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Pierre-Jakez HÉLIAS, Le Cheval d'orgueil

Publié le 25/02/2011

Extrait du document

Je mène une double vie et il me semble bien que je la mènerai toujours. Pendant les trois quarts de l'année, je suis lycéen, étudiant, pion, répétiteur, professeur, ou bien il m'arrive de pratiquer différents métiers de nuit pour pouvoir finir ma licence dans les moments difficiles (...). Le dernier quart de l'année, je suis dans mon village, je reprends ma langue maternelle, j'abandonne ma défroque de travailleur intellectuel pour me glisser dans mon environnement paysan comme dans une chemise fraîche, je promène ma vache unique entre l'étable et les deux champs, je cueille les petits pois, je bats le blé, l'orge et le seigle, je ramasse les pommes de terre (...), je casse même quelques mètres de cailloux sur la route jusqu'au moment où ma mère décide que ces divers travaux ne sont plus de mon état. Comment, Marie-Jeanne Le Goff, lui disent les bonnes gens, votre fils qui est si instruit, qui a attrapé tant de diplômes, vous l'envoyez encore au champ et à l'usine? Ce n'est pas elle qui m'envoie, ni mon père non plus. C'est moi qui m'accroche obscurément à mes racines, je suppose. Et je m'aperçois bien que, sans le vouloir, à force de vivre dans les écoles, je me suis poussé moi-même hors de mon milieu (...). De mes copains de classe, les uns sont rentrés dans leurs fermes, d'autres sont ouvriers ou artisans, d'autres ont pris le train de Paris, d'autres encore (...), sont quartiers-maîtres ou seconds-maîtres dans la marine. Ces derniers ont des permissions d'été. Avec eux, nous nous réunissons sur la place, les mains dans les poches, autour d'une plaque indicatrice plantée devant les immenses tas de paille d'Henri Vigou-roux. Et nous attendons que le temps passe. Les gens disent, mi-railleurs, mi-fâchés, que nous « gardons le poteau«. Le dimanche, à pied d'abord, puis à vélo ou en car, nous allons au bal à Plozévet, Plougastel ou Plonéour, quelquefois plus loin. Mais, au bal aussi, nous sommes déjà à l'écart des autres, gentiment repoussés par les jeunes filles en coiffe pour lesquelles nous ne sommes plus un parti possible (...). Cela n'empêche pas l'amitié, mais il ne faut pas se dissimuler qu'il y a un clivage dans cette société paysanne si scrupuleuse sur la question des rangs.    Pierre-Jakez HÉLIAS, Le Cheval d'orgueil.    sujets au choix    1) L'auteur, de retour dans son village comme chaque année, rencontre l'un de ses anciens «copains de classe« paysan ou ouvrier. Ils parlent...    2) «C'est moi qui m'accroche obscurément à mes racines. « Commentez librement ce puissant attachement de l'homme à son pays natal et à ses habitants.    3) Présentez, en les ordonnant, les impressions que ce texte produit en vous et les réflexions qu'il vous inspire.

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