Devoir de Philosophie

Montaigne peint par lui-même

Publié le 09/02/2012

Extrait du document

montaigne

J'ai pieça (1) franchi la cinquantaine; ma tête chauve et grisonnante en témoigne hautement. Ma taille est forte et ramassée, un peu dessous de la moyenne. J'ai le visage non pas gras, mais plein, la complexion entre le sanguin et le mélancolique. Jusques à cette heure que je suis engagé dans les avenues de la vieillesse et souffre de la gravelle, j'ai joui une santé vigoureuse, oucques toutefois n'eus la verdeur et adresse de mon feu père....

On a donné à ce portrait un tour archaïque, sans prétendre reproduire le vocabulaire et surtout l'orthographe de Montaigne.

montaigne

« A mon extérieur on peut sans peine deviner le dedans, mes conditions corporelles.

étant accordantes à celles de l'âme.

Toutes les contrariétés se trouvent.

en moi.

, .

.

.

.

.

Mol, pesant, fainéant, songe-creux, endormi, tel je suis en mon entende­ ment.

Mes conceptions ne marchent qu'à tâtons, chancelant, bronchant et chopant.

J'ai .J'esprit mousse ..

Les difficultés que je rencontre en lisant, je ne m'en ronge pas les ongles; je les laisse là, après leur avoir fait une charge ou deux.

Si je m'y plantais, je m'y perdrais, et ie temps, car j'ai l'esprit primesautier : ce que je ne vois de la première charge, je le vois moins en m'y obstinant.

.

Je ne me prends guère aux nouveaux livres, moins tendus que les anciens.

Le Décaméron, Boccace, Rabelais, Second, sont seulement plai­ sants.

L'histoire, c'est mon gibier en matière de livres, et Plutarque, depuis qu'il est devenu français, est mon homme.

J'aime aussi la poésie d'une par­ ticulière inclination, encore que j'y sois incapable.

Virgile, Lucrèce, Catulle, Horace, Lucain, Térence sont mes favoris; mais je dois avouer que Ronsard et le bon du Bellay approchent de l'antique perfection.

Des sciences, je n'y ai goûté que la croûte première en mon enfance, et n'en ai retenu qu'un général et informe visage.

En mes études, je le confesse, j'ai été papillon plutôt qu'avette : un peu de chaque chose, et rien du tout, à la française! Si mon intelligence est vile et commune, ma mémoire est monstrueuse en défaillance.

Pour apprendre trois vers il m'y faut trois heures; il m'est très malaisé de retenir les noms et il m'est arrivé plus d'une fois au camp d'oublier le mot.

Je me console néanmoins en songeant que les mémoires excellentes se joignent volontiers à un jugement débile et, pour ce dernier, j'aurais mauvaise grâce à me plaindre : la nature et l'institution me l'ont fait, je crois, assez bon.

Le juste sens me fait fuir toute extrémité, toute exagération; il modère en moi les bonds capricieux de la folle du logis et m'enseigne que, ne pouvant régler les événements je me dois régler moi­ même.

Il m'éloigne encore de la présomption, fille de l'ambition et m'ap­ prend à me fier bonnement en la fortune.

On m'a reproché de m'aimer trop.

J'avoue à ma honte que souvent je me goftte, je me roule en moi-même; mais je pourrais ajouter, pour mon allé­ geance, que je sais en sortir.

Je n'en veux pour preuve que la tendre amitié qui m'unit jadis à mon très cher et très regretté Etienne de la Boétie et la façop.

pieuse dont j'ai fait mettre en lumière le livret de ses œuvres.

C'est là, je crois, mon· plus bel endroit.

En ces derniers temps, mon 11ffection s'est reportée sur Marie de Gournay le Jars, aimée de moi plus que paternelle­ ment.

Enfin, quand j'aurai dit que je me sens une merveiileuse lâcheté pour la miséricorde et le pardon, que je m'adonne volontiers aux petits par natu­ relle compassion, on en saura suffisamment sur mon cŒur.

Pour le vouloir, j'ai une âme toute libre et toute sienne, accoutumée à vivre à sa mode.

Le délibérer, voire ès choses les plus légères, m'importune.

Outre que le vent des accidents me remue selon son inclination, je me remue et trouble moi-même par l'instabilité de ma posture.

Honteux, inso­ lent; bavard, taciturne; laborieux, paresseux; ingénieux, hébété; chagrin, débonnaire; menteur, véritable; poltron, vaillant; tout cela je le vois en moi, -suivant his heures et selon que je me vire.

Si m'en console un petit, me disant qué chaque homme porte en soi toute l'humaine con'dition, et que les plus fermes ne laissent pas que d'être ondoyants et divers.

Enfin, si je descends tout au fond de .moi, j'y découvre cette dernière et plus énorme contrariété.

Dans les profanes cogitations, distinguo est le plus universel membre de ma logique, « que sais-je?:.

ma devise, et le doute mon. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles