Devoir de Philosophie

Provence, garde-moi (Colette)

Publié le 26/03/2011

Extrait du document

provence

   Quel pays! L'envahisseur le dote de villas et de garages, d'automobiles, de faux « mas « oti l'on danse ; le sauvage du Nord morcelle, spécule, déboise, et c'est tant pis, certes. Mais combien de ravisseurs se sont, au cours des siècles, épris d'une telle captive? Venus pour concerter sa ruine, ils s'arrêtent tout à coup, et l'écoutent respirer endormie. Puis, doucement, ils ferment la grille et le palis, deviennent muets, respectueux ; et, soumis, Provence, à tes vœux, ils rattachent ta couronne de vigne, replantent le pin, le figuier, sèment le melon brodé, et ne veulent plus, belle, que te servir et s'y complaire.    Les autres, fatalement, te délaisseront. Auparavant, ils t'auront déshonorée. Mais tu n'en es pas à une horde près. Ils te laisseront, ceux qui sont venus sur la foi d'un casino, d'un hôtel ou d'une carte postale. Ils fuiront, brûlés, mordus par ton vent tout blanc de poussière. Garde tes amants buveurs d'eau à la cruche, buveurs du vin sec qui mûrit dans le sable ; garde ceux qui versent l'huile religieusement, et qui détournent la tête en passant devant les viandes mortes ; garde' ceux qui se lèvent matin et se bercent le soir, déjà couchés, au petit halètement des bateaux dé fête, sur le golfe, — garde-moi...    Colette, la Naissance du jour.    • Étudiez dans ce texte, sous forme de commentaire composé, révocation de la Provence et le sentiment que l'auteur lui porte.

Conseils    1° Le sujet semble limiter le commentaire — toujours « composé « — à deux questions précises : « évocation de la Provence « et « sentiment « de l'auteur. C'est dire trop ou trop peu...    2° Il est utile, en effet, de voir que, de ce « sentiment «, naît chez Colette une véritable révolte contre ceux qui abîment un pays qu'elle aime ; et cela prend ici une grande place.    3° Une fois de plus, on peut regretter que cette page n'ait pas été datée (1928) : cela est important, car d'entrée on peut remarquer l'actualité troublante de ce texte écrit voici pourtant près de cinquante ans.    4° Le style de Colette est celui d'un poète. On ne peut commenter cet extrait d'un roman sans insister sur son aspect « poème en prose «.   

provence

« G.

Beaumont et A.

Parinaud, Colette par elle-même (pp.

31-32). SUJET DÉVELOPPÉ Introduction La mère de Colette, connue dans son œuvre sous le nom de Sido, lui reproche de moins lire Saint-Simon que desromans inutiles et lui donne à satiété ce conseil dont la romancière a fait sa religion : « Regarde!...

» Et c'est parcequ'elle sait si bien regarder que l'auteur de la Naissance du jour dispose d'un tel pouvoir d'évocation. Développement Colette, villageoise native d'un petit pays qui n'est ni de la Bourgogne, ni du Berry, ni de l'Ile-de-France, l'a évoquéainsi : « Point de chemin de fer dans mon pays natal, point d'électricité, point de collège proche, ni de grande ville.» Elle s'en éloigna mais en garda toujours quelque chose car elle pensait avec Léon-Paul Fargue « qu'on ne guéritjamais de son enfance ».

En particulier, les lieux qu'elle a le plus aimés, elle les voulait simples et aussi proches quepossible de leur vraie nature, aussi peu « civilisés » que son village. C'est pourquoi son art est moins de description que d'évocation.

On chercherait en vain ici le terme « cote d'azur »ou un quelconque synonyme ; mais, même sans l'apostrophe qui désigne nommément la Provence, on la devine et onla respire.

Il suffît pour cela de peu de chose : une allusion à la végétation, le pin et le figuier.

Ayant séjourné untemps à Saint-Tropez — qui n'était pas en 1928 ce que c'est aujourd'hui! — elle a été séduite par les vignes quis'étendent de la côte à Ramatuelle, comme une « couronne », et elle a gardé le goût de ce « vin sec qui mûrit dansle sable ».

Elle a fréquenté ces habitants de Provence qui « versent l'huile religieusement » et sont assezsuperstitieux ou sensibles pour « détourner la tête devant les viandes mortes ».

Bien entendu, cette évocationserait incomplète sans la présence de la mer, que l'on devine plus qu'on ne la voit.

Sous un « vent tout blanc depoussière », Colette évoque le « golfe » et « le petit halètement des bateaux de fête ». Cet amour de la vraie nature — qui permet à Colette d'éviter toute description banale ou traditionnelle et de fairevoir un fruit avec un seul adjectif, ainsi le « melon brodé » — cet amour lui dicte un véritable sentiment de révolte àl'égard des ennemis de la nature.

« Envahisseur », « sauvage du Nord », « ravisseur », Colette les rassemble dansun seul mot : « horde », gens qui ont leurs garages pour leurs automobiles, car ils ne savent point marcher « de cepas égal qui, sans hâte, réduit les distances ».

Ils sont venus pour danser et boire on ne sait quel breuvage,dédaignant le vin du crû et plus encore l'eau qui se boit à la cruche.

Ils sont venus pour « spéculer » etconstruisent des « mas » qui n'ont de provençal que le nom...Ah! Comme on voudrait que soit vraie cette prophétie : « Les autres, fatalement, te délaisseront! » Depuis 1928,ces « autres » ont bien continué de « déshonorer » la Côte d'Azur, mais cela rapporte trop pour qu'ils l'aientdélaissée! Ils ne se sont pas contentés des « mas » qu'on peut au moins cacher dans la verdure ; ils ont commencéd'édifier cette chaîne de « buildings » de luxe, ce « mur de béton » qui déshonore une société, et l'on a pu poseravec angoisse la question : « La Côte d'Azur assassinée?...

» Pourtant, la nature de Colette ne la pousse pas à la haine ni à la vindicte ; la nature lui dicte bien plus des papesd'une « louangeuse tendresse ».

Alors, elle ne veut voir que ceux qui, à son exemple, deviennent « muets,respectueux », ceux qui n'ayant pas passé leurs soirées dans les boîtes de nuit et s'étant couchés tôt, serontimpatients d'entendre le matin ce qui les a bercés le soir : l'appel des « bateaux de fête », et par ces trois mots,Colette évoque ces petites barques dont les voiles colorées tachent joyeusement le ciel et l'eau pour la plus grandejoie et la meilleure inspiration de certains peintres et de tous les amoureux d'un spectacle dont « les autres »n'auront jamais la moindre idée ni le moindre regret car ils sont de ceux qui ont des yeux pour ne pas voir. Or, Colette a non seulement des yeux pour voir, mais aussi une plume pour s'exprimer, une plume bien à elle, unstyle reconnaissable en quelques lignes sinon en quelques mots. C'est d'abord l'emploi du mot propre et local.

Ici, elle ne dit pas « clôture » : ou « enclos », mais « palis » dontl'étymologie évoque les pieux qui le composent mais aussi la coutume très locale. C'est ensuite un sens inné, un instinct très subtil de l'adjectif.

Non que Colette en abuse à la manière desromantiques : il s'en trouve très peu ici dans les deux premières phrases.

Mais voici que les sauvages touchés par lagrâce vont devenir « muets, respectueux », car pour Colette la contemplation de la nature est silencieuse.

Avecquelle tendresse elle les oppose à ceux qui s'enfuient « brûlés, mordus » par le vent.

Et voici encore, tout à la fin,l'adjectif inattendu, presque impropre : un halètement « petit ». C'est enfin ce mouvement des paragraphes et ce rythme des phrases tout en spirales — « Ma nature se plaît à lacourbe », dit-elle.

La juxtaposition de trois verbes dit l'agitation du « sauvage du Nord ».

L'adverbe, terme essentieldonc rare, prend toute sa force parce que Colette n'omet pas de le mettre entre virgules, et par là nous contraint ànous y arrêter.

Et c'est ainsi que nous nous acheminons, comme sans y songer vers la prière finale annoncée dansl'exclamation première, « Quel pays! », préparée par l'apostrophe centrale, soigneusement gardée en réserve et quelious recevons comme une imploration très tendre : « Garde-moi...

» Conclusion. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles