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Maupassant: Bel-Ami - Ire partie, chapitre V

Publié le 09/10/2010

Extrait du document

maupassant

Georges Duroy, qui n'a plus un sou en poche, se trouve avec Mme de Marelle à qui il vient d'avouer sa situation financière.

En le quittant, elle demanda : «Veux-tu nous revoir après-demain? — Mais oui, certainement.

  • A la même heure ?

  • A la même heure.

— Adieu, mon chéri. «

Et ils s'embrassèrent tendrement.

Puis il revint à grands pas, se demandant ce qu'il inventerait le lendemain, afin de se tirer d'affaire. Mais, comme il ouvrait la porte de sa chambre, il fouilla dans la poche de son gilet pour y trouver des allumettes, et il demeura

stupéfait de rencontrer une pièce de monnaie qui roulait sous son doigt. Dès qu'il eut de la lumière, il saisit cette pièce pour l'examiner. C'était un louis de vingt francs !

Il se pensa devenu fou.

Il le tourna, le retourna, cherchant par quel miracle cet argent se trouvait là. 15 il n'avait pourtant pas pu tomber du ciel dans sa poche.

Puis, tout à coup, il devina, et une colère indignée le saisit. Sa maîtresse avait parlé, en effet, de monnaie glissée dans la doublure et qu'on retrouvait aux heures de pauvreté. C'était elle qui lui avait fait cette aumône. Quelle honte ! Il jura : «Ah bien ! je vais la recevoir après-demain ! Elle en passera un joli

quart d'heure ! «

Et il se mit au lit, le coeur agité de fureur et d'indignation.

Il s'éveilla tard. Il avait faim. Il essaya de se rendormir pour ne se lever qu'à deux heures puis il se dit: « Cela ne m'avancera à rien, il faut toujours que je finisse par découvrir de l'argent. « Puis il sortit, espérant qu'une idée lui viendrait dans la rue.

Il ne lui en vint pas, mais en passant devant chaque restaurant, un désir ardent de manger lui mouillait la bouche de salive. A midi, comme il n'avait rien imaginé, il se décida brusquement: « Bah ! je vais déjeuner sur les vingt francs de Clotilde. Ca ne m'empêchera pas de les lui rendre demain. «

II déjeuna donc dans une brasserie pour deux francs cinquante. En entrant au journal, il remit encore trois francs à l'huissier. « Tenez, Foucart, voici ce que vous m'avez prêté hier soir pour ma voiture. «

Et il travailla jusqu'à sept heures. Puis il alla dîner et prit de nouveau trois francs sur le même argent. Les deux bocks de la soirée portèrent à neuf francs trente centimes sa dépense du jour.

Mais comme il ne pouvait se refaire un crédit ni se recréer des ressources en vingt-quatre heures, il emprunta encore six francs cinquante le lendemain sur les vingt francs qu'il devait rendre le soir même, de sorte qu'il vint au rendez-vous convenu avec quatre francs vingt dans sa poche. Il était d'une humeur de chien enragé et se promettait bien de faire nette tout de suite la situation. Il dirait à sa maîtresse : « Tu sais, j'ai trouvé les vingt francs que tu as mis dans ma poche l'autre jour ;Je ne te les rends pas aujourd'hui parce que ma position n'a point changé, et que je n'ai pas eu le temps de m'occuper de la question d'argent. Mais je te les remettrai la première fois que nous nous verrons. « Elle arriva, tendre, empressée, pleine de craintes. Comment allait-il la recevoir? Et elle l'embrassa avec persistance pour éviter une explication dans les premiers moments. Il se disait, de son côté: «Il sera bien temps tout à l'heure d'aborder la question. Je vais chercher un joint. «

 

Ce texte est un bon exemple du système narratif de Bel-Ami, fondé sur le double point de vue de Georges Duroy, dont le lecteur partage les impressions, les espoirs et les sentiments, et du narrateur, qui porte un regard ironique sur son protagoniste. La lâcheté du personnage, son indifférence aux autres sont ici soulignées, comme elles le seront plus tard dans le roman lors de son duel, ou quand il veillera le corps de son ami Forestier en formant le dessein d'épouser sa veuve, ou encore quand il séduira la femme de son patron.

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« Le mouvement du texte met en évidence la faiblesse du personnage, son incapacité à résister à ses penchants, sonmanque de volonté.

Malgré la constance du point de vue, qui demeure celui de Georges, le lecteur n'est dupe àaucun moment de son intention de rembourser sa maîtresse. Une détermination qui s'affaiblit.

L'organisation du passage est éloquente: elle retrace la série des démissions de Bel-Ami.

Celui passe de la surprise à la colère en découvrant l'argent de Clotilde, mais il n'hésite pas, dès quel'occasion s'en présente, à satisfaire ses besoins élémentaires : l'évocation du « restaurant», d'un « désir ardent de manger», d'une « brasserie» et des « deux bocks de la soirée» font s'évanouir le désir de rétablir son honneur.

Le dernier moment du texte, enfin, marque le retour d'une volonté vertueuse, mais le discours que Bel-Ami prépare poursa maîtresse est déjà en retrait par rapport au «joli quart d'heure» que, la veille, il était décidé à lui faire passer. Quand vient pour lui le moment de parler, à la fin du passage, son silence équivaut à un renoncement.

Le texte seprésente donc comme un piège destiné à démontrer la lâcheté essentielle du personnage. L'omniprésence de l'argent.

Le texte commence par mettre en évidence les sentiments du personnage, puis ses besoins, avant de ne donner accès qu'à des pensées formulées en discours direct.

Parallèlement à ce recul de lafocalisation interne, on remarque une présence de plus en plus insistante des mentions d'argent: le don de Clotildeest d'abord évoqué comme « une pièce de monnaie» dont il est bien précisé qu'il s'agit d'« un louis de vingt francs», la stupeur du personnage soulignant qu'il s'agit pour lui d'une somme importante.

De « cet argent», d'abord désigné comme une « aumône», expression qui marque la honte du personnage, on passe aux « vingt francs de Clotilde», puis à une arithmétique de plus en plus précise, avec la mention des centimes et des dépenses qui s'accumulent.Cette énumération correspond au moment où l'on n'a plus accès à la conscience du personnage, comme si lanécessité de surveiller la dépense remplaçait le sentiment de l'honneur froissé.

Dans ce contexte, la résolution queprend Bel-Ami de «faire nette tout de suite la situation» prend un sens particulièrement ironique, d'autant plus qu'elle est suivie d'un discours où Bel-Ami prévoit d'expliquer avec dignité à sa maîtresse qu'il ne peut la rembourser.Ce passage propose donc un portrait narquois du personnage, sans que le commentaire intervienne directement. Le regard du narrateur Ce passage est typique de l'ironie présente dans l'ensemble du roman à l'encontre de Bel-Ami, personnage dont les faiblesses et l'absence de scrupules deviennent de plus en plus manifestes d'un chapitre à l'autre. Le trivial et le grandiloquent.

Le narrateur joue constamment sur le contraste entre l'image que Duroy se fait de lui-même et la réalité de ses comportements.

Certaines expressions de Duroy appartiennent à un registre soutenu: «miracle» et « tomber du ciel» à propos de la découverte de la pièce de monnaie ; la « colère indignée» et l'évocation de la « honte» qui accompagne cette « aumône» ; l'évocation d'un « coeur humilié de fureur et d'humiliation».

Mais la description emphatique des tourments de cette belle âme est rapidement suivie de notations qui ne concernent que ses préoccupations physiques d'homme qui se lève tard.

Le « désir ardent» évoqué plus loin ne concerne pas la nécessité de réhabiliter son honneur, mais celle de « manger»: le « coeur» agité de la nuit est remplacé par la « salive», l'élément noble par l'élément trivial.

On trouve un même type de décalage comique dans la façon dont, plein de dignité, l'homme paie ses dettes avec l'argent de sa maîtresse.

Le contraste, enfin, est netentre les passages au discours indirect, qui respectent le registre littéraire et soutenu et les paroles rapportées dupersonnage qui traduisent bien peu élégamment la « colère indignée» par: « elle passera un joli quart d'heure» puis par « Bah !je vais d éjeuner sur les vingt francs de Clotilde».

La vulgarité du personnage est ainsi périodiquement mise en évidence dans le texte, sans que jamais le narrateur intervienne autrement qu'en orchestrant ces ruptures deregistre. L'amour méprisé.

Le passage met en lumière un autre trait de caractère typique de Bel-Ami: la désinvolture avec laquelle il traite la question amoureuse.

Mme de Marelle n'est évoquée par son amant qu'avec indifférence.

Lepassage est encadré par deux scènes de tendresse, mais dans les deux cas, c'est la jeune femme qui est active («elle demanda: Veux-tu nous revoir après-demain ? » / «Elle arriva, tendre, empressée, pleine de craintes»).L'amour ne tient, en revanche, aucune place parmi les réflexions intimes du journaliste, ce qui sera d'ailleurs le cas àpropos de toutes les femmes séduites par Bel-Ami.

Le contraste entre les scènes amoureuses du début et de la findu passage et la présence exclusive de la question de l'argent dans le corps du texte est à cet égardcaractéristique. (CONCLUSION) Cet épisode illustre la façon dont Bel-Ami sait profiter des largesses des femmes et se tire d'affaire grâce à elles.

On peut comparer cette scène à celle du chapitre VI de la seconde partie où, sans aucun état d'âme cette fois, Duroyextorquera à sa femme la moitié de l'héritage Vaudrec. Dans notre passage, Bel-Ami perd secrètement son honneur en acceptant pour la première fois de se faire entretenirpar une femme; dans l'épisode ultérieur, il reconnaîtra publiquement avoir été un mari complaisant par appât dugain. Notons que Mme de Marelle joue un rôle essentiel dans le dévoilement des petitesses et des faiblesses de Bel-Ami. »

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