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Montaigne, Des cannibales

Publié le 20/11/2012

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LECTURE ANALYTIQUE 1. Michel de Montaigne, « Des Cannibales «, Essais, Livre I, chapitre 31 (extrait) Présentation Le chapitre « Des Cannibales « dans le livre I des Essais de Montaigne propose une réflexion à la fois anthropologique et morale sur la notion de « sauvagerie « ou de « barbarie «, termes que l'auteur utilise indifféremment l'un pour l'autre. Pour mieux comprendre les enjeux de ce texte, il n'est pas inutile de replacer la question dont il traite dans son contexte historique. Quelques années après la découverte d'Ispanola (Saint-Domingue) par Christophe Colomb en 1492, le voyageur portugais Pedro Alvarez Cabral découvre les côtes du Brésil (1500). Le nom de « Brésil « (Brasil en portugais) donné à cette région vient d'un arbre dont on utilise le bois (« bois de brésil «) pour confectionner une teinture vermeil. Au cours du XVIe siècle, se développe le commerce de ce bois précieux vers l'Europe, en particulier vers la Normandie. Dès le milieu du siècle, les Français ont en effet tenté de s'établir sur les côtes brésiliennes. En 1554, ils cherchent à créer une base militaire. De 1555 à 1567, une éphémère colonie est créée dans la baie de Rio de Janeiro (« la France Antarctique «). Comme les « caraïbes « découverts par Colomb, les populations semi-nomades de la côte brésilienne fascinent les voyageurs et plus généralement les européens : la culture « primitive «, les moeurs étranges des Tupinambas ne ressemblent à rien de connu ; en outre ils pratiquent une forme d'anthropophagie rituelle sur leurs prisonniers de guerre, pratique qu'on met au compte de leur « sauvagerie «, c'est-à-dire de leur inhumanité. C'est précisément cette pratique anthropophagique des Tupinambas qui sert de prétexte au chapitre 31 des Essais, comme le précise son titre : « Des cannibales «. Le mot « cannibale « est d'invention récente à l'époque. On sait qu'il vient du nom « Cariba « (déformé en « Caniba «) par lequel les indiens Arawaks désignaient leurs ennemis du continent américain. C. Colomb leur prête d'abord une apparence monstrueuse, en mêlant ce qu'il apprend de ces redoutables « Cariba « aux légendes antiques concernant l'existence des cynocéphales, hommes à têtes de chiens (Caniba / canis). Persuadé qu'il a abordé sur une côte d'extrême Orient, il pense que ces « Cariba « appartiennent au royaume du grand Khan (Khan / Can) : « Caniba n'est pas autre chose que le peuple du grand Khan qui doit être voisin de celui-ci «. Ce n'est que plus tard, lorsque Colomb aura la confirmation que ces peuples pratiquent l'anthropophagie que le mot «cannibale « finira par prendre son sens actuel. A l'époque de Montaigne, cette question de l'anthropophagie ne concerne pas que les indiens d'Amérique ; elle est aussi réactivée par de nombreux faits divers liés aux Guerres de Religion en France : ainsi en 1573, lors du siège de Sancerre, la famine pousse un couple à manger son propre enfant (les parents seront ensuite brûlés vifs sur le bûcher) ; à la même époque, un protestant d'Auxerre, nommé Coeur de Roy, est supplicié par les Catholiques, qui pour se moquer de lui, lui arrachent le coeur, le mettent en vente, le font griller et le dévorent ! Le cannibalisme apparaît donc comme une manifestation par excellence de la barbarie humaine. Dans son texte, Montaigne va justement prendre le contre-pied de cette opinion en étudiant le cas des Tupinambas. Comment s'est-il informé sur ces populations ? Montaigne a lu des récits de voyages, en particulier ceux d'André Thévet et de Jean de Léry, qu'il utilise largement dans son chapitre, alors qu'il prétend avoir obtenu l'ess...
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« dans cette même ville, en 1562, lors de l’Entrée de Charles IX (la ville vient d’être reprise aux Protestants), mais il est plus probable selon certains historiens que c’est à Bordeaux, en 1565, à l’occasion d’une autre Entrée du même Charles IX que cette rencontre aurait eu lieu.

Quoi qu’il en soit, cette entrevue joue un rôle essentiel dans la démarche de Montaigne : il s’agit pour lui de remettre en question les préjugés relatifs aux « sauvages » en leur opposant la vérité des témoignages.

Dans ce chapitre polémique , Montaigne adopte simultanément le point de vue de l’ethnologue et celui du philosophe moral : l’observation attentive de l’Autre se double d’un jugement, souvent sévère, sur sa propre civilisation.

Ou plutôt, l’observation des « sauvages » sert de fondement à une condamnation de la société occidentale. La question centrale posée par Montaigne dans ce chapitre peut être formulée de la façon suivante : est-ce que les populations « sauvages » du Brésil doivent être qualifiées de « barbares » - si on entend par barbares des mœurs et des pratiques en contradiction avec l’humanité de l’homme ? La thèse de l’auteur est énoncée dès le paragraphe 7 : « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».

L’analyse du cannibalisme ne constitue qu’un des moments de la démonstration de Montaigne, comme le montre le plan général du chapitre (voir tableau ci-dessous), en même temps elle occupe une position centrale dans son argumentation.

C’est ce que montre bien l’extrait étudié (qui correspond aux paragraphes 12-14 de la troisième édition des Essais) : décrivant les pratiques guerrières de Tupinambas, Montaigne en vient au sort réservé aux prisonniers par ces derniers et aux rites anthropophagiques auxquels ils donnent lieu.

On montrera comment l’analyse anthropologique ou ethnologique est ici subordonnée à un discours polémique qui renverse la relation entre « sauvages » et « civilisés ». ANALYSE 1.

La stratégie argumentative : démarche ethnographique et démarche humaniste Dès le début du chapitre 31, Montaigne dénonçait les récits des « cosmographes » et des « topographes » qui ont toujours tendance à falsifier la réalité qu’ils prétendent décrire dans leurs récits.

1 C’est pour éviter les travers de ces récits que l’auteur s’est fondé sur le témoignage d’un de ses domestiques qui aurait vécu au Brésil.

Il a aussi recueilli des informations auprès de trois Indiens Tupinamba qu’il a rencontrés en France. Le texte illustre parfaitement la démarche « ethnographique » de Montaigne : le passage s’inscrit dans un développement consacré aux divers aspects des mœurs et de la culture des Tupinambas.

Ici, il aborde la pratique de la guerre.

Dans son exposé, Montaigne sépare très clairement la description des faits de leur analyse et interprétation. Les lignes 1-15 offrent un exposé objectif de la guerre chez les Tupinambas : les premières lignes en présentent brièvement quelques aspects : armement, tenue, comportement guerrier, trophées (l.

1-7).

Puis M en vient au sort réservé aux prisonniers, ce qui lui permet d’introduire la description des pratiques anthropophagique.

Par sa précision, son sens du détail, cette description constitue bien le cœur de cet exposé (lignes 7-15).

On observera l’absence de tout commentaire affectif ou appréciatif de la part de M.

: il insiste en revanche sur la dimension rituelle et sociale de cette pratique.

Il distingue plusieurs étapes dans la 11 « Pour faire valoir leur interprétation et la persuader, ils ne se peuvent garder d’altérer un peu l’histoire ; ils ne vous représentent jamais les choses pures, ils les inclinent et masquent selon le visage qu’ils leur ont vu ; et pour donner crédit à leur jugement et vous y attirer, prêtent volontiers de ce côté-là à la matière, l’allongent et l’amplifient » ( Essais , L.

I, ch.

31, § 5). »

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