Problématique : le roman de l’abbé Prévost s’inscrit-il dans la double démarche classique du « placere » et du « docere » ?
Publié le 22/11/2023
Extrait du document
«
I)
Elaboration du plan et choix d’une problématique.
I)
Un livre plaisant et divertissant.
1) La structure de l’œuvre et l’écriture dynamique contribuent au
plaisir de la lecture (multiples voix narratives, récits
enchâssés, rebondissements/ péripéties…)
2) Une œuvre au souffle sentimental qui plait aux lecteurs = un
roman sensible
II)
Un livre instructif pour le lecteur.
1) Un roman qui renseigne sur la condition des femmes au
XVIIIe siècle
2) Un roman qui offre une véritable peinture de la société du
XVIIIe siècle, société qui est corrompue et attache une
grande importance à l’argent et au jeu.
III)
Un livre complexe et profondément humain.
1) Une œuvre complexe qui illustre les paradoxes de l’âme
humaine.
2) Une œuvre qui ne cherche pas vraiment à délivrer une
leçon de morale mais invite le lecteur à devenir son propre
sujet d’étude, à prendre du recul sur les faits présentés et
sur lui-même.
Problématique : le roman de l’abbé Prévost s’inscrit-il dans la double
démarche classique du « placere » et du « docere » ?
……………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………..
I)
1) La structure de l’œuvre et l’écriture dynamique contribuent
au plaisir de la lecture (multiples voix narratives, récits
enchâssés, rebondissements/ péripéties…)
Idées pour l’écriture dynamique : Prévost s’inspire du roman picaresque
d’origine espagnole, qui narrait les aventures rocambolesques, les brusques
élévations et les revers de fortune d’un héros intelligent, sympathique et
« débrouillard », le picaro, à travers diverses couches sociales.
Le plus récent
chef-d’œuvre français de ce genre romanesque prisé du public était L’histoire de
Gil Blas de Santillane de Lesage (1715).
Dans Manon, en un temps restreint
(quelques mois, et à la fin, juste quelques jours) intervient une série d’aléas
invraisemblables : retrouvailles au parloir, fugue, rencontre de Lescaut, incendie
et pillage du logis de Chaillot, vol par les valets, infidélité de Manon, revirement
lorsqu’elle renonce à vivre avec G…M…, vol des bijoux et de l’argent, coup de
théâtre avec la vindicte de G… M…, double détention, double évasion assaisonnée
de deux assassinats (le portier, Lescaut) ! Enrichissement et ruine se succèdent
rapidement, le hasard, ressort habituel des récits d’aventures, intervenant sans
cesse pour aider ou entraver les projets du héros.
Le naïf Des Grieux se métamorphose.
Comme un picaro il devient actif,
volontaire et ingénieux, un peu filou : dextérité rapidement acquise pour tricher
au jeu, hypocrisie (vis-à-vis du Supérieur), manipulation (il utilise Tiberge pour
écrire à Lescaut), organisation des évasions, recherche d’alliés (Lescaut, M.
de
T…) … Il étouffe ses scrupules, et va jusqu’à tuer le portier avec cynisme et
légèreté.
Certes, contrairement au picaro, qui est souvent un bâtard ou d’origine
basse, il n’est pas ambitieux, mais son amour pour Manon remplace ce mobile
traditionnel.
Idées en rapport avec la structure de l’œuvre : Deux narrateurs.
1er narrateur : Renoncour est l’homme qui dit « je » dans « L’Avis » et le
début du roman.
Il est le narrateur des Mémoires d’un homme de qualité, sept
tomes publiés de 1728 à 1731 par Prévost et qui racontent l’histoire de
Renoncour.
Après une enfance sereine, bien que son père ait épousé sa mère,
socialement inférieure, contre l’avis de leurs parents, ce noble voit sa famille
brisée par des deuils (mère et sœur).
Forcé de courir le monde, il trouve l’amour
en Turquie auprès de Sélima et l’épouse en secret.
Elle meurt en accouchant
d’une fille, Julie.
Inconsolable, il l’élève, puis annonce sa retraite chez les
religieux (tomes I et II).
Devenu précepteur d’un jeune marquis, il voyage avec
son élève à travers l’Europe, et rapporte ses observations et ses expériences
(Tomes III à VI).
Au tome III, les deux voyageurs rencontrent Des Grieux, qui
leur raconte ses aventures, mais celles-ci méritant un développement important,
Renoncour en reporte le récit au dernier tome de ses Mémoires (tome VII).
Il
n’est pas sans conséquence que Manon fasse partie d’un autre ouvrage.
La
personnalité de Renoncour infléchit le regard du lecteur de Manon, qui, introduit
par ce témoin bienveillant, écoutera avec attention et compassion les malheurs
de Des Grieux.
Emu par le sort des amants de Pacy, si proche du sien,
Renoncour les aide.
Extérieur à l’intrigue, il ne cherche pas à l’influencer ou à
juger Des Grieux.
Il en est de même du jeune marquis, auditeur muet.
Le 2e narrateur, Des Grieux se confesse à un moment précis de sa vie, alors
qu’il bénéficie d’un certain recul sur son aventure, mais d’un recul assez réduit.
On sent d’ailleurs que sa narration est surtout ordonnée par l’émotion des
souvenirs et on constate qu’il alterne entre l’incantation consolatrice et le
plaidoyer, cherchant à trouver un sens à une vie brisée.
Parfois, il fait preuve
d’une réelle lucidité et ne se montre pas en permanence aveuglé par sa passion :
il reconnaît ainsi de temps en temps ses limites et ses erreurs, et renonce même
parfois à l’analyse, préférant évoquer ses gestes, ses larmes, ou reproduire son
discours intérieur.
Et lorsque le héros cède la parole à Manon, à Tiberge ou
à son père, pour un dialogue ou un récit, c’est lui qui rapporte et
commente ces autres points de vue.
Quand leur vision est contradictoire,
celle de Des Grieux prédomine.
Idées en rapport avec le rythme de la narration : il faudrait parler des
ellipses et accélérations, des ralentissements, des anticipations (prolepses) et
des retours en arrière (analepses).
Citations (nombreuses péripéties) :
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Des Grieux décide de fuir avec Manon qu’il vient de rencontrer à
Amiens : « Après quantités de réflexions, nous ne trouvâmes point
d’autre voie que celle de la fuite.
Il fallait tromper la vigilance du
conducteur […].
Nous réglâmes que je ferais préparer pendant la
nuit une chaise de poste, et que je reviendrais de grand matin à
l’auberge avant qu’il fût éveillé ; que nous nous déroberions
secrètement » p.47
Des Grieux se fait enlever par des laquais de son père : « A peine
avais-je ouvert, que je me vis saisir par trois hommes, que je
reconnus pour les laquais de mon père.
» p.54
Des Grieux se défroque : « Je repris les galons et l’épée.
» p.72
Le valet de Des Grieux et la femme de chambre de Manon volent
leurs maîtres : « La serrure de mon cabinet avait été forcée, et
mon argent enlevé, avec tous mes habits.
» p.88
Manon et Des Grieux tentent d’arnaquer M.
de G…M… mais celui-ci
s’en rend compte et les fait arrêter : « Nous étions encore au lit,
lorsqu’un exempt de police entra dans notre chambre avec une
demi-douzaine de gardes.
» p.99
Evasion de Des Grieux de Saint-Lazare : « J’aperçus les clefs qui
étaient sur sa table.
Je les pris.
» p.116 + meurtre du portier
« C’était un puissant coquin, qui s’élança sur moi sans balancer.
Je
ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la
poitrine.
» p.116
Evasion de Manon de l’Hôpital, habillée en homme : le cocher me
répondit « qu’il voyait bien que ce beau jeune homme, qui
s’appelait Manon, était une fille que j’enlevais de l’Hôpital »p.124
Deuxième arrestation : « Conduisez-les au Petit Châtelet, dit-il (=
M.
de G…M…) aux archers, et prenez garde que le Chevalier ne
vous échappe.
C’est un rusé, qui s’est déjà sauvé de SaintLazare.
» p.171
Déportation en Amérique : « Après une navigation de deux mois,
nous abordâmes enfin au rivage désiré.
» p.196
Duel Des Grieux/ Synnelet : « je lui fournis un coup si vigoureux
qu’il tomba à mes pieds sans mouvement.
Malgré la joie que donne
la victoire après un combat mortel, je réfléchis aussitôt sur les
conséquences de cette mort.
» p.205
La fuite de Manon et de Des Grieux dans l’espoir de trouver des
colonies anglaises ou des « sauvages » : « Nous avions à
traverser, jusqu’à leurs colonies, de stériles campagnes de
plusieurs journées de largeur, et quelques montagnes si hautes et
si escarpées que le chemin en paraissait difficile aux hommes les
plus grossiers et les plus vigoureux.
» p.207
I.
2) Un roman sensible et des héros émouvants.
Idées : Le recours au pathétique, l’analyse psychologique et physique
des sentiments chez un être vertueux mais faible, enfermé dans sa
condition sociale, épris d’un idéal inaccessible, rattachent Manon au
courant « sensible ».
Des Grieux se rapproche des héros romantiques du
XIXe siècle.
Il leur ressemble par sa recherche de l’absolu, sa hantise du
destin, l’obsession du deuil de l’aimée, sa tentation constante du suicide,
son goût de la retraite, ses interrogations métaphysiques et angoissées
sur le bonheur et le sens de l’existence.
De même, Manon, courtisane
purifiée par son amour et son sacrifice final, préfigure les héroïnes
romantiques fauchées par une mort brutale et qui laissent de douloureux
regrets à leurs amants.
Les lecteurs sont d’autant plus touchés par cette
histoire que le récit est narré à la première personne du singulier ce qui
permet d’accéder aux pensées intimes, aux sentiments de Des Grieux et
est caractéristique du genre....
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