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Quatrième partie, chapitre II - Germinal de ZOLA

Publié le 17/01/2022

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Enfin, M. Hennebeau, qui était resté pensif, se leva, pour les congédier. Tous l'imitèrent. Etienne, légèrement, avait poussé le coude de Maheu ; et celui-ci reprit, la langue déjà empâtée et maladroite : – Alors, Monsieur, c'est tout ce que vous répondez... Nous allons dire aux autres que vous repoussez nos conditions. – Moi, mon brave, s'écria le directeur, mais je ne repousse rien !... Je suis un salarié comme vous, je n'ai pas plus de volonté ici que le dernier de vos galibots. On me donne des ordres, et mon seul rôle est de veiller à leur bonne exécution. Je vous ai dit ce que j'ai cru devoir vous dire, mais je me garderais bien de décider... Vous m'apporterez vos exigences, je les ferai connaître à la Régie, puis je vous transmettrai la réponse. Il parlait de son air correct de haut fonctionnaire, évitant de se passionner dans les questions, d'une sécheresse courtoise de simple instrument d'autorité. Et les mineurs, maintenant, le regardaient avec défiance, se demandaient d'où il venait, quel intérêt il pouvait avoir à mentir, ce qu'il devait voler, en se mettant ainsi entre eux et les vrais patrons. Un intrigant peut-être, un homme qu'on payait comme un ouvrier, et qui vivait si bien ! Etienne osa de nouveau intervenir. – Voyez donc, monsieur le directeur, comme il est regrettable que nous ne puissions plaider notre cause en personne. Nous expliquerions beaucoup de choses, nous trouverions des raisons qui vous échappent forcément... Si nous savions seulement où nous adresser ! M. Hennebeau ne se fâcha point. Il eut même un sourire. – Ah ! dame ! cela se complique, du moment où vous n'avez pas confiance en moi... Il faut aller là-bas. Les délégués avaient suivi son geste vague, sa main tendue vers une des fenêtres. Où était-ce, là-bas ? Paris sans doute. Mais ils ne le savaient pas au juste, cela se reculait dans un lointain terrifiant, dans une contrée inaccessible et religieuse, où trônait le dieu inconnu, accroupi au fond de son tabernacle. Jamais ils ne le verraient, ils le sentaient seulement comme une force qui, de loin, pesait sur les dix mille charbonniers de Montsou. Et, quand le directeur parlait, c'était cette force qu'il avait derrière lui, cachée et rendant des oracles.

La délégation des mineurs, en ce lundi 15 décembre 1866, premier jour de grève, est reçue par M. Hennebeau, directeur général de la Compagnie de Montsou (voir page 119 : « La grève : histoire et fiction «). Maheu, puis Etienne expriment les revendications des mineurs, sans être compris et sans obtenir la moindre satisfaction ils n'acceptent pas que le boisage (le travail de soutien des galeries, pour éviter les éboulements) soit payé à part et que, de ce fait, le prix de la berline de charbon se trouve réduit de cinq centimes. Ils demandent donc le statu quo, mais avec une augmentation de cinq centimes par berline.  Aucun espoir de conciliation n'étant permis, la négociation tourne court et la rupture paraît consommée, quand Etienne presse Maheu d'intervenir une dernière fois, afin d'obtenir une réponse sans équivoque et définitive du directeur.  Les mineurs, en fait, n'ont pas entièrement abandonné le projet d'infléchir la position de M. Hennebeau, comme en fait foi la déception exprimée par Maheu : « c' est tout ce que vous répondez... «.  Ils attendent de Hennebeau un geste de bonne volonté. Maheu s'était exprimé avec l'éloquence que confère aux paroles une inattaquable sincérité et il lui est difficile, sans faire preuve de lourdeur et de maladresse, de se comporter avec diplomatie devant le directeur, aussi a-t-il perdu son aplomb (il a la langue « empâtée et maladroite «).

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« La grande société anonymeComment les ouvriers pourraient-ils apprécier le statut de Hennebeau, s'il ne correspond ni à ce qui est énoncéexpressément (celui d'un « salarié »), ni à la condition d'un patron, d'un dirigeant responsable (« un homme qu'onpayait comme un ouvrier et qui vivait si bien »)?Ce que ne comprennent pas les mineurs, c'est que le directeur de la mine puisse les empêcher de se faire entendre,fasse obstacle, comme intermédiaire, entre eux et les vrais maîtres de la Compagnie (« en se mettant ainsi entreeux et les patrons »).

Aux yeux d'ouvriers accoutumés à nouer des relations personnelles — un contact directd'homme à homme, au moyen d'une communication orale —, le rôle tenu par Hennebeau est inconcevable ou alorsc'est une incongruité, un non-sens (une personne réduite à une fonction de simple intermédiaire, alors qu'elle estinvestie de l'autorité directoriale).Quand Etienne prend la parole à son tour, le directeur a cessé d'être un interlocuteur, il a perdu son statut de «personne » accessible à une relation humaine : « comme il est regrettable que nous ne puissions plaider notre causeen personne », déclare Etienne (il « osa » intervenir, après que tout a été dit).

La grande Compagnie anonyme,émanation du capitalisme sauvage, s'impose comme un pouvoir impersonnel, fatal et déshumanisant, dont on nepeut être entendu en tant que « personne ».

Etienne ne demandait pas autre chose qu'une écoute attentive de ses« raisons », il était disposé à poursuivre un dialogue, pourvu qu'il puisse « plaider » la cause des mineurs.

Il n'y apersonne pour les écouter et ils ne savent « où » s'adresser : ce lieu inconnu, Hennebeau le désigne vaguement,avec un sourire, une complaisance dérisoire, que traduit le geste de la main « tendue vers une des fenêtres ».

Paris,où siègent les régisseurs, est un lieu insaisissable, comme ce capital qu'Etienne et les délégués tentent de sereprésenter. Le dieu CapitalCe dieu imprévisible et tyrannique est d'autant plus effrayant qu'il est lointain et inaccessible.

Le dernier paragraphe,moyennant le recours au discours indirect libre (« Où était-ce, là-bas...

», « c'était cette force...

») exprime lavision, déformée par l'ignorance et la crainte, qu'élabore la pensée collective du mineur.Le dieu inconnu est une « force » que l'on sent mais que l'on ne verra jamais : la parole et la présence deHennebeau dissimulent, plus qu'elles ne transmettent, cette volonté mystérieuse et irrationnelle du dieu Capital.Dès l'ouverture du roman, Etienne avait interprété le geste énigmatique de Bonnemort comme le signe d'uneprésence lointaine et redoutable, celle d'un dieu repu de chair humaine et accroupi.Ici, le monstre du Voreux, du fait de sa puissance lointaine, est devenu un dieu accroupi et terrifiant et, bien qu'onn'évoque pas son avidité anthropophage, il est un monstre composite, réunissant les attributs de l'animal («accroupi »), de l'homme (il rend des « oracles »), du dieu tout-puissant (les « oracles » font connaître la volonté, ladécision du dieu retiré dans son sanctuaire, le « tabernacle »). CONCLUSION Se rendant à Paris — où se cache le dieu Capital —, dans le dernier chapitre de Germinal, Etienne rejoindra Pluchart,le chef syndicaliste.

Il ira, par la suite, voir de plus près « l'idole monstrueuse » afin de l'affronter.

Il est vrai qu'à cemoment-là, le Voreux, l'autre face du monstre, mais la face visible et familière, aura été détruit par Souvarine, quise sera fait l'allié de la nature déchaînée.. »

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