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Qu’est-ce qu’un personnage littéraire?

Publié le 27/11/2018

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Qu’est-ce qu’un personnage littéraire? Si le sens commun et la tradition du discours critique sur les textes posent le personnage comme une vérité évidente, réservant leurs interrogations pour d’autres domaines — eux-mêmes sous-tendus, le plus souvent, par la façon dont sont ressentis et interprétés les personnages, porte-parole de l’auteur et supports du récit —, on peut cependant, dans une perspective plus rigoureuse, se poser les questions suivantes :

 

Le « personnage » existe-t-il autrement que comme une réalité psychique calquée sur le modèle des personnes réelles?

 

Si oui, de quoi est-il fait? Quels sont les signes linguistiques constitutifs de cette entité?

 

En fait, la notion de personnage est floue et multiforme : le héros épique de la chanson de geste, du récit mythique ou hagiographique est, comme son nom l’indique, proche de l’univers des dieux et des déesses; les personnages de la tragédie classique sont encore imprégnés de cette aura surnaturelle (Phèdre) ou de cette majesté légendaire que donne l’éloignement historique (Cinna, Horace...) ou géographique (Bajazet). Le personnage de comédie, avec ses surnoms fantaisistes (Ville-brequin, Sganarelle, Chérubin, plus près de nous Estragon, Lucky...), n’est pas moins imaginaire. Contrairement aux apparences, l’« anti-héros » apparu dans l’anti-théâtre contemporain n’est pas une forme démocratisée, humanisée, du demi-dieu mais l’envers parodique d’un univers coupé du réel. En ce sens, le héros ou l’anti-héros sont bien des personnages artificiels, littéraires. Ils ont une signification symbolique, abstraite et, si les problèmes d’identification et de projection du lecteur-spectateur demeurent (cf. notamment la polémique autour de l’opposition entre la « catharsis » classique et la distanciation brechtienne), ils fonctionnent comme des types universels qui transcendent les particularismes proprement « humains » (Tartuffe, Figaro, Cosette...).

Le personnage de l’époque réaliste se rapproche plus de l’homme concret : les romans de Flaubert, le théâtre de boulevard sont peuplés d’êtres médiocres que l’on croirait directement issus de la vie quotidienne. Les rôles stéréotypés du confident, du valet, du soldat fanfaron, du cuistre, du jeune premier ou de l’héroïne séduisante disparaissent en partie au profit de l’homme (ou de la femme) « de tous les jours », Frédéric Moreau, Mme Amoux..., dont l’anthroponymie même atteste l’appartenance à une classe sociale et à un genre littéraire spécifiques : la littérature sérieuse de la bourgeoisie (cf. les analyses socio-stylistiques d’Auerbach dans Mime-sis). La notion d’acteur s’efface progressivement et laisse la place à la notion de personne. Il y a alors confusion entre deux univers : celui de la vie réelle, qui tend à s’appréhender de façon de plus en plus codifiée suivant des normes comportementales et sociales; celui de la littérature, dont la littérarité — selon le mot des formalistes russes — tend à se perdre. A l’époque contemporaine, une réaction se fait sentir, qui donne à nouveau au personnage le statut énigmatique et ambigu qui était le sien à ses origines : les visages anonymes qui hantent le Nouveau Roman interpellent le lecteur plus qu’ils ne le reflètent. Chez Beckett, chez Le Clézio, réduits à une initiale ou à une voix qui soliloque, les personnages retrouvent leur dimension tragique et mythique : si Adam est le premier homme, tous les hommes (Le Clézio, le Procès-verbal), il n’est aucune personne en particulier. Ionesco mélange ces différentes hypostases du personnage dans Rhinocéros, par exemple : le docteur de la commedia delParte (« le Logicien »); des noms fantaisistes, molié-resques (« Monsieur Papillon », « Madame Bœuf »); des représentants de l’humanité « moyenne » (« la Ménagère », « l’Épicière »); les « types » de la médiocrité bureaucratique rappelant Bouvard et Pécuchet (« Dudard », « Botard »); enfin le héros mythique et surnaturel qui ailleurs sera le « piéton de l’air» : « Bérenger », dont, paradoxalement, le nom, très commun, dissimule l’intrusion du merveilleux, comme M. Hulot chez Jacques Tati.

 

Personne et personnage

 

Le culte de la liberté du héros échappant à la volonté de son créateur a savamment été entretenu par les écrivains eux-mêmes. Les intrusions de l’auteur, dès les romans les plus anciens, en gommant la spécificité du narrateur par rapport à l’acteur, ont contribué à accréditer ce mythe. On connaît la position de Mauriac, désormais célèbre : « Plus nos personnages vivent et moins ils nous sont soumis » (le Romancier et ses personnages). Le personnage, en tout point semblable à une personne humaine, aurait donc une existence propre, une « épaisseur psychologique », une identité. En fait, le lecteur serait-il capable de répondre de façon précise à la question : quel est l’âge du héros? ou encore : quels sont les traits de caractère explicitement formulés et nommés par l’auteur? L’écrivain lui-même ne semble pas se soucier de ces préoccupations; il est significatif que Stendhal n’indique l’âge de ses personnages que dans les marges de Lucien Leuwen, par exemple : « On trouvait dans la société que Lucien avait une tournure élégante, de la simplicité et quelque chose de fort distingué dans les manières ». Marginalia : « Age de Lucien : 23; la mère 18 de plus : 41; Monsieur Leuwen, plus 25, égale 66 ans ». Il se contente ainsi d’éviter de trop flagrants anachronismes : la véritable substance du héros doit être cherchée ailleurs.

 

Les procédés de la caractérisation

 

Quels sont les signes constitutifs du personnage? Si l’état civil, la fonction sociale, l’appartenance à une classe (vêtements, mobilier plus ou moins riche), l’ensemble des caractères morphologiques sont relativement faciles à répertorier, on ne saurait négliger pour autant toutes les caractéristiques qui, si elles ne font pas directement partie du portrait du personnage, contribuent à le rendre présent dans l’esprit du lecteur. Aussi convient-il de rechercher les éléments pertinents de la caractérisation au moins à deux niveaux :

 

La caractérisation intrinsèque. C’est avant tout le portrait proprement dit, dont l'inventaire lexical a correspondu à des règles diverses mais précises (les « caractères », au xviie siècle, le topos de la beauté féminine idéalisée, au xviiie siècle, la fiche minutieusement établie, à l’époque du réalisme, etc.). L'interprétation de tous ces « indices explicites » (Lévi-Strauss) dépend évidemment d'une culture extérieure au texte qui codifie la signification de ces éléments descriptifs. Tel trait physique peut en effet symboliser tel trait de caractère; l’opposition blonde/brune peut connoter l’opposition stéréotypée du bien et du mal, de la pureté angélique et de la fascination satanique (cf. le couple Mme de Mortsauf/Lady Dudley dans le Lys dans la vallée).

 

La caractérisation indirecte. La caractérisation est plus souvent implicite qu'explicite, éparse au niveau du dire, du faire, du regard des autres, et peut-être aussi des sous-entendus et du non-dit. Tartuffe n’entre en scène qu’au IIIe acte : le spectateur se le représente déjà sans ambiguïté; Phèdre est une héroïne rare (elle n'apparaît que dans douze scènes sur les trente que comporte la pièce de Racine) : son portrait n’est pas moins précis que celui d’un personnage prodigué (Sganarelle, dans Dom Juan : vingt-six scènes sur vingt-sept). Quel que soit le terme retenu (vision indirecte, oblique, externe), il conviendra d'opposer un système univoque de caractérisation, le plus souvent attributif, à des structures plus complexes, offrant à l’interprétation une pluralité de significations. Il suffit de comparer ces deux exemples tirés de Lucien Leuwen : « L’abandon était rare chez lui » et « Il faut me méfier de mes premiers mouvements, se disait-il », pour voir, dans le premier cas, une déclaration de l’auteur transparente, indubitable; la qualité du héros fait partie du portrait. Dans le second cas, la caractérisation est déduite indirectement, à partir d'une compétence culturelle où un tel type de pensée est ressenti comme symptomatique de la résistance à l’abandon. Et encore peut-on se demander s’il s’agit là d'un trait structurellement constitutif de la personnalité ou d'un sentiment passager.

« classe (vêtements, mobilier plus ou moins riche), l'en­ semble des caractères morphologiques sont relativement faciles à répertorier, on ne saurait négliger pour autant toutes les caractéristiques qui, si elles ne font pas directe­ ment partie du portrait du personnage, contribuent à le rendre présent dans l'esprit du lecteur.

Aussi convient-il de rechercher les éléments pertinents de la caractérisa­ tion au moins à deux niveaux : La caractérisation intrinsèque.

C'est avant tout le portrait proprement dit, dont l'inventaire lexical a corres­ pondu à des règles diverses mais précises (les « caractè­ res », au xvn• siècle, le topos de la beauté féminine idéa­ lisée, au xvm' siècle, la fiche minutieusement établie, à l'époque du réalisme, etc.).

L'interprétation de tous ces « indices explicites » (Lévi-Strauss) dépend évidemment d'une culture extérieure au texte qui codifie la significa­ tion de ces éléments descriptifs.

Tel trait physique peut en effet symboliser tel trait de caractère; l'opposition blonde/brune peut connoter l'opposition stéréotypée du bien et du mal, de la pureté angélique et de la fascination satanique (cf.

le couple M'"• de Mortsauf/Lady Dudley dans le Lys dans la vallée).

La caractérisation indirecte.

La caractérisation est plus souvent implicite qu'explicite, éparse au niveau du dire, du faire, du regard des autres, et peut-être aussi des sous-entendus et du non-dit.

Tartuffe n'entre en scène qu'au nr• acte : le spectateur se le représente déjà sans ambiguïté; Phèdre est une héroïne rare (elle n'apparaît que dans douze scènes sur les trente que comporte la pièce de Racine) : son portrait n'est pas moins précis que celui d'un personnage prodigué (Sganarelle, dans Dom Juan : vingt-six scènes sur vingt-sept).

Quel que soit le terme retenu (vision indirecte, oblique, externe), il conviendra d'opposer un système univoque de caractéri­ sation, Je plus souvent attributif, à des structures plus complexes, offrant à l'interprétation une pluralité de significations.

Il suffit de comparer ces deux exemples tirés de Lucien Leuwen : « L'abandon était rare chez lui » et « 11 faut me méfier de mes premiers mouvements, se disait-il », pour voir, dans le premier cas, une déclaration de l'auteur transparente, indubitable; la qualité du héros fait partie du portrait.

Dans le second cas, la caractérisa­ tion est déduite indirectement, à partir d ·une compétence culturelle où un tel type de pensée est ressenti comme symptomatique de la résistance à l'abandon.

Et encore peut-on se demander s'il s'agit là d'un trait structurelle­ ment constitutif de la personnalité ou d'un sentiment passager.

La distinction héros/personnage secondaire A l'époque classique, le héros se définit comme le ou les protagonisr.es qui vient (ou viennent) en tête de la hiérarchie des personnages.

Cette distribution peut direc­ tement dépendre, comme dans le cinéma contemporain, du rang social des acteurs au niveau de leur notoriété publique.

Dan� un roman, le héros sera celui «qui provo­ que la compassion, la sympathie, la joie, le chagrin du lecteur >>, définition un peu floue que Tomachevski com­ plète par la notion de « construction esthétique >> (Théo­ rie de la littérc:ture, 1928, trad.

fr.

1965).

Cette construc­ tion spécifique, que 1 'on a pu appeler par ailleurs, à la suite de Saussure, structure fonctionnelle (Léo Spitzer) ou structure lexicale (Guiraud), est le sens résultant de l'emploi à l'intérieur d'un système.

Le héros peut ainsi se reconnaître à : Sa place dans le récit.

Ce sera le plus souvent le premier nommé; l'héroïne sera la première vue, ou plutôt décrite.

Sa fonction dans le système des rôles.

Le cas limite est celui du récit présenté sous forme autobiographique : le héros est alors le seul personnage qui coïncide avec la première personne.

Dans la Modification, de Butor, le héros est le lecteur lui-même : vous.

Dans le «roman de l'échec >> propre au désenchantement postromantique, l'anti-héros se définit sémiologiquement comme un per­ sonnage qui, bien que principal, n'arrive jamais à se constituer comme sujet réel.

La quantité et le choix des marques stylistiques.

Cette rhétorique de la désignation peut s'observer sui­ vant deux axes opposés : la surabondance des signes (cf., plus haut, le personnage prodigué, d'après J.

Scherer, la Dramaturgie classique en France, 1950); l'économie des signes : l'épaisseur du personnage peut, en effet, prove­ nir de sa neutralité, de son aptitude à être investi de qualifications multiples et contradictoires suivant la per­ sonnalité et l'expérience vécue du lecteur.

Sagan recon­ naît, dans une interview, user abondamment de ce pro­ cédé, de cette sorte de « degré zéro » du personnage :. »

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