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Maupassant : Mont-Oriol: Ire partie, chapitre VI

Publié le 17/01/2022

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«Avez-vous quelquefois songé, Madame, à ce que pourraient être, pour deux êtres qui s'aiment éperdument, des jours passés dans une cabane comme celle-là! Ils seraient seuls au monde, vraiment seuls, face à face! Et si une chose semblable pouvait se faire, ne devrait-on point tout quitter pour la réaliser, tant le bonheur est rare, insaisissable et court? Est-ce qu'on vit, aux jours ordinaires de la vie? Quoi de plus triste que de se lever sans espérance ardente, d'accomplir avec calme les mêmes besognes, de boire avec modéra-don, de manger avec réserve et de dormir comme une brute, avec tranquillité? «

Elle regardait toujours la maisonnette, et son coeur se gonflait comme si elle allait pleurer, car, tout à coup, elle devinait des ivresses qu'elle n'avait jamais soupçonnées.

Certes, elle songeait qu'on serait bien à deux dans cette si petite demeure cachée sous les arbres, en face de ce joujou de lac, de ce bijou de lac, vrai miroir d'amour! On serait bien, sans personne autour de soi, sans un voisin, sans un cri d'être, sans un bruit de vie, seule avec un homme aimé qui passerait ses heures aux genoux de l'adorée, la regardant pendant qu'elle regarderait l'onde bleue et qui lui dirait des paroles tendres en lui baisant le bout des doigts.

2Ils vivraient là, dans le silence, sous les arbres, au fond de ce cratère qui contiendrait toute leur passion, comme l'eau limpide et profonde, dans son enceinte fermée et régulière, sans autre horizon pour leurs yeux que la ligne ronde de la côte, sans autre horizon pour leur pensée que le bonheur de s'aimer, sans autre horizon pour leurs désirs que des baisers lents et sans fin.

Se trouvait-il donc des gens sur la terre qui pouvaient goûter des jours pareils? Oui, sans doute ! Et pourquoi pas? Comment n'avait-elle point compris plus tôt que des joies semblables existaient?

 

Au cours d'une promenade, dans le décor des volcans d'Auvergne, Paul de Brétigny cherche à séduire Christiane, femme mariée qui s'éveille à la sensualité au contact de cet homme passionné.

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« Le paysage est perçu à travers les sentiments du personnage et son désir naissant.

La présence, dans le texte, declichés romanesques, à valeur ironique, permet de situer le point de vue du narrateur. La nature, miroir de l'amour.

La rêverie de Christiane naît du paysage, lequel sert de révélateur à son état d'âme : les deux paragraphes où la jeune femme imagine la vie à deux commencent par le même rêve d'enfouissement «sous les arbres», près de l'eau ou dedans ; or ce rêve associe les amants à la nature pour mieux les couper du monde, avec la triple occurrence de « sans autre horizon», et aboutit à l'évocation de l'intimité amoureuse (« baisant le bout des doigts», « des baisers lents et sans fin»).

La progression de l'isolement (« sans autre horizon pour leurs yeux pour leur pensée [...] pour leurs désirs») met du reste en évidence ce mouvement en indiquant le passage des « yeux», au « désir» des amants ; de même, la « ligne ronde de la côte» devient « le bonheur de s'aimer», puis « des baisers lents et sans fin».

La nature, cadre de l'accomplissement du désir, laisse donc progressivement sa place à l'amour lui-même qui finit par être seul présent dans le texte. Les stéréotypes.

On ne peut éviter de rapprocher ce passage d'autres textes littéraires, préromantiques et romantiques qui, de Rousseau à Lamartine, associent leur amour à un paysage naturel, en particulier à un lac.Comparés au lyrisme de ces auteurs, les expressions utilisées par Christiane pour désigner le lac («joujou», « bijou») sont un peu maladroits : par leur consonance enfantine, elles évoquent la révision d'une règle grammaticale ; leurmièvrerie est renforcée, quelques lignes plus loin, par l'image naïve des « genoux de l'adorée».

Ces indices permettent de supposer une certaine ironie du narrateur vis-à-vis de son personnage, de son émotion extatiqueface à un lac d'Auvergne.

Notons que l'objet réel de l'amour, Paul, est très peu présent dans le discours deChristiane : les amants dont elle rêve restent anonymes, et ce sont, à la fin du texte, des « gens» dont l'existence même est sujette à caution.

L'imprécision des termes, qui n'évoquent à aucun moment la réalité de la situation dePaul et de Christiane, va également dans ce sens : le « bonheur», les « ivresses», la «passion» sont abstraits, tout comme le tableau idéal de l'homme aux genoux d'une femme évanescente, désignée par un participe substantivé («adorée») et dont seul « le bout des doigts» est touché par l'« homme aimé».

Le rêve de Christiane, romantique et désincarné, rappelle ceux d'Emma dans Madame Bovary: tout comme l'héroïne provinciale de Flaubert, celle de Maupassant semble victime de ses lectures. (CONCLUSION) Peintre du réel, Maupassant instaure toujours une distance entre les rêves et les fantasmes des personnages, et laprésentation qu'en fait le narrateur, en particulier quand ces songes semblent empruntés à un imaginaire peuoriginal.

Cette distance, encore discrète ici, sera confirmée dans la suite du roman, lorsque l'amour intemporel dontrêve Christiane se sera révélé illusoire : l'été suivant, Paul aura cessé de l'aimer, justement parce que le caractèreidéal de leur amour aura disparu — le dégoût le prendra devant la grossesse de sa maîtresse.

Dans Mont-Oriol, on trouve un autre personnage pris au piège de l'amour puis déçu par la réalité : Charlotte Oriol, délaissée pour desraisons d'argent par le beau Gontran. »

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