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MONNIER Henry Bonaventure : sa vie et son oeuvre

Publié le 25/11/2018

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MONNIER Henry Bonaventure (1799-1877). On ne se souvient plus guère aujourd’hui de Henry Monnier : seul demeure le personnage de M. Prudhomme, qui hanta longtemps son créateur et semble l’incarnation la plus réussie du « stupide XIXe siècle » dans sa version bourgeoise. Monnier inventa son personnage, le dessina, prit plaisir à le suivre dans les circonstances de sa vie et à l’observer enfin dans tous ses modèles vivants. Au-delà même de Prudhomme, c’est en effet cette idée de vérité qui guide Monnier dans son exploration de l’espace social : toujours à l’affût des tournures de langage et d’esprit qui caractérisent un type, il réussit à créer un petit monde théâtral où la caricature rejoint une certaine forme d’étude sociologique.

 

M. Prudhomme et son double

 

La vérité, c’est d’abord dans sa propre vie que Monnier aura été la chercher, auprès de son père — qui semble comme un prototype de Prudhomme — surnuméraire aux Finances, décoré et commandant dans la Garde nationale. C’est en effet dans un milieu petit-bourgeois, d’origine provinciale, que Monnier est né à Paris. Il grandit dans les bouleversements de l’Empire, avant de faire un stage chez un notaire, puis de devenir surnuméraire au ministère de la Justice, où il trouve à employer ses dons de calligraphe (et de farceur). Là, il recueille les matériaux de ses futures caricatures des bureaucrates. Monnier s’est en effet découvert un talent de dessinateur : il quitte alors son emploi, passe dans l’atelier de Girodet, puis dans celui de Gros, visite l’Angleterre, où il publie ses premières lithographies. A son retour, Monnier est devenu un jeune homme fashionable : il est en relation avec les grands noms du jeune romantisme et dessine avec succès des vignettes ainsi que de nombreuses séries lithographiques comme les Grisettes (1827), Esquisses parisiennes (1827), Mœurs administratives (1828) ou Esquisses morales et philosophiques (1830). Ce goût pour le croquis, il le transpose dans la littérature lorsqu’il publie en 1830 les Scènes populaires, qu’il enrichira avant d’en \"poursuivre la veine avec Scènes de la ville et de la campagne (1841), les Bourgeois de Paris, scènes comiques (1854), la Religion des imbéciles, nouvelles « Scènes populaires » (1861), les Bas-Fonds de la société (1862), enfin Paris et la Province (1866). Mon

 

nier possède le sens du dialogue et du théâtre, comme on le voit dans la Famille improvisée (1831), pièce écrite en collaboration et dans laquelle il jouera quatre rôles différents. Il se fait donc comédien, épouse une comédienne et part pour des tournées qui ne s’achèveront qu’en 1839 : on le voit alors publier de nouvelles séries lithographiques et collaborer au grand ouvrage des Français peints par eux-mêmes, où il donne un article et de nombreux dessins. On retrouvera aussi sa signature dans des illustrations pour son camarade Balzac qui l’a portraituré sous le nom de Bixiou dans les Employés (1837). Il essaie ensuite de retrouver ses succès au théâtre, notamment avec Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme (1852, écrit en collaboration avec Gustave Vaëz), puis avec le Roman chez la portière (1855). Il publie les Mémoires de M. Joseph Prudhomme en 1857 [voir Mémoires]. Mais le personnage cesse peu à peu de plaire au fur et à mesure que son auteur, par une ultime mystification, lui ressemble davantage en vieillissant. Pourtant, Monnier rédige toujours des articles humoristiques et poursuit son œuvre de dessinateur et d’aquarelliste, avant de s’éteindre à soixante-dix-huit ans.

 

La comédie de l'humanité

 

Le titre d’un livre de Monnier indique bien comment il faut comprendre son art : Scènes populaires dessinées à la plume. Écrire, pour lui, c’est d’abord montrer ce qu’il voit et veut reproduire. On comprend dès lors pourquoi les réalistes l’ont regardé comme leur ancêtre. Ce dessinateur, cet acteur aussi, qui fut M. Prudhomme à la scène et aimait à le jouer dans la vie, essaie de s’approcher au plus près du réel, d’être peut-être ce miroir à quoi le comparait Baudelaire; mais Baudelaire considérait cela comme un reproche et dénonçait ainsi chez Monnier l’incapacité d’atteindre le grand art. Et, en effet, on constate aisément le goût de Monnier pour le détail caractéristique, le mot drôle enregistré. Ses livres se veulent à l’image de la vie : on peut leur prêter toutes les significations. Certes, Prudhomme est d’abord une caricature, une « charge » du bourgeois vaniteux, vide, au faux bon sens, un précurseur de Homais et plus modestement du Fenouillard de Christophe. Il est un cliché vivant, avec son ventre rebondi, sa chemise empesée et surtout son langage, orné de lieux communs, de métaphores ineptes, de lapalissades. Certains de ses mots sont bien connus, tels « Le char de l’État navigue sur un volcan » ou « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie », mais d’autres trouvailles prudhommesques, ou du moins proches de sa pensée, méritent d’être retenues : « Ces frelons qui viennent s’engraisser de la sueur des employés », le « couteau de Fualdès avec son manche à Rome et sa pointe dans l’Aveyron », ou encore cette merveille : « Otez l’homme de la Société, vous l’isolez ». Monnier crée donc le type du bourgeois; il en créera d’autres, comme celui de la portière avec son chien : « Mme Desjardins, portière, [...] esclave du premier, soumise aux volontés du second, à son aise avec le troi-sième, mangeant dans la main du quatrième, fière et hautaine avec les étages supérieurs [...] ». « Azor, carlin de quatorze ans, surchargé d’embonpoint, exhalant après dîner une odeur fétide [...] ». Chaque fois, on retrouve un caractère, noté avec précision dans son comportement et ses paroles, en situation : le bourgeois en visite, le bourgeois en voyage, le bourgeois mystifié.

 

On peut alors faire de Monnier un pur comique dont le seul talent serait de tourner tout en dérision, de dénicher partout le stéréotype, de montrer le ridicule universel qui nous submerge à chacune de nos actions. Et c’est bien là que réside, en fait, le second sens de cette œuvre : nous ne ririons pas tant si nous ne nous sentions pas, peu ou prou, et tous, des M. Prudhomme en puissance, capables

« d'émettre des balourdises et des clichés.

D'où probable­ ment cette fascination qu'exerce le personnage -et d'abord sur son créateur, à qui il ressemble sur bien des points et qui l'obséd erajusqu'à la fin de sa vie.

En effet, les Mémoires de M.

Joseph Prudhomme sont aussi ceux de Monnier, et l'on retrouve dans les deux cas un même amour du théâtre : Prudhomme, qui se fait auteur puis directeur, aime les acteurs, et cela probablement parce qu'il leur ressemble; en fait, flottant au vent de ses préju­ gés.

de ses illusions, de ses phrases creuses, il n'est qu'une bulle.

On serait tenté de dire qu'il n'a pas de personnalité, si l'on ne s'apercevait bientôt que Monnier est présent derrière ce masque, qu'il l'utilise à des fins perverses, que son personnage, expert en écriture, est peut-être une image de l'écrivain.

Faut-il en rire? Toujours est-il que Prudhomme devient équivoque on ne sait plus si les jugements qu'il émet sont ou non pris à son compte par l'auteur, et sa bêtise, loin d'être toujours simple, prend, au second degré, le caractère d'une lucidité extrême.

De même, c'est son «héros» que Monnier chargera de rapporter les conversations d'atelier, de bureau ou de théâtre, de nous prévenir aussi de leur côté plaisant : «J'ai toujours entendu les mêmes conversations entre mes collègues; j'ai fini par les rete­ nir, et je crois que je pourrais les stéréotyper d'un bout à l'autre >>.

La Prudhommie se peuple alors de personnages aussi vrais et burlesques à la fois que MM.

Bonnet, Far­ deau et Pedurand, que John Brioch, Krakersdorf et Mal­ vina de La Jolhfière.

Mais une telle énumération pose en même temps toute la question du type et de la caricature : en d'autres tennes, où ferons-nous passer la limite entre la restitution réaliste d'un personnage ou d'un milieu, la scène de genm, le croquis typé où 1' auteur choisit et accentue quelques traits particuliers, enfin la «charge>> pure où il ne reste plus que ces traits, mais poussés jusqu'à la caricature.

D'où également notre hésitation : faut-il rire de ..

ant telle scène ou seulement admirer la précision avec laquelle l'auteur fait parler un person­ nage, une fille, un voleur, un paysan ou un enfant, dans sa singularité i.an gag iè re qui semble, pour Monnier, le définir presque tout entier? En fait, Monnier hésite souvent entre la farce et la comédie, entre Plaute et Térence, avec même parfois un détour du côté du drame :par exemple dans l'exécution capitale des Scènes populaires, ainsi décrite :« Oh! est-il grêlé celui-ci, c'est pas un beau.

Il veut faire résistance, empoignez-le donc ...

Oui, va, t'as beau faire; il a fait la grimace à son prêtre [ ...

].

T'as beau rouler tes yeux, va ...

jouis d'ton reste, t'as beau faire ...

Enfoncée ...

elle n'a pas d' sang ...

au panier.

..

» Peut-être est-ce là, en fin de compte, le meilleur de son œuvre : un mélange des gen­ res qu'on retrouverait dans ces dialogues doux-amers que Monnier multiplie : entre le grand-père et son affreux Jojo de petit-fils, entre le médecin et un curieux paysan qui aimerait bien se débarrasser de sa femme, entre la garde-malade sadique et son patient désespéré.

L'histoire même de Prudhomme racontée dans ses Mémoires, si joyeuse, se termine par sa ruine complète, et le gogo pompeux devient d'un coup pitoyable, de même qu'inversement l'accusé de cour d'assises Jean lroux devient prétexte à rire.

On n'a donc pas le droit de considérer Monnier comme un auteur mineur, au registre restreint : il réussit en effet à créer un monde dont la vérité nous amuse en même temps qu'elle nous fait honte.

Il nous permet enfin de regarder d"un œil neuf la société qui nous entoure, moins éloignée peut-être de Monnier et de son époque que nous ne pourrions le pen­ ser.

[Voir aussi PHYSIOLOGIES.] BIBLIOGRAPHIE Œuvres rééditées de H.

Monn ie r : Morceaux choisis (avant­ propos d'A.

Gide).

Gallimard, 1935; Mémoires de M.

Joseph Prudhomme (préf.

et notes de G.

Sigaux).

Club fr a n çais du Livre , 1964; Scènes populaires (introduction par C.

Cœuré), Flamma­ r ion .

1973 et Scènes populaires·Les Bas-fonds de la société (éd.

A.-M.

Meininger), Folio.

1985.

A consulter.

-Champfleury, Henry Monnier, Dentu , 1879; A.

Marie, Henry Monnier, Fleury.

1931.

réimpr.

Slatkine, 1983; E.

Melcher, The Life and Times of Henry Monnier, Cambridge (Mass.), Harvard Univ.

Press, 1950.. »

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