PARIS ET LA LITTERATURE
Publié le 12/03/2019
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PARIS. Paris, en France, on y va. Pourquoi ? Parce que Paris est le centre de la France, ce que ne sont ni Londres pour l'Angleterre ni New York pour l'Amérique. Provinciale, la France se construit autour de cette ville où se concentre le prestige intellectuel et le pouvoir politique. Le grand tour des universités, comme au Moyen Âge, cède vite à cette idée unifiante : aller étudier à Paris. Gargantua chez Rabelais, puis Dorante chez Corneille (le Menteur) ; Arnolphe chez Molière (l'Ecole des femmes) « montent » à Paris pour s'y instruire, pour découvrir, pour plus être. Là se joue l'aventure intellectuelle. Amoureuse aussi (Pantagruel). Mais cette grande ville nouvelle demeure aussi la vieille cité du fabliau et de Villon. La place Royale, certes, mais aussi les anciennes ruelles, le vieux Paris où se jouait Panurge, les bouges et les officines à côté des salons, les rixes et les combines à côté de la Cour, le Paris nocturne dans lequel déambulera un Restif de la Bretonne. Paris lumière ou Paris grouillant? Paris humanité nouvelle ou Paris faune ? Paris lumière ou Paris poubelle ? Ici se noue le drame, le grand symbole : si Paris est une ville vers laquelle on monte à partir d'un sous-développement local, Paris est aussi la ville où l'on fait des découvertes pittoresques ou démoralisantes. Sigognac (le Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier), François René de Chateaubriand reçoivent de leur père une vieille épée et une bourse avec quelques pièces d'or, et surtout cette mission : défendre et promouvoir là-bas l'honneur de la famille. De même pour d'Artagnan chez Alexandre Dumas. Le Paris de Balzac attend le héros, faiblement armé et faiblement muni, cadet, souvent, et qui vient y chercher une sorte d'aînesse qui lui manque. Une lettre de recommandation, un passeport pour les splendeurs : Rastignac, dans le Père Goriot, tire.de sa parente Marcillac une invitation à dîner chez sa brillante cousine Mmc de Beauséant, et d'Artagnan avait sa lettre pour M. de Tréville. Dans un premier temps, il ne s'agit nullement de déracinement, mais bien de passage à plus d'enracinement nouveau, d'esquisses pour une fondation et pour une carrière. Mais Sébastien Mercier le remarque sans doute le premier dans le cadre d'une problématique moderne (son Tableau de Paris est publié à la veille de la révolution de 1789) : il n'y a pas de place pour tout le monde, et la montée à Paris engendre vite la perte des illusions. Nul de ces jeunes héros ne vient à Paris pour créer quelque chose, mais pour prendre place dans une grande fête, dans une grande prospérité moderne. Des avocats comme Thiers y deviendront journalistes, hommes politiques, meneurs d'idées. Mais ce ne sont jamais des « industriels », des créateurs. On monte à Paris pour y boire la science, mais surtout pour devenir quelqu'un dans l'administration, dans la finance, dans l'armée, dans un secteur tertiaire proliférant, dans un vaste système de « services ». Paris, dès longtemps, capitale de la « pub ». On sait la suite : le martyre du provincial devenu parisien, le Lucien de Rubempré de Balzac (Illusions perdues) qui finira pendu dans sa cellule (Splendeurs et Misères des courtisanes). Rastignac réussira, mais en parasite : il épousera la fille de sa maîtresse, femme d'un banquier qui l'aura aidé à faire fortune. Bianchon seul demeurera le héros d'une parisianité mythique et rayonnante : grand savant, désintéressé, à l'écart des folies du monde moderne, il sera le chef de l'« école de Paris », mais d'un Paris qui n'est pas le Paris réel, quotidien. L'autre suite est connue : le retour vers
«
faiblement
muni, cadet, souvent, et qui
vient y chercher une sorte d'aînesse qui
lui manque.
Une lettre de recommanda
tion, un passeport pour les splendeurs :
Rastignac, dans le Père Go riot, tire.
de
sa parente Marcillac une invitation à
dîner chez sa brillante cousine Mme de
Beauséant, et d'Artagnan avait sa lettre
pour M.
de Tréville.
Dans un premier
temps, il ne s'agit nullement de déracine
ment.
mais bien de passage à plus
d'enracinement nouveau, d'esquisses
pour une fondation et pour une carrière.
Mais Sébastien Mercier Je remarque
sans doute le premier dans le cadre
d'une problématique moderne {son
Tableau de Paris est publié à la veille de
la révolution de 1789) : il n·y a pas de
place pour tout le monde, et la montée
à Paris engendre vite la perte des
illusions.
Nul de ces jeunes héros ne
vient à Paris pour créer quelque chose,
mais pour prendre place dans une
grande fête, dans une grande prospérité
moderne.
Des avocats comme Thiers y
deviendront journalistes, hommes politi
ques, meneurs d'idées.
Mais ce ne sont
jamais des « industriels >>, des créa
teurs.
On monte à Paris pour y boire la
science, mais surtout pour devenir
quelqu'un dans l'administration, dans la
finance, dans l'armée.
dans un secteur
tertiaire proliférant, dans un vaste sys
tème de « services >>.
Paris.
dès long
temps, capitale de la «pub ».
On sait la
suite : le martyre du provincial devenu
p arisien, le Lucien de Rubempre de
Balzac (Illusions perdues) qui finira
pendu dans sa cellule (Splendeurs et
Misères des courtisanes).
Rastignac
réussira, mais en parasite : il épousera
la fille de sa maîtresse, femme d'un
banquier qui l'aura aidé à faire fortune.
Bianchon seul demeurera le héros d'une
parisianité mythique et rayonnante :
grand savant, désintéressé, à l'écart des
folies du monde moderne, il sera le chef
de l'« école de Paris >>, mais d'un Paris
qui n'est pas le Paris réel, quotidien.
L'autre suite est connue : le retour vers
les origines, vers la base de départ, Paris
oublié, Paris fini et désormais sans
signification ni radiance.
Pour Julien
Sorel (Stendhal, le Rouge et le Noir), à Verrières
puis à Besançon, Paris n'existe
plus, et Lucien de Rubempré rentre brisé
à Angoulême.
Il ne reverra Paris
qu'entraîné par ce démon : Vautrin.
D'où
une double image, récurrente pendant
deux siècles, mais déjà là chez Rabelais :
d'une part, Je Paris des grandes institu
tions, des belles promenades, des jar
dins, des Champs -É lysées, des théâtres,
de la belle compagnie ; de l'autre, le Paris
des tripots, des bas-fonds.
Un lieu où,
comme le dit le Dorante de Corneille, on
trouve mêlés le meilleur et le pire de la
France.
La double image génère une
double perspective : Paris vu de haut,
contemplé comme la métropole de tout
(Rastignac du haut du Père-Lachaise),
Paris organique et géométrique, géo
graphie à conquérir, faite pour un vol de
l'aigle; mais aussi Paris vu d'en bas, à
ras de ruelles et de rues, dans la lumière
douteuse des faubourgs et des bureaux,
avec ses rencontres d'une foule d'aven
turiers et de coupe-jarrets.
Ils n'ont plus
besoin de couper la bourse des passants
lorsque le guet s'est éloigné : ils règnent
par exemple sur les journaux, les théâ
tres.
Paris-paradis ou Paris-enfer
l'image de Babylone unifie parfois les
deux images.
L'évolution historique, l'urbanisation
forcenée entraîne une évolution signifi
cative des deux visions.
D'une part, Paris
révolutionnaire.
Paris barricades et
Paris émeute, dont Vigny (Paris, éléva
tion, !830, à l'autoJlllle, après Juillet) se
demande s'il n'est pas quand même le
creuset, la chaudière bouillonnante d'un
avenir.
L'étudiant pauvre pourra rejoin
dre alors les ouvriers et les gamins
héroïques, Marius, Gavroche (Hugo, les
Misérables).
Mais aussi, lorsque dépérit
l'espoir révolutionnaire, Paris redevient,
avec de nouvelles couleurs (Baudelaire),
la vaste prison pour cygnes exilés, le lieu
du « spleen >>.
Tableaux parisiens : cela
avait commencé avec le Joseph Delorme
de Sainte-Beuve (1829).
Le tableau pari
sien est celui d'un Paris de la foule et
de la lèpre des murs, d'une moderni té
qui ne va plus nulle part, mais qui
produit de nouvelles images.
Paris n'est
plus la Rome des siècles.
mais une sorte
d'égout parfois exaltant.
Cela va jusqu'à.
»
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