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Misérables (chapitre (II, 8) : « L'onde et l'ombre », V. Hugo

Publié le 21/02/2011

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Un homme à la mer ! Qu'importe ! le navire ne s'arrête pas. Le vent souffle, ce sombre navire-là a une route qu'il est forcé de continuer. passe. L'homme disparaît, puis reparaît, il plonge et remonte à la surface, il appelle, il tend les bras, on ne l'entend pas ; le navire, frissonnant sous l'ouragan, est tout à sa manoeuvre, les matelots et les passagers ne voient même plus l'homme submergé ; sa misérable tête n'est qu'un point dans l'énormité des vagues. Il jette des cris désespérés dans les profondeurs. Quel spectre que cette voile qui s'en va ! Il la regarde, il la regarde frénétiquement. Elle s'éloigne, elle blêmit, elle décroît. Il était là tout à l'heure, il était de l'équipage, il allait et venait sur le pont avec les autres, il avait sa part de respiration et de soleil, il était un vivant. Maintenant, que s'est-il donc passé ? Il a glissé, il est tombé, c'est fini. Il est dans l'eau monstrueuse. Il n'a plus sous les pieds que de la fuite et de l'écroulement. Les flots déchirés et déchiquetés par le vent l'environnent hideusement, les roulis de l'abîme l'emportent, tous les haillons de l'eau s'agitent autour de sa tête, une populace de vagues crache sur lui, de confuses ouvertures le dévorent à demi ; chaque fois qu'il enfonce, il entrevoit des précipices pleins de nuit ; d'affreuses végétations inconnues le saisissent, lui nouent les pieds, le tirent à elles ; il sent qu'il devient abîme, il fait partie de l'écume, les flots se le jettent de l'un à l'autre, il boit l'amertume, l'océan lâche s'acharne à le noyer, l'énormité joue avec son agonie. Il semble que toute cette eau soit de la haine. Il lutte pourtant. Il essaie de se défendre, il essaie de se soutenir, il fait l'effort, il nage. Lui, cette pauvre force tout de suite épuisée, il combat l'inépuisable. Où donc est le navire ? Là-bas. A peine visible dans les pâles ténèbres de l'horizon.

Ce chapitre (II, 8) fait suite à l'évocation du drame qui a conduit Jean Valjean au bagne, et des années pendant lesquelles il a purgé sa peine. Il constitue un développement tardif — puisqu'il date de la révision finale des Misérables — d'une des phrases de l'auteur, quelques pages auparavant : « Quelle minute funèbre que celle où la société s'éloigne et consomme l'irréparable abandon d'un être pensant ! « L'image même du naufrage était contenue dans ces lignes ; il était question des « heures redoutables... où la pénalité prononce un naufrage «.

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« II.

Une page lyrique : grandeur et misère de l'homme. On sent dans cette page toute la sensibilité de l'auteur qui semble vivre au rythme du combat du naufragé, en luidonnant la dimension d'une lutte contre la destinée. 1.

Misère de l'homme.« L'homme submergé » devient très vite simplement une « misérable tête », réduite à « un point dans l'énormité desvagues ».

La fragilité de la destinée est sensible dans le passage si rapide de la vie à la mort.

Hugo insiste sur ce quifaisait de l'homme « un vivant », et le contraste est brutal entre la longueur de cette phrase (« il était là tout àl'heure », etc.), et la brièveté de ce qui suit : « il a glissé, il est tombé, c'est fini ».

On peut remarquer qu'au débutdu texte, le naufragé « agissait » encore : « il plonge et remonte à la surface, il appelle, il tend les bras...

il jettedes cris...

il regarde » ; mais de cet homme qui était tout de même « sujet », la syntaxe fait ensuite un simplecomplément d'objet (cf.

« l'emportent...

l'environnent...

le dévorent...

le saisissent », etc.).

Il perd même touteidentité (« il devient abîme, il fait partie de l'écume »).

Ainsi, le sort de cet homme en fait un être passif.

On verracependant son « sursaut » d'énergie à la fin du passage. 2.

Grandeur.• La disproportion est évidente entre « toute cette eau » et l'homme qui y est plongé.

Le texte la souligne àplusieurs reprises (« un point dans l'énormité des vagues...

des cris désespérés dans les profondeurs...

cette pauvreforce tout de suite épuisée combat l'inépuisable »).• Malgré cette disproportion, l'homme lutte, comme l'indique dès le début du texte le rythme de la phrase « l'hommedisparaît, puis reparaît », etc.

; chaque fois que sa perte est proche, il arrive à l'éviter (« plonge et remonte »), eton a ainsi l'impression de la continuité de ses efforts, malgré la situation.

On peut noter aussi la force de larépétition « il la regarde, il la regarde frénétiquement ».

Après un long paragraphe où on le croit perdu, survient unecourte phrase, dont l'isolement accentue le relief : « il lutte pourtant ».

Ces trois mots suffisent à replacer l'océan,qui se déchaînait dans les lignes précédentes, au rang de force aveugle : l'homme redevient sujet (de fait, il l'est,dans la phrase).

Le paragraphe suivant développe cette lutte, en une suite de courtes propositions.

La répétition de« il essaie » est pathétique ; les termes plutôt abstraits (« se défendre, se soutenir, il fait l'effort ») aboutissentdans la phrase à l'action concrète qui est le signe de la lutte poursuivie, action héroïque qui tient elle aussi en deuxmots (« il nage »).

Et cela s'achève sur cette expression de la grandeur de ce naufragé : « il combat l'inépuisable ».Malgré son malheur donc, l'homme s'affirme dans sa volonté.

Cela ne servira à rien, puisqu'il sera écrasé tout demême. III.

Le symbole : la société et le paria. 1.

Les éléments de comparaison.On a pu dire que « chacun des termes qui nous décrivent le marin luttant inutilement contre les flots doit s'entendrede l'individu qui a perdu sa place dans la société, et que celle-ci engloutit peu à peu dans ses bas-fonds ».

Plusprécisément, la société est ici représentée par le navire, sur lequel il convient d'être embarqué (cf.

« il était del'équipage...

avec les autres...

il avait sa part ») pour vivre normalement ; la mer,' elle, est le symbole de laperdition promise à ceux qui sont rejetés. 2.

La cruauté de la société.Le cri initial (« un homme à la mer ! ») est traditionnellement jeté dans ce genre d'accident.

Il est en faitparfaitement inutile, comme le montre l'exclamation qui lui fait suite (« qu'importe ! »).

Un homme perdu ne comptepas pour une société qui ne peut se permettre d'arrêter le cours des événements, de se détourner de son but (« levent souffle, ce sombre navire-là a une route qu'il est forcé de continuer »).

Toute la cruauté de cet abandon estdans la brièveté des deux mots « il passe », après l'énoncé des circonstances qui empêchent tout sauvetage.

Lerythme est aussi déterminant dans la phrase suivante : aux nombreuses propositions qui expriment l'effort dumatelot succède ce qui sonne comme sa condamnation : « on ne l'entend pas » ; c'est bref, mais sans appel.

Lasociété a ses occupations (« tout à sa manoeuvre ») qui lui font oublier toute pitié, comme on le voit aussi dans leparallélisme pathétique des deux phrases « il la regarde...

elle s'éloigne ».

La répétition du « il » exprime l'angoisse,celle du « elle » l'indifférence.On a dit que la mer était le symbole de la perdition : c'est elle en effet qui tuera le naufragé.

On peut en mêmetemps penser que sa cruauté est celle des hommes qui environnent celui qu'ils ont rejeté.

Ils sont pleins de dérision(« l'environnement hideusement...

les haillons de l'eau s'agitent autour de sa tête...

une populace de vagues crachesur lui...

»), vont jusqu'à supplicier le malheureux (« l'emportent...

le dévorent...

d'affreuses végétations lesaisissent, lui nouent les pieds, le tirent à elles...

les flots se le jettent »).

Ils y trouvent même, apparemment, unesorte de plaisir (cf.

le rythme haletant de tout le paragraphe, la suite précipitée de propositions presquesymétriques, les mots « s'acharne », « joue »).

Ces hommes n'ont pas de peine à agir ainsi, puisqu'ils sont en force ;on suppose donc leur lâcheté (« l'océan lâche »).

L'ensemble de la société est dépeint à la fin du paragraphe : « ilsemble que toute cette eau soit de la haine ».

Dans ces lignes, on peut aussi voir, en même temps que la dureté. »

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