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Pourquoi des romanciers ?

Publié le 29/03/2011

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   Parlant du métier de romancier, François Mauriac écrit : Les personnages fictifs et irréels nous aident à nous mieux connaître et à prendre conscience de nous-mêmes... Et c'est sans doute notre raison d'être, c'est ce qui légitime notre absurde et étrange métier que cette création d'un monde irréel grâce auquel les hommes vivants voient plus clair dans leur propre cœur et peuvent se témoigner les uns aux autres plus de compréhension et de pitié.    Expliquez, commentez, et, si vous le jugez à propos, discutez ces lignes, en prenant comme exemple un roman (ou plusieurs) que vous connaissez bien.      Questions et problèmes    Sujet sur le roman, mais non sujet d'esthétique romanesque : les lignes de Mauriac ne portent pas sur les problèmes de fonctionnement interne du roman (structure, présence ou absence des personnages, techniques de représentation ou refus de la représentation, etc.), mais plutôt sur les problèmes de légitimité et d'utilité. Ceci implique que le public et le lecteur devront intervenir dans la discussion.

« — «commenter», ce sera l'analyse de l'analyse faite par Mauriac; — « discuter », ce sera un effort pour dépasser le moralisme. Analyse de l'analyse a) Mauriac parle d'« absurde et étrange métier » : le métier de romancier lui apparaît donc à la fois comme dépourvude finalité rationnelle ou utile, et comme justifié, indépendamment des critères bien-pensants traditionnels, par unpouvoir propre de connaissance et « d'éclairement ». b) Il semble pour lui ne pas faire de doute que le romancier dispose d'une « toute-puissance » : comme Dieu il créeun univers (« le monde irréel » où évoluent des « personnages fictifs ») qui semble ne rien avoir en commun avec lemonde « pratique ». c) Et pourtant il doit se produire quelque chose, puisque ce monde fictif « nous aide » : les personnages se mettentà vivre, deviennent un réel découvert, conquièrent leur autonomie.

Un monde irréel (qui n'a d'existence que par etdans l'écriture) se met, selon Mauriac, à servir à la connaissance du monde réel.

Le roman est donc un moyen deconnaissance, dont les effets sont aussitôt constatables : « ...

les hommes vivants [...] peuvent se témoigner lesuns aux autres plus de compréhension et de pitié.

» Mauriac élargit ici singulièrement une question posée pard'autres romanciers avant lui.

Là où Balzac se demande « ce qu'il va faire d'Eugénie Grandet », ou Flaubert ce qu'ilva faire de ou à Madame Bovary, c'est-à-dire là où ils posent la question seulement en terme d'intrigue ou dedrame, Mauriac la pose en termes moraux et émotifs : le personnage est un cas « humain ». d) Le roman ne change pas le monde (vieille idée chrétienne), mais le rend supportable, en enseignant : — à ne pas faire les mêmes fautes que les personnages (cf.

Illusions perdues : mettre en garde les jeunes genscontre les tentations de Paris et de l'ambition) — à comprendre ceux qui les font...

(Thérèse Desqueyroux), et en même temps il pose sur le monde une grille qui le rend intelligible autant pour l'écrivain que pour le lecteur. Dépasser le moralisme Mauriac le dépasse lui-même — même s'il n'insiste pas — en affirmant que le roman permet aux hommes de voir plusclair : a) Le roman explicite/explique l'impensé et le méconnu1. Exemple : Dans la Femme de trente ans, un enfant (légitime et mal aimé) fait accidentellement (du moins enapparence) tomber sa sœur (illégitime et adorée) dans la rivière.

On comprend aujourd'hui (grâce à la psychanalyse)que cet enfant voulait se venger de sa mère et que son acte avait des raisons qui échappaient à sa conscienceclaire, et même à celle du lecteur, qui censure ce genre de problèmes.

Mais le dévoilement par le texte joue encoreailleurs : c'est Balzac lui-même, « enfant du devoir », qui règle un vieux conflit avec sa propre mère, qui lui préféraitun frère adultérin.b) Le roman fait comprendre l'erreur, le fourvoiement : la vie réelle ne peut pas avoir valeur « pédagogique », parcequ'elle est en cours.

Il est impossible de tirer des leçons de ce qui n'a pas encore abouti, ou de ce dont on ne voitpas l'aboutissement.

En revanche, le roman classique (celui auquel pense Mauriac) donne l'image d'un destinachevé, ayant trouvé sa propre conclusion.

Dès lors tout s'ordonne, et le moindre élément prend sa place dans unensemble lisible (qui doit être lu, et non pas seulement qui peut être lu).

Emma Bovary se fourvoie — comme DonQuichotte —, parce qu'elle voit mal la nature des obstacles auxquels elle se heurte (d'où une suite d'entreprises deplus en plus catastrophiques).

Le roman — par son processus, non pas moral, mais littéraire — fait apparaître Emmacomme victime, alors qu'une Emma réelle, saisie dans ses actes au jour le jour, aurait été considérée commelibrement perverse : tout le roman la montre au contraire comme déterminée et manipulée. c) Le roman révèle aussi — ce que ne dit pas Mauriac — les mécanismes socio-historiques et les processus objectifsau travers de destinées individuelles. Exemple archi-célèbre : Fabrice à Waterloo au début de la Chartreuse de Parme.

Acteur de la bataille, il n'ycomprend rien.

Les acteurs de l'histoire ne voient pas l'histoire : Stendhal, par des moyens romanesques, montrel'opacité des événements historiques.

Cette opacité n'a pas un sens absolu : elle est doublement relative : — au moment où Stendhal écrit son roman et où l'idée qu'il se fait de Napoléon est dégradée par rapport à celle duRouge et le Noir; — au moment historique où l'Empire n'a plus de pouvoir réel sur le monde. Exemple dans Madame Bovary : l'irrésistible ascension de l'usurier Lheureux, qui fonde une entreprise de transports,. »

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