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PHILOSOPHIE ET LITTÉRATURE

Publié le 27/11/2018

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philosophie

PHILOSOPHIE ET LITTÉRATURE. Rédiger une histoire de la littérature ou une histoire de la philosophie, c'est se heurter dès l’abord à la difficulté de définir l’objet traité, le territoire couvert, ses frontières, et les régions qui lui sont disputées par d’autres disciplines. Quand il s’agit de dictionnaires d’auteurs, écrivains ou philosophes, la perplexité est plus grande encore, puisqu’il faut classer des auteurs et non des œuvres, et leur accorder une qualification, un titre, de préférence à un autre. En pratique, le recours à l’usage, à la tradition, à des définitions et classifications historiquement, socialement et institutionnellement consacrées, permet de sortir d’embarras. Les littéraires feront une place aux philosophes qui « écrivent bien », dont la forme, le style se rapprochent le plus des genres communément admis en littérature, et qui n’effrayent pas le profane par la technicité de leur langue et de leur méthode d’exposition. Les philosophes reconnaîtront pour leurs les écrivains qui expriment des « idées », moralistes, essayistes, poètes « métaphysiques ». Ces critères de choix, est-il besoin de le dire, n’ont rien de rigoureux ni de satisfaisant intellectuellement, et les responsables des histoires et dictionnaires en question, aussi prudents et conciliants qu’ils soient, s’exposent à la censure, pour ceux qu’ils ont admis comme pour ceux qu’ils ont exclus.

 

Ces incertitudes pratiques ne font que mettre au jour des difficultés plus fondamentales, d’ordre théorique, qui touchent à la catégorisation des modes de pensée, d’expression et d’action de l’homme. L'histoire nous apprend que les sciences, arts, disciplines, genres, n’ont cessé de varier dans leur différenciation, leur définition, leur enseignement et leur transmission. Or rien ne montre mieux le caractère transitoire et équivoque de ces définitions que la notion même de « littérature » . Dans son sens le plus large, la littérature désigne la totalité du champ de l’expression écrite (et même orale), l’ensemble des discours humains, qu’ils utilisent la langue naturelle ou les langues artificielles et symboliques. Mais dans la mesure où le discours n’est pas seulement un système formel et a une signification, un contenu, un objet propres, la littérature se fragmente en discours particuliers et spécifiques qui ont tôt ou tard conquis leur autonomie de fait et de droit. Le discours scientifique est le premier à être devenu ainsi autonome, sous la forme du langage entièrement symbolisé des mathématiques, qui a servi ensuite de modèle et d’instrument aux autres sciences, à mesure qu’elles acquéraient indépendance et positivité.

 

Mais même ainsi amputé de la région de la science, le territoire de la littérature reste immense et mal défini. Dans 1'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, par exemple, le mot littérature, pour Jaucourt, est « un terme général qui désigne l’érudition, la connaissance des belles-lettres et des matières qui y ont rapport », alors que les lettres sont « les lumières que procure l’étude, et en particulier celle des belles-lettres ou de la littérature ». Dans ces définitions, l’érudition, c’est-à-dire tout ce qui relève de ce que nous appelons maintenant les sciences historiques, philologiques, sociales, économiques, juridiques, religieuses, etc., fait partie de la littérature, au même titre que les belles-lettres, alors que la philosophie, elle, n’appartient pas au domaine des lettres. Jaucourt la range du côté des sciences de la nature, ou, plus exactement, fait des sciences de la nature une partie (appelée « philosophie naturelle ») de la philosophie en général. Cette distinction, si caractéristique, ne signifie d’ailleurs pas séparation radicale : « Les lettres et les sciences ont entre elles l’enchaînement, les liaisons et les rapports les plus étroits [...]. L’homme attaché aux sciences et l’homme de lettres ont des liaisons intimes par des intérêts communs et des besoins mutuels ». C’est ainsi, note Jaucourt, qu’Empédocle et Parménide étaient « célèbres parmi les poètes comme parmi les philosophes ».

Or il suffit de quelques années pour que, dans le Supplément de cette même Encyclopédie (publié en 1776-1777), Marmontel se sente tenu de corriger, à l’article littérature, les définitions de Jaucourt : « Entre l’érudition et la littérature, il y a une différence qu’on n’a point marquée dans cet article du Dictionnaire raisonné des sciences ». Il faut, dit-il, distinguer entre l’« érudit », le « littérateur » (qui, uni à l’érudit est un « savant et un homme très cultivé »), et enfin l’« homme de lettres qui a le don de produire des ouvrages ingénieux ». Avec Marmontel, la signification proprement esthétique, nous pourrions dire poétique (le « don de produire ») de la littérature commence donc à se dégager, et elle sera définitivement acquise au début du xixe siècle. Désormais les choses semblent claires : il y a, d’un côté, tout ce qui relève d’un savoir positif, d’une activité d’acquisition et de transmission de connaissances rationnelles (sciences dites exactes, sciences en voie de se constituer sur le modèle de ces sciences exactes), et la philosophie comme « science des sciences » ou « science de la raison », et d’autre part la littérature comme activité esthétique, reposant sur les puissances de l’imagination et le libre jeu du langage, et cherchant moins à connaître le monde tel qu’il est qu’à en créer d’autres, capables de rivaliser en beauté avec lui. Dans sa préface à l’Histoire des littératures de l’« Encyclopédie de la Pléiade », Raymond Queneau exprime avec netteté ce point de vue qu’on peut appeler positiviste concernant les rapports entre la littérature et les autres disciplines. « Les techniciens, écrit-il (et il range parmi eux les philosophes), sortent de la littérature au fur et à mesure de l'élévation de leur spécialité à la dignité de la science. Euclide et Archimède figurent dans les Histoires de la littérature grecque. Alors que les mathématiques étaient hors de cause depuis longtemps, l'Histoire et la Philosophie continuaient à former un chapitre des Histoires de la littérature française au xixe siècle. La purification est maintenant accomplie ».

 

Mais, de Parménide à Heidegger, où est la purification? Cette manière de concevoir les relations de la littérature et de la philosophie (pour ne pas parler de la question du statut de l’histoire) comme réductibles à un lent et continuel processus de séparation, de dégagement de l’une par rapport à l’autre, jusqu’à ce que chacune accède à la pureté de son essence, suscite bien des objections, de fait comme de principe. Car loin d’être le résultat d’une longue ascèse, la distinction radicale, consciente et volontaire, entre les deux disciplines est au moins aussi ancienne que l’une d’entre elles, la philosophie. Le geste double de Platon, chassant de la cité les poètes et réservant l’entrée de son école aux seuls géomètres, est à cet égard décisif. Le poète est l’esclave des apparences, imitateur d’imitations, dispensateur de beaux mensonges, démoralisateur des citoyens. Le géomètre, lui, se meut déjà dans un monde d’idéalités, il est prêt à accéder aux Idées, d’où toute vérité et toute réalité découlent. Si la philosophie a comme ennemies la sophistique et la rhétorique, c’est que, comme la poésie, elles assoient leur pouvoir sur les équivoques et le caractère trouble du langage, alors que la philosophie se définit une fois pour toutes par la « recherche de la vérité ». Si le Gorgias, cependant, condamne sans appel la rhétorique, le Phèdre, dans une certaine mesure, la réhabilite : il y a une bonne rhétorique, celle qui est au service de la dialectique. Et la poésie va être réintégrée à la philosophie sous la forme du mythe. Les vérités les plus élevées ne peuvent être traduites par le concept et le raisonnement, et seul le mythe, le conte, par ses fortes images, par les séquences temporelles qu’il déroule, permet à l’homme, être de sensibilité et d’imagination, de s’approcher, fût-ce à titre de pressentiment, du monde des Idées éternelles. La manière

philosophie

« ·--�-------_.___ ___ ______ __ l'objet traüé, le territoire couvert, ses frontières, et les régions qui lui sont disputées par d'autres disciplines.

Quand il s'agit de dictionnaires d'auteurs, écrivains ou philosophes, la perplexité est plus grande encore, puisqu'il faut classer des auteurs et non des œuvres, et leur accorder une qualification, un titre, de préférence à un autre.

En pratique, le recours à l'usage, à la tradition, à des définitions et classifications historiquement, socia­ lement et institutionnellement consacrées, permet de sortir d'embarras.

Les littéraires feront une place aux philosophes qui «&:rivent bien», dont la forme, le style se rapprochent le plus des genres communément admis en littérature, et qui n'effrayent pas le profane par la technicité de leur langue et de leur méthode d'exposi­ tion.

Les philosophes reconnaîtront pour leurs les écri­ vains qui expriment des « idées », moralistes, essayistes, poètes « métaphysiques ».

Ces critères de choix, est-il besoin de le dire, n'ont rien de rigoureux ni de satisfai­ sant intellectuellement, et les responsables des histoires et dictionnaires en question, aussi prudents et conci­ liants qu'ils soient, s'exposent à la censure, pour ceux qu'ils ont admis comme pour ceux qu'ils ont exclus.

Ces incertitudes pratiques ne font que metu·e au jour des difficultés plus fondamentales, d'ordre théorique, qui touchent à la catégorisation des modes de pensée, d'expression et d'action de l'homme.

L'histoire nous apprend que les sciences, arts, disciplines, genres, n'ont cessé de varier dans leur différenciation, leur définition, leur enseignement et leur transmission.

Or rien ne montre mieux le caractère transitoire et équivoque de ces définitions que la notion même de «littérature>> 1 voir LITTÉRATURE].

Dans son sens le plus large, la littérature désigne la totalité du champ de l'expression écrite (et même orale), l'ensemble des discours humains, qu'ils utilisent la langue naturelle ou les langues artificielles et symboliques.

Mais dans la mesure où le discours n'est pas seulement un système formel et a une signification, un contenu, un objet propres, la littérature se fragmente en discours particu­ liers et spécifiques qui ont tôt ou tard conquis leur autonomie de fait et de droit.

Le discours scientifique est le premier à être devenu ainsi autonome, sous la forme du langage entièrement symbolisé des mathémati­ ques, qui a servi ensuite de modèle et d'instrument aux autres sciences, à mesure qu'elles acquéraient indépen­ dance et positivité.

Mais même ainsi amputé de la région de la science, le territoire de la littérature reste immense et mal défini.

Dans 1' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, par exemple, le mot LITIÉRATURE, pour Jaucourt, est « un terme général qui désigne l'érudition, la connaissance des belles-lettres et des matières qui y ont rapport », alors que les LETIRES sont « les lumières que procure l'étude, et en particulier celle des belles-lettres ou de la littérature».

Dans ces définitions, l'érudition, c'est-à­ dire tout ce qui relève de ce que nous appelons mainte­ nant les sciences historiques, philologiques, sociales, économiques, juridiques, religieuses, etc., fait partie de la littérature, au même titre que les belles-lettres, alors que la philosophie, elle, n'appartient pas au domaine des lettres.

Jaucourt la range du côté des sciences de la nature, ou, plus exactement, fait des sciences de la nature une partie (appelée « philosophie naturelle ») de la philo­ sophie en général.

Cette distinction, si caractéristique, ne signifie d'ailleurs pas séparation radicale : « Les let­ tres et les sciences ont entre elles 1 'enchaînement, les liaisons et les rapports les plus étroits [ ...

].

L'homme attaché aux sciences et l'homme de lettres ont des liai­ sons intimes par des intérêts communs et des besoins mutuels ».

C'est ainsi, note Jaucourt, qu'Empédocle et Parménide étaient « célèbres parmi les poètes comme parmi les philosophes ».

Or il suffit de quelques années pour que, dans le Sup­ plément de cette même Encyclopédie (publié en 1776- 1777), Marmontel se sente tenu de corriger, à l'article LITTÉRATURE, les définitions de Jaucourt :« Entre l'érudi­ tion et la littéramre, il y a une différence qu'on n'a point marquée dans cet article du Dictionnaire raisonné des sciences».

Il faut, dit-il, distinguer entre l', et d'autre part la littérature comme activité esthéti­ que, reposant sur les puissances de l'imagination et le libre jeu du langage, et cherchant moins à connaître le monde tel qu'il est qu'à en créer d'autres, capables de rivaliser en beauté avec lui.

Dans sa préface à l'Histoire des littérawres de l'« Encyclopédie de la Pléiade », Ray­ mond Queneau exprime avec netteté ce point de vue qu'on peut appeler positiviste concernant les rapports entre la littérature et les autres disciplines.. »

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