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Presque personne n'aime les vers: une étude de poésie

Publié le 17/09/2011

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Witold Gombrowicz est l’un des plus grands auteurs du vingtième siècle, et pourtant, il déclare ne pas aimer la poésie. Il explique ses raisons dans son texte ‘Contre la Poésie’ de 1955: “Ce que ma nature supporte difficilement, c'est l'extrait pharmaceutique et épuré qu'on appelle "poésie pure" surtout lorsqu'elle est en vers. Leur chant monotone me fatigue, le rythme et la rime m'endorment” … Cependant, il va encore plus loin en affirmant que “Presque personne n’aime les vers” . Pourquoi serait-ce le cas?

« “Presque personne n’aime les vers”… Est-ce vraiment le cas? N’importe qui, j’en suis persuadée, peut être amené àapprécier la poésie.

Prenons pour exemple ‘Regarde-le’ de Marceline Desbordes-Valmore.

Antérieurement, j’avaiscritiqué des poètes pour un usage excessif de répétitions.

Mais dans ce poème spectaculaire, la poète utilise unerépétition dans chaque strophe et pourtant, le poème semble tout sauf monotone, répétitif, boursouflé.

Aucontraire, Desbordes-Valmore joue avec les répétitions de telle manière à ce que le lecteur se sent dans la peau dela femme qui parle, partage ses inquiétudes.

Par exemple, la deuxième strophe est:S’il parle, écoute un peu sa voix:Je ne veux pas trop t’y contraindre;Je sais combien elle est à craindre,Ne l’entendît-on qu’une fois:S’il parle, écoute un peu sa voix!C’est très émouvant et tout sauf déshumanisant.

De plus, le lecteur ne connaît pas le contexte, l’histoire quiaccompagne cette imploration qui ressemble presque à une chanson ou prière; et ceci lui permet de plonger dans unnouveau monde fictif qu’il crée autour.

Si les vers signifie un poème qui enchante, qui donne le pouvoir sur un mondeimaginaire, qui permet au lecteur d’inventer une histoire, c’est normal que presque personne ne les aime! Le poèmede Desbordes-Valmore éveille certaines émotions, mais comme c’est le lecteur qui façonne sa réalité, il lui permetautant d’échapper du monde dans lequel il vit que de méditer dessus. Tous les poèmes sont ennuyeux et monotones; vrai? Faux! Après lire Fêtes de la faim d’Arthur Rimbaud, personne depourrait affirmer que la poésie est toujours monotone.

Avec beaucoup de finesse, il joue sur les répétitions et lessons pour créer une harmonie suggestive.

Tout au long du poème sont présentes des allitérations de sons secs etbruts qui créent une impression, qui expriment mieux que les mots, la rudesse et brutalité d’une vie accablée defamine.

La deuxième strophe, par exemple, est composée de quatre vers:Si j’ai du goût, ce n’est guèresQue pour la terre et les pierres.Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l’air,Le roc, les charbons, le fer.Il y a d’abord l’allitération de ‘goût’ et ‘guères’, la répétition de “dinn!” et des mots dont la première lettre est un sonbrut, tranchant (“gout”, “guères”, “terre”, “pierres”, “dinn!”, “roc”, “charbons”, “fer”).

De plus, le rythme est trèsdéfini, et souligné par des rimes plates structurées.

Grâce à la combinaison de ceci, Rimbaud réussit à refléter labrutalité de la famine.

Le lecteur l’entend, le sent, rien qu’au style et sons.

Ah! Comme c’est réducteur!déshumanisant! Dépourvu d’émotions! C’est une chanson sans musique, ce sont des sentiments sans mots, c’est del’art.

Le poète ouvre et ferme le poème avec le même distique: “Ma faim, Anne, Anne! / Fuis sur ton âne”.

Ceci créeun sentiment de clôture, de résolution désarmant.

Ainsi, le poème reste gravé dans l’esprit du lecteur.

Il sensibilisele lecteur et le fait réfléchir, de sorte à ce qu’il soit entraîné dans la misère de la personne qui a faim.

La poésie estdonc un moyen très effectif de dénoncer, mais de le faire de manière à ce que la personne soit touchée au plusprofond de soi-même. Nous avons vu que la structure dans la poésie peut être trop structurée, monotone, comme dans ‘Si tu ne sais,Morel, ce que je fais ici’ de Joachim Du Bellay.

Cependant, je n’affirmerais pas que c’est toujours le cas.

Prenons parexemple ‘Un immense désespoir’ de Charles Cros.

La première chose qui frappe est la structure de strophesverticales, qui donnent l’impression d’un écoulement rapide et violent.

La première strophe, par exemple, est:Un immense désespoirNoirM’atteintDésormais, je ne pourraisM’égayer au rose et fraisMatinCela sonne presque comme une méditation et a un effet très apaisant sur le lecteur.

Mais apaisant ne doit pas direennuyeux, au contraire! C’est beau, mélancolique, serein.

Le langage que Cros utilise est simple et accessible,comme on le voit dans la première strophe ci dessus.

De plus, ici il n’y a pas de contexte et c’est justement ça quirend ce poème si spécial.

Il n’est pas nécessaire pour sentir la peine du poète.

Il réussit à exprimer le sentiment dela perte de tout espoir, la jalousie, la nostalgie, le sentiment d’avoir tout perdu, de ne pas comprendre pourquoi,l’appréhension pour le lendemain… Déshumanisant et réducteur vous disiez? Incroyable. Gombrowicz a beau affirmer que personne n’aime la poésie, ici est une personne qui fait exception à la règle.

Certes,elle peut être trop travaillée, compliquée et artificielle au premier abord.

Mais, selon moi, il suffit de prendre le tempsd’apprécier le poème en sa plénitude, de comprendre l’auteur et le poème se dévoilera.

Tel un oignon, on pourratoujours révéler une couche inférieure et trouver quelque chose de nouveau, de différent avant d’en arriver à soncoeur.

Mais non seulement est la profondeur et complexité d’un poème fascinante, mais comme le dit simplementGombrowicz, “le vers enchante parce qu’il est beau”.. »

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