distingué du Mercure (1758-1760), l’un des Quarante ( 1763), historiographe de France (1772) et secrétaire perpétuel de l’Académie (1783), il fut répandu partout, traduit, imité et glorifié comme un maître de libre pensée, de morale et de style. Peu après sa mort, cette gloire parut excessive, et la réaction là-contre ne fut pas moins immodérée : victime de préjugés politiques et personnels et, plus tard, de l’évolution du goût, Marmontel sombra par degrés dans l'oubli. Son œuvre devint synonyme de médiocrité.
 
Sainte-Beuve, peu tendre pour l’ensemble de sa carrière (encore moins pour sa personne), conscient de ce mouvement inexorable, tenta en 1851 — en parlant des Mémoires de Marmontel — de faire assumer à la critique ses devoirs : « Ce qui est à faire à l'égard de ces écrivains si estimés en leur temps et qui ont vieilli, c’est de revoir leurs titres et de séparer en eux la partie morte, en n’emportant que celle qui mérite de survivre. »
 
Ce jugement — riche de prolongements — paraissait sans doute trop optimiste, et l’on ne devait pendant cent ans prêter à l’exhortation qu’une oreille de plus en plus distraite. Si bien que cette carrière autrefois si glorieuse finira par devenir « inintéressante ». Mais il y a pire : une nette tendance à ironiser sur l’œuvre de Marmontel et à la juger par ouï-dire ira se précisant. La plupart du temps, le public et surtout la critique (laquelle se devait d’être plus alerte et moins soumise aux idées reçues) se contenteront d’en rester là.
 
Depuis une quinzaine d'années toutefois, on reconnaît que l’intérêt de la carrière de cet « homme de lettres » (au sens professionnel que son siècle avait donné à l’appellation) est multiple : historique et social surtout, mais aussi esthétique et proprement littéraire.

« 1777) et de l'Encyclopédie méthodique ( 1782), rassem­ blée enfin dans ses Éléments de littérature ( 1787, 3 volu­ mes) -, ne devait cesser de se préciser, de se nuancer, de s'approfondir.

Elle trouve SO_!l expression la plus développée et cohé­ rente dans les Eléments, où la forme alphabétique de l'ouvrage «garantit une souplesse éclectique qui était tout à fait favorable à l'exposé des problèmes délicats de l'esthétique » au seuil du monde moderne (Annie Becq).

Cette méthode de présentation -alors très répandue (le siècle aime la pensée anthologique) -était par a.illeurs parfaitement adaptée pour traiter et exprimer à la fois les hésitations et les contradictions de son époque.

Dans ces Éléments, nous discernons un corpus d'articles qui constitue une contribution majeure à la pensée esthétique du XVllle siècle, laquelle est déjà si vigoureuse et féconde.

D'autre part, Marmontel y annonce sans conteste (mais ses idées les plus fécondes, certaines hardiesses possi­ bles, certains prolongements « scandaleux » sont freinés par son tempérament) les temps nouveaux ,et les valeurs modernes.

Qui aurait deviné que dans les Eléments exis­ tent des passages -et non en petit nombre -que n'au­ raient pas désavoués un Baudelaire ou un Valéry? Marmontel philosophe Théoricien d'importance, Marmontel ne néglige tou­ tefois ni la pratique ni l'action.

Partisan des Lumières, il s'intéresse à la politique, à l'économie, à l'éducation, à la manière de bien vivre, de procurer le bonheur au plus grand nombre de ses concitoyens.

Comme il sait rendre la vertu facile ct la philosophie rassurante, son influence n'est pas négligeable.

Déjà les Contes moraux- publiés dans le Mercure de France de 1755 à 1759, augmentés deux fois en 1761, et une troisième fois encore en 1765, réunis en deux volumes en 1761 (puis en trois)-le font connaître sous cet aspect-là.

Leur succès sera prodigieux.

Traduits bientôt dans toutes les langues de l'Europe.

ils connaîtront des dizaines d'éditions et seront mis en scène ou adaptés pour le théâtre lyrique jusqu"à la fin du siècle (même au-delà) partout où la culture française trouve des adeptes.

Mais la philosophie qu'il y exprime, une philosophie «parée de rubans », le laisse vite insatisfait.

En 1765- 1766, dans un climat douloureux, Marmontel rédige Bélisaire.

Ce roman, dont le but était d'inciter Louis XV à ad opt er une conduite de roi-philosophe, a été - est encore -jugé comme « insipide », «ennuyeux », «pesant» et «illisible».

Ces critiques visant la valeur littéraire de l'ouvrage, malgré leur justesse n'enlèvent rien à son importance historique : fidèle témoignage de son temps, Bélisaire démontre en un fulgurant raccourci l'étendue du malaise dans l'opinion éclairée moyenne devant l'évidente faillite du gouvernement, et son xve chapitre -plaidoyer en faveur de la tolérance civile -fut à l'origine de la contribution la plus efficace que Marmontel devait jamais faire aux Lumières : à savoir l'affaire de Bélisaire.

C'est cette bataille-là, entre les Philosophes et la Sorbonne, qui se révèle le véritable point culminant de la Philosophie militante.

Si l'on veut parler de la stratégie globale des années de lutte, on peut se référer à Bélisaire, car tout y est, condensé et sous une forme maniable.

Mais veut-on désigner la confrontation décisive? C'est du côté de Bélisaire qu'il faut regarder.

Pour comprendre enfin la question huguenote devant l'opinion éclairée ou réactionnaire, ainsi que le problème de la tolérance, suffit-il d'étudier les cas Calas et Sirven? Aucunement.

Bélisaire, évoluant sur un tout autre plan, est à maints égards plus révélateur.

Mais que l'on n'oublie pas les Incas (1777), dont certains chapitres devaient exercer une forte influence sur deux géants de la littérature : Chateaubriand et Mickiewicz; cette épopée en prose -commencée pen­ dant le tumulte de l'affaire de Bélisaire, et dans laquelle Marmontel reprend les armes en faveur de la tolérance - nous convie également à sa redécouverte.

Bélisaire et les Incas, tous les deux de grandes machines au ser­ vice de la philosophie, ont porté leurs fruits; à ce titre, dit Jean Fabre, «ils restent de grands ouvrages».

[Voir aussi PHILOSOP HlE ET LITTÉRATURE.

] Marmontel mémorialiste Si donc la carrière de Marmontel et une bonne partie de son œuvre ont une indéniable valeur pour l'historien, on ne lit plus guère toutefois de sa production totale, et pour le seul plaisir de la lecture, qu'une infime partie.

On commence à se demander si certains contes moraux ne mériteraient pas de revivre, si les Éléments de li ttér a­ ture (si souvent pillés au XIXe siècle ...

mais subreptice­ ment) ne devraient pas faire l'objet d'une édition critique et si la Neuvaine de Cythè re n'est pas, après tout, un petit chef-d'œuvre du genre érotique; mais depuis toujours on lit ses agréables et piquants Mémoires.

Ceux-ci ont évidemment une valeur historique, car ils révèlent ce xvme siècle que Marmontel connut tout entier : le monde des salons, l'ordre établi, les attributs de l'« homme sociable», les chemins de l'ambition, la personnalité de tant de femmes et d'hommes illustres surprise dans l'intimité ...

Mais on reconnaît depuis peu que les Mémoi­ re s ont, dans une plus grande mesure encore, une valeur profondément humaine: ils ont le mérite de reproduire à différents niveaux la complexité du monde et de faire miroiter -par leur forme et leur langage -les contras­ tes du temps et de 1' « humaine condition >>.

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1974; la Neuvaine de Cythère (voir plus loin).

É tu des .

- Pour une bibliographie critique de tous les articles, études et monographies consacrés à r auteur depuis 1800 jus­ qu 'e n 1970.

consulter John Renwick, la Destinée posthume de Jean-François Marmomel.

Université de Clennont, 1972; ajou­ ter à celle bibliographie les articles suivants, parus depu is , que l"on peut consulter avec fruit: Ewa Rzadkowska.

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