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Quintessence d'Alcools de Guillaume Apollinaire

Publié le 02/08/2014

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apollinaire
QUINTESSENCE D'ALCOOLS COLLECTION CAP'AGREG - N°8 HUBERT DE PHALÈSE Quintessence d'Alcools LE RECUEIL D'APOLLINAIRE À TRAVERS LES NOUVELLES TECHNOLOGIES Édition numérique procurée par Henri BÉHAR Conforme à l'édition NIZET 1996 Du même auteur, dans la même collection : COMPTES À REBOURS, l'oeuvre de Huysmans à travers les nouvelles technologies, 1991. RENAN TOUS COMPTES FAITS, Souvenirs d'enfance et de jeunesse à travers les nouvelles technologies, 1992. LES MOTS DE MOLIÈRE, les quatre dernières pièces à travers les nouvelles technologies, 1992. GUIDE DE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT, Voyage au bout de la nuit à travers les nouvelles technologies, 1993. VOLTAIRE PORTATIF, le Dictionnaire philosophique à travers les nouvelles technologies, 1994. DICTIONNAIRE DES MISÉRABLES, dictionnaire encyclopédique du roman de Victor Hugo réalisé à l'aide des nouvelles technologies, 1994. LES VOIX DE LA CONDITION HUMAINE, La Condition humaine d'André Malraux à travers les nouvelles technologies, 1995. Hubert de Phalèse est un nom collectif adopté par une équipe d'enseignants-chercheurs qui utilisent les nouvelles technologies dans leurs travaux et souhaitent en faciliter l'accès aux littéraires, à tous les niveaux du système éducatif. Le présent volume, révisé par Michel Décaudin, est l'oeuvre d'Henri Béhar, Michel Bernard, Jean-Pierre Goldenstein, Pascal Mougin, avec le concours d'Agnès Fontvieille, Sophie Jollin, Sophie Lazos, Philippe Whal. INTRODUCTION Ouvert à la modernité, curieux de toute invention, Guillaume Apollinaire était sans doute le poète qui se prêtait le mieux aux nouvelles technologies. N'avait-il pas enregistré, le 24 décembre 1913, les poèmes « Marie », « Le Pont Mirabeau » et « Le Voyageur » pour les Archives de la parole, que Ferdinand Brunot constituait à la Sorbonne ? Une de ses chroniques, « La Vie anecdotique » du Mercure de France (1er juillet 1914), rend compte de ses impressions à l'audition de sa propre voix : J'entendis très bien mes deux poèmes, mais j'ignore si les autres auditeurs les ont compris aussi bien que moi. Et j'eus encore une fois l'étonnement que j'avais éprouvé le jour où Mme Ferdinand Brunot enregistra ma parole. Après l'enregistrement, on fit redire mes poèmes à l'appareil et je ne reconnus nullement ma voix.1 Sa surprise n'a rien d'étonnant à nos yeux. Nous savons que l'homme entend mal sa propre voix, et qu'à plus forte raison il ne la reconnaît pas lors d'un premier enregistrement radiophonique (André Malraux a tiré de ce phénomène un usage révolutionnaire au début de La Condition humaine2). Plus exactement, la transmission interne, par voie osseuse, nous accoutume à une sonorité différente de celle que les autres perçoivent. C'est pourquoi, en s'écoutant, Apollinaire a regretté de n'avoir pas fait davantage, en chantant ses poèmes, de la même façon qu'il les composait, de manière à laisser un document encore plus instructif pour la postérité. Ainsi, loin de se soumettre, par curiosité, à l'investigation scientifique, était-il prêt à aller plus loin, afin de permettre aux hommes de l'avenir de connaître la nature particulière de son lyrisme. Dans ces conditions, il ne fait pas de doute, à mes yeux, que le poète d'Alcools se fût prêté, de très bonne grâce, aux analyses assistées par ordinateur, ici proposées. Davantage, je le vois très bien, installé à la terrasse d'un cyber-café, commentant pour ses jeunes disciples les usages faits de son oeuvre poétique sur le réseau Internet. Il se serait réjoui de la grande nouvelle de l'année : l'ensemble de la base FRANTEXT, la plus importante banque de données textuelles au monde, élaborée par l'Institut national de la langue française (INaLF-CNRS) à Nancy, est désormais accessible sur le réseau, en appelant le serveur arcturus.ciril.fr, à condition d'avoir ouvert, préalablement, un compte. Le coût de l'abonnement forfaitaire annuel (deux mille francs) est parfaitement supportable par les institutions. Mais cela revient à dire qu'il faut, comme les années précédentes, passer par l'intermédiaire des stations d'interrogation, se trouvant, en principe, dans chaque bibliothèque universitaire. On y accédera au texte intégral d'Alcools, Casanova, Couleur du temps, Le Bestiaire, Les Mamelles de Tirésias, dans l'édition Gallimard des OEuvres poétiques (1962). Un point important : en dépit des dates de publication, cet ensemble textuel est absent du CD-Rom DISCOTEXT1, « Textes littéraires français 1827-1923 », élaboré par le même institut avec la collaboration de la firme Hachette, pour des raisons juridiques : Apollinaire étant considéré comme « mort pour la France », il est encore exclu du domaine public. De fait, la même banque de données fournira la plupart des documents dont je me suis servi ici, pour les 1. Guillaume APOLLINAIRE, OEuvres en prose complètes, Gallimard, t. III, 1993, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 213. 2. À ce sujet, voir mon introduction à Les Voix de La Condition humaine, Nizet, 1995, coll. « Cap'Agreg », p. 7. 6 QUINTESSENCE D'ALCOOLS contextes linguistiques du chapitre premier, « Repères historiques et littéraires », pour l'établissement d'un corpus poétique de référence dans le chapitre deux « Lexicométrie et étude du vocabulaire », ainsi que pour certaines références du « Glossaire-concordance ». En élargissant la requête, on trouve sur le « web », ou « toile d'araignée » mondiale (et que n'y trouve-t-on pas ?) d'autres matériaux utiles à l'étude de l'oeuvre d'Apollinaire. Ainsi, on pourra lire et transférer sur son ordinateur, à partir du serveur du Service culturel de l'Ambassade de France à Ottawa1, « À la Santé », « Annie », « La Colombe Poignardée et le jet d'eau », des extraits du « Bestiaire », sur celui de Swarthmore College2, en plus, « Automne malade », « Marizibill », « L'adieu », « La chanson du Mal-Aimé », « Cors de chasse », « La jolie rousse », « Le pont Mirabeau », « Rhénane d'Automne », « La synagogue » et « Zone ». Certains amateurs de poésie mettent aussi à notre disposition quelques textes de leur auteur favori, ainsi Marieline Boy3, qui fournit, outre certains des textes déjà cités, « Les colchiques », « L'adieu », « Rhénane d'Automne » et Guillaume Delarue4 qui nous propose « Crépuscule ». Et puis on fait parfois des découvertes, comme ce serveur suisse qui propose « Le Pont Mirabeau » sous la rubrique « Les plus beaux textes romantiques »5... On y vend les traductions en anglais d'Alcools6 et, sous le manteau, des Onze mille verges, sous le titre Flesh Unlimited7. Voici ce que donne un extrait de la « Chanson du Mal-Aimé » en anglais : « I followed the boy he / Whistled so carelessly / And in a space between the houses / The Red Sea broke in two / I was Pharaoh he was the Jews ». Un serveur américain8 nous apprend qu'Apollinaire, né un 26 août, fêtait son anniversaire le même jour que Robert Walpole (premier ministre anglais né en 1676), Johann Lambert (mathématicien suisse qui naquit en 1728 et démontra que Pi est irrationnel) et le romancier Jules Romains (né en 1885). Internet, qui est au départ conçu pour les chercheurs, nous fournit aussi quelques renseignements plus techniques, comme une référence concernant les travaux de Wolfgang Iser et d'un groupe de réflexion sur « Arbre » d'Apollinaire dans Calligrammes9, l'évocation de l'influence d'Apollinaire sur l'écrivain américain E. E. Cummings10, sur Gertrude Stein11 ou Nabokov12, un article sur « The Drama of Self in Guillaume Apollinaire's Alcools » (Stamelman Richard Howard13). Le « web » est ainsi le meilleur endroit pour mesurer l'audience internationale et pour cerner l'image actuelle d'un écrivain. Apollinaire doit en partie sa célébrité à sa défense du cubisme14, à sa littérature érotique, même en admettant que l'érotisme a, sur Internet, une place quelque peu disproportionnée15, et à son statut d'initiateur du surréalisme16. Il est aussi présent comme « l'inventeur » de Jarry17. 1. http://ambafrance. org/FLORILEGE/xian.html 2. http://www.swarthmore.edu/Humanities/clicnet/litterature.1.html 3. http://dges.insa-tlse.fr/wwwaime/marie/poesies 4. http://www2.int-evry.fr/~delarue/po/apo.crepuscule.html 5. http://dmawww.epfl.ch/%7Emuller/romantisme.html 6. http://www.dartmouth.edu/acad-inst/upne/cat16.html#apol 7. http://www.sirius.com/~books/erotica.html#FU 8. http://www.eecs.uic.edu/~mmaggio/almanac2/august/0826.html 9. http://sun3.lib.uci.edu/~scctr/Wellek/iser/A17_miscellaneous.html 10. http://www.wmich.edu/english/tchg/lit/pms/cummings.ygUDuh.html 11. http://www.adlbooks.com/~adl/stein.html 12. http://www.libraries.psu.edu/iasweb/nabokov/vnwilae.htm 13. http://press-gopher.uchicago.edu:70/CGI/cgi-bin/hfs.cgi/99/north_car/76022801.ctl 14. http://netspot.city.unisa.edu.au/wm/paint/tl/20th/cubism.html et http://sunsite.oit.unc.edu/wm/paint/tl/20th/cubism.html 15. http://intertain.com/store/new-browse/Erotic_Fiction-Erotic_Fiction.html 16. http://mistral.enst.fr/wm/paint/glo/surrealism/, http://oak.ece.ul.ie/wm/paint/glo/surrealism/surrealism-fr.html et http://mca.shiny.it/angelus/angelus.ita/penne/rlbertoz.html 17. http://hamp.hampshire.edu/~ngzF92/jarrypub/chamblerie.txt INTRODUCTION 7 L'actualité d'Apollinaire peut parfois sembler déroutante. Mais après tout, c'est ainsi que vivent les auteurs dans la mémoire collective. Paul Virilio commence une interview sur « Cyberwar, God And Television » en citant « Le pont Mirabeau »1, les éditions Gallimard mettent en avant la présence d'Apollinaire dans leur fonds éditorial2, France 3 tire d'un de ses poèmes le titre de son émission « Les Quatre Dromadaires »3. Ah, j'oubliais : Apollinaire est aussi le nom d'un restaurant français de Tokyo4... En somme, Apollinaire occupe bien, dans l'espace virtuel, cybernétique, la même place que dans notre univers réel. Cela est à la fois rassurant et réjouissant. Rassurant, parce que les nouvelles technologies se contentent de refléter les catégories, les hiérarchies que nous établissons par ailleurs, lorsque nous évaluons l'importance de tel ou tel fait culturel ; réjouissant, car l'on traite Apollinaire comme il eût aimé qu'on le traitât, c'est-à-dire, incontestablement, comme le plus grand de nos lyriques modernes, mais aussi comme un conteur (érotique) et, un peu, comme un esthéticien. On le voit, la navigation sur Internet ne motive pas, aujourd'hui, une transformation radicale des moyens d'analyse textuelle adoptés pour les volumes de cette collection. En revanche, la spécificité du texte poétique (et sa relative brièveté) m'a conduit à introduire un chapitre nouveau : l'index général du vocabulaire. Certes, Pierre Guiraud avait déjà produit un tel document5. Mais, outre le fait que celui-ci est désormais épuisé, et qu'il comportait certaines défaillances dues au travail manuel, il renvoyait à une édition périmée, celle de la « Collection blanche » chez Gallimard, corrigée depuis. Mon index, établi automatiquement, que l'on trouvera à la fin du présent volume, fournit la pagination de chacun des mots utilisés par Apollinaire dans l'édition de référence d'Alcools, indiquée par le Bulletin officiel de l'Éducation nationale, mai 1995, p. 5, soit l'édition Gallimard, collection « Poésie ». Les mots y sont « lemmatisés », c'est-à-dire ramenés à leur forme canonique du dictionnaire, et « désambiguïsés », autrement dit classés selon leur sens et leur emploi. J'ai pensé être ainsi plus utile au candidat à l'agrégation en lui procurant, sous forme livresque, un outil dont je me sers pour élaborer les fiches thématiques de chacun de mes ouvrages. Qu'il soit issu de tel ou tel logiciel d'analyse textuelle (Alceste, Hyperbase, Lexico1, Pistes, WordCruncher, etc.) ne change rien à l'affaire. Il suffit de présenter la totalité de l'oeuvre sous une forme tabulaire, ce qui, chacun pourra le vérifier immédiatement, change notre lecture, tout en nous renvoyant systématiquement au « plein-texte ». Plus précisément, la lecture tabulaire vient assurer une opinion, en indiquant le nombre exact des emplois d'une forme donnée, nuit par exemple, et leur localisation, ce qui nous renseigne sur leur « valeur ». Ainsi, je m'abstiendrai d'affirmer péremptoirement qu'Apollinaire met au rebut un certain vocabulaire dit poétique, en constatant qu'il emploie, ne serait-ce qu'une fois, la forme azur ou nue comme substantif féminin. Inversement, je pourrai faire observer qu'il est un des rares à faire sa (une) place à l'ouvrier en poésie... Le travail de Pierre Guiraud s'accompagnait d'une liste des cinquante « mots-thèmes » (les formes lexicales ayant la plus grande fréquence absolue dans le recueil) et des vingt-cinq « mots-clés » (les formes ayant la plus grande fréquence relative dans l'oeuvre), établie d'après les tables de Vander Beke, portant sur une compilation de plus d'un million de formes dans la prose française contemporaine. L'écart entre l'emploi d'une forme dans Alcools et sa place dans la liste de Vander Beke permettrait, semble-t-il, de mesurer son degré de poéticité. On voit où le bât blesse : l'oeuvre, par définition unique, serait mesurée à l'aune d'un mètre étalon qui serait celui de la prose. Or, nous savons bien qu'il n'y a pas de vocabulaire par essence prosaïque, ni poétique, ni dramatique, mais un usage poétique du vocabulaire, de sorte qu'il faut comparer des ensembles réellement comparables : ce qui se donne pour « poé1. http://www.ctheory.com/./a-cyberwar_god.html 2. http://www.gallimard.fr/web/gallimard/gallimard/presentation.html 3. http://www.sv.vtcom.fr/ftv/fr3/docu.html 4. http://www.aix.or.jp/despres/apo.html 5. Voir : Pierre GUIRAUD, Index du vocabulaire du symbolisme, vol. I, Index des mots d'Alcools de Guillaume Apollinaire, avec un avant-propos de R.-L. Wagner, Klincksieck, 1953, IV, 30 p. 8 QUINTESSENCE D'ALCOOLS sie » vers 1910, par rapport à l'ensemble poétique d'Alcools. C'est pourquoi j'ai choisi de constituer un corpus de travail à partir de FRANTEXT, comme je l'explique au chapitre II, d'autant plus pertinent qu'il contient des oeuvres qu'Apollinaire a pu lire, à l'égard desquelles il s'est lui-même situé. On remarquera, sans étonnement, que les champs lexicaux spécifiques d'Alcools sont notablement différents des classements procurés par Pierre Guiraud. En effet, la comparaison des corpus fait ressortir les thèmes privilégiés de l'oeuvre par rapport à la poésie de la même période, et non plus par rapport à une langue prosaïque artificiellement constituée. Mais, dira-t-on, pourquoi toujours vouloir comparer un texte à un autre, une partie du texte à sa totalité, un corpus à un autre, une liste de mots à une autre ? Tout simplement parce que l'outil mathématique, qui est à la base de toutes les études de statistique lexicale, ne sait pas faire autre chose. Il ne fonctionne que s'il peut comparer une chose à une autre. Il mesure alors, et à juste titre, un « écart ». Le terme a été fort critiqué à l'occasion des premières études de Pierre Guiraud et plus encore lorsque Jean Cohen a publié son ouvrage, Structure du langage poétique1, au prétexte que toute mesure du langage se faisait par rapport à une norme, laquelle n'existe pas, ne peut pas exister dans le domaine considéré. De fait, ce débat est désormais caduc, et même il n'aurait pas eu lieu d'être si, en voulant introduire de la rigueur dans les études stylistiques, on avait pris soin d'observer ce qui était effectivement mesuré et mis en comparaison. Et surtout si l'on avait constitué des ensembles comparables par nature, quelle que soit leur dimension (puisque le calcul tient compte de la dimension relative des corpus). En règle générale, dans tous les ouvrages de cette collection, je me sers du calcul hypergéométrique ou calcul des spécificités (expliqué ci-dessous p. 29) pour comparer les différentes parties constitutives d'une oeuvre. L'outil, fourni par le logiciel Pistes par exemple, est d'un usage commode2. Il suppose, cependant, que l'ouvrage puisse faire l'objet d'une partition logique, qu'elle soit suggérée par l'auteur (les différents chapitres d'un roman) ou par l'utilisateur (les différents locuteurs du même roman). Or, ici, Apollinaire indique quelques regroupements de poèmes, mais rien ne justifie une partition en cycles, scientifiquement pertinente. Raison de plus pour prendre le recueil dans sa totalité et le comparer à un ensemble de même nature. Mais la poésie, celle d'Apollinaire plus que toute autre, est chose légère, et je m'en voudrais de l'écraser davantage sous des considérations méthodologiques. Puisse le lecteur trouver ci-après tous les matériaux nécessaires aux exercices majeurs du concours, et, au-delà, à une compréhension synthétique d'Alcools, mettant en oeuvre sa grande leçon poétique : Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent (135) 3 * ** Que soient ici remerciés, pour leur aide constante les institutions de l'Enseignement supérieur et de la recherche et les firmes (Hachette, Le Robert) qui ont autorisé la reproduction des résultats acquis au moyen de leurs publications, et plus particulièrement MM. Thierry Aubin, Etienne Brunet, Jean-François Cretaz, Jean-Yves Hamon, Pierre Lafon, Max Reinert, André Salem qui, à des titres divers, m'ont aidé au cours du présent travail. 1. Jean COHEN, Structure du langage poétique, Flammarion, 1966, 238 p. 2. Pistes, conçu par Pierre Muller, est diffusé par le CNDP. 3. Toutes les références des citations d'Alcools faites dans ce volume renvoient à l'édition Gallimard, collection « Poésie » (dépôt légal 1995). REPÈRES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES I. Repères biographiques VIE D'APOLLINAIRE 1880 ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES, ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES 26 AOÛT : naissance à Rome, de parents inconnus. 2 novembre, sa mère, Angélique de Kostrowitzky le reconnaît et le prénomme Guillelmus, Apollinaris, Albertus, [Guillaume, Apollinaire, Albert]. Il vit en Italie jusqu'à l'âge de 7 ans. « Mardis » de Mallarmé. Zola, Le Roman expérimental. Zola, Maupassant, Alexis, Céard, Huysmans, Les Soirées de Médan. Loi Camille Sée : enseignement secondaire pour les jeunes filles. E. Goudeau et R. Salis ouvrent le cabaret « Le Chat noir ». Jules Vallès : retour d'exil. Zola : Le Naturalisme au théâtre. 29 JUILLET : Liberté de la presse. 1881-1882 : lois de Jules Ferry : enseignement primaire gratuit, laïc et obligatoire. 1881 1882 1883 Naissance de son frère Albert. 1884 1885 Le père présumé, François Flugi d'Aspermont, quitte sa compagne Angélique. 1886 1887 1889 MARS : Angélique s'installe à Monaco avec ses fils. A. élève au collège SaintCharles. Création de la revue Les Annales politiques et littéraires (jusqu'en 1907). Félix Fénéon fonde La Revue indépendante qui dure jusqu'en 1895. 22 MAI : funérailles nationales de Victor Hugo. 9 SEPT. : union internationale pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques. Convention de Berne sur le droit d'auteur. Anatole Baju fonde la revue Le Décadent (1886-1888). 18 SEPT. : Jean Moréas, « Manifeste du symbolisme » dans Le Figaro. 24 DÉC. : conversion de Claudel. Théâtre Libre d'Antoine (jusqu'en 1897). « Manifeste des cinq » (Maupassant, Rosny, Guiches, Bonnetain, P. Margueritte) contre La Terre de Zola. Création de La Revue blanche (jusqu'en 1903). 10 QUINTESSENCE D'ALCOOLS 1890 1891 1893 1894 1895 1896 1897 A. au collège Stanislas de Cannes, puis au Lycée de Nice. A. abandonne ses études secondaires. Il lit et écrit, pour être écrivain à son tour. 1898 1899 1900 1901 1902 1903 Installation à Paris, en passant par Aixles-Bains et Lyon. Les deux frères séjournent trois mois d'été à Stavelot, dans les Ardennes belges, tandis que leur mère tente la fortune au casino de Spa. Idylle avec Marie Dubois (Mareye). Divers emplois. Fréquente la bibliothèque Mazarine. Amour déçu pour Linda da Silva. MAI : devient précepteur de la fille de la vicomtesse de Milhau. AOÛT : séjour d'un an en Allemagne, à Hohnef et Neu Glück. Voyages sur les bords du Rhin. Amoureux d'Annie Playden, gouvernante anglaise de la fillette. Premiers poèmes publiés dans La Grande France en SEPT. Voyage en Allemagne avec la vicomtesse ; visite Prague et Vienne. Retour à Paris en AOÛT. Contes publiés dans La Revue blanche. Employé de banque. Collabore à divers périodiques. Fréquente les soirées de La Plume, rencontre Jarry et Salmon. Fonde Le Festin d'Ésope. Passe une semaine à Londres pour reconquérir Annie. Hatzfeld, Darmesteter, Thomas : Dictionnaire général de la langue française (1890-1900). Création de la revue Le Mercure de France (jusqu'en 1939 puis de 1945 à 1965) et de L'Ermitage (1890-1906). Enquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire. Début de l'École romane (Jean Moréas). Lugné-Poe fonde le Théâtre de l'OEuvre. Condamnation du capitaine Dreyfus. Verlaine élu « Prince des poètes » : pension (500 F) du Ministère de l'Instruction publique. Revue de Paris (1894-1933). Maurice Pottecher fonde le Théâtre du Peuple à Bussang. 28 DÉC. : première projection cinématographique à Paris. Mallarmé élu « Prince des poètes ». Fondation du Naturisme (Saint-Georges de Bouhélier). 13 JANV. : Zola, « J'accuse » dans L'Aurore, défense de Dreyfus, qui lui vaut une condamnation à un an de prison. Le lendemain, manifeste des intellectuels en faveur du capitaine Dreyfus. Péguy crée les Cahiers de la Quinzaine (jusqu'en 1914). Le premier Prix Nobel de littérature est attribué à Sully Prudhomme. Loi sur la liberté d'association Création de l'Académie et du Prix Goncourt. REPÈRES HISTORIQUES 1904 1905 La famille s'installe au Vésinet. Se lie avec Derain et Vlaminck. Malgré la faillite de sa banque, il maintient Le Guide des rentiers. MAI : second voyage à Londres. Annie est perdue pour lui. Il fréquente Picasso et Max Jacob au Bateau-Lavoir. Voyages en Belgique et Hollande. Retrouve un emploi dans la banque. 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913 1914 AVRIL : s'installe à Montmartre. Rencontre le peintre Marie Laurencin, avec laquelle il vivra jusqu'en 1912. Publie sous le manteau Les Onze Mille Verges. Collabore à La Phalange. 25 AVRIL : conférence sur « La phalange nouvelle » au Salon des Indépendants. NOV. : banquet offert au Douanier Rousseau chez Picasso. Collabore à la collection « Les maîtres de l'amour ». NOV. : conférence « Les poètes d'aujourd'hui » à l'Université populaire. Publie L'Enchanteur pourrissant, illustré par A. Derain. Collabore régulièrement à Paris-Journal et L'Intransigeant. Publie L'Hérésiarque et Cie et Le Théâtre italien. Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée, illustré de gravures sur bois de Raoul Dufy. Avril, inaugure la chronique de « La Vie anecdotique » qu'il tiendra jusqu'à sa mort au Mercure de France. 7-12 SEPTEMBRE : en prison à la Santé à la suite du vol de la Joconde. Fondation des Soirées de Paris. Marie Laurencin le quitte. 11 OCT. : conférence à la Section d'or sur « L'écartèlement du cubisme ». Janvier : s'installe 202 Bd Saint-Germain. Méditations esthétiques - Les Peintres cubistes (MARS) ; ALCOOLS (AVRIL). « L'antitradition futuriste » 29 juin. Enregistre trois poèmes pour les Archives de la parole, à la Sorbonne. SEPT. : à Nice, rencontre Louise de Coligny (Lou). Engagé volontaire, rejoint le 38e régiment d'artillerie à Nîmes, le 5 DÉC. 11 Création du Prix Fémina-Vie heureuse. Le Prix Nobel est attribué conjointement à Frédéric Mistral et José Echegaray. M. Leblanc crée le personnage d'Arsène Lupin. Création de la revue Vers et prose (jusqu'en 1914). Attribution du Prix Nobel à Henryk Sienkiewicz. Guerre russo-japonaise. Révolution à StPétersbourg, mutinerie du Potemkine. Réhabilitation de Dreyfus. Loi de séparation de l'Église et de l'État. Fondation du Groupe de l'Abbaye, origine de l'Unanimisme. Picasso : Les Demoiselles d'Avignon. 20 FÉVRIER : Marinetti, « Manifeste du Futurisme » dans Le Figaro. Création de la Nouvelle Revue Française (NRF). Sun Yat-Sen proclame la république en Chine. Jacques Copeau : création du Théâtre du Vieux Colombier. 2 AOÛT 1914 - 11 NOV. 1918 : première guerre mondiale. QUINTESSENCE D'ALCOOLS 12 1915 1916 1917 1918 Dans le train, rencontre Madeleine Pagès, qu'il voudra épouser à Oran. Brigadier en Champagne. Case d'Armons. 9 MARS : naturalisé Français. 17 MARS : blessé à la tempe par un éclat d'obus. Le Poète assassiné (oct.). 24 JUIN : création des Mamelles de Tirésias, drame surréaliste. NOV. : conférence « L'esprit nouveau et les poètes » au Vieux-Colombier. AVRIL : Calligrammes. 2 MAI : il épouse Jacqueline Kolb. Décès le 9 NOV., inhumation le 13 au Père-Lachaise. 24 NOV. : création de Couleur du temps. Dada à Zurich. Révolution russe. Les États-Unis entrent en guerre. II. Les contemporains d'Apollinaire Lorsqu'Apollinaire forme son goût et commence à écrire, deux esthétiques littéraires dominent, chacune dans un genre privilégié. Pour le roman, c'est le Naturalisme, dont l'enquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire, en 1891, constate la mort, en dépit de la célèbre dépêche de Paul Alexis : « Naturalisme pas mort. Lettre suit ». Les oeuvres fondatrices en seraient Les Soirées de Médan et Le Roman expérimental de Zola (1880), et la fin du mouvement aurait été marquée par la publication du « Manifeste des cinq » contre La Terre de Zola, en 1887 (voir les repères chronologiques ci-dessus). Jules de Goncourt (1830-1870) est décédé avant la naissance de notre poète, mais les autres écrivains ayant appartenu au groupe sont encore en production. En voici un tableau succinct, classé par date de naissance : Edmond de GONCOURT Émile ZOLA Alphonse DAUDET Paul ALEXIS Octave MIRBEAU Joris-Karl HUYSMANS 1822-1896 1840-1902 1840-1897 1847-1901 1848-1917 1848-1907 Guy de MAUPASSANT Henry CÉARD Paul BONNETAIN Paul MARGUERITTE Lucien DESCAVES 1850-1893 1851-1924 1858-1899 1860-1918 1861-1949 Dans une revue éphémère dénommée Le Décadent (1886-1889), Anatole Baju tente de regrouper les héritiers du Naturalisme ou les précurseurs du Symbolisme, dont se moqueront Beauclair et Vicaire dans Les Déliquescences d'Adoré Floupette (1885). On trouvera cidessous, classés selon le même principe chronologique, ceux que notre histoire littéraire, peutêtre par excès de facilité, classe dans le Décadentisme (ce qui ne signifie pas qu'ils aient appartenu au groupe de Baju, ni qu'ils se soient reconnus sous cette étiquette) : Stéphane MALLARMÉ Paul VERLAINE Joris-Karl HUYSMANS Émile VERHAEREN Jean MORÉAS 1842-1898 1844-1896 1848-1907 1855-1916 1856-1910 Jules LAFORGUE Maurice MAETERLINCK Pierre LOU?S Alfred JARRY 1860-1887 1862-1949 1870-1925 1873-1907 Quant à la seconde tendance esthétique, elle est résumée sous le nom de Symbolisme, né, en tant que groupement, à la suite de la publication du « Manifeste du Symbolisme » par Jean Moréas dans Le Figaro du 18 septembre 1886. Il demeure présent jusqu'à la guerre, malgré les déclarations de décès que multiplient les dissidents. Voici, toujours pour mémoire, un tableau de ses membres, permanents ou fugitifs, présenté de la même façon. On ne s'étonnera REPÈRES HISTORIQUES 13 pas de voir Huysmans figurer dans tous les tableaux, puisqu'il a en effet quitté le Naturalisme en 1884, avec la publication d'À rebours. Stéphane MALLARMÉ Paul VERLAINE Joris-Karl HUYSMANS Arthur RIMBAUD Émile VERHAEREN Jean MORÉAS Rémy de GOURMONT Albert SAMAIN Josephin PÉLADAN Jules LAFORGUE 1842-1898 1844-1896 1848-1907 1854-1891 1855-1916 1856-1910 1858-1915 1858-1900 1859-1918 1860-1887 SAINT-POL ROUX Maurice MAETERLINCK René GHIL Henri de RÉGNIER Gustave LE ROUGE Paul CLAUDEL André GIDE Paul FORT O. V. de L. MILOSZ Pierre-Jean JOUVE 1861-1940 1862-1949 1862-1925 1864-1936 1867-1938 1868-1955 1869-1951 1872-1960 1877-1939 1887-1976 Le turbulent Moréas, toujours en quête d'une nouvelle doctrine, n'a pas tardé à lancer l'École romane en 1891, puis le Néo-classicisme en 1907. En réaction contre les tendances à l'abstraction et à l'hermétisme développées par le Symbolisme et ses sous-produits, Saint-Georges de Bouhélier tente d'imposer le Naturisme, par une revue, La Revue naturiste (1897), et un manifeste, Éléments d'une renaissance française (1899). Le groupement d'artistes qu'il essaie d'opérer n'a point de lendemain. Restent quelques oeuvres, telles que les Nourritures terrestres d'André Gide, les poésies de Paul Fort et de Francis Jammes, susceptibles d'illustrer cet esprit. Épousant cette réaction contre les puissances du rêve au profit de la vie, un certain nombre d'écrivains et d'artistes, groupés dans une sorte de phalanstère, fondent « le Groupe de l'Abbaye » en 1906. Ils se reconnaissent dans L'Âme essentielle de René Arcos et les Notes sur la technique poétique (1910) de Georges Duhamel et Charles Vildrac. Comme toutes les utopies, l'Abbaye ne pouvait avoir qu'une existence brève. Elle se poursuivit néanmoins, avec les mêmes écrivains (c'est pourquoi je n'en ai pas fourni un tableau qui eût été redondant) dans un mouvement littéraire, l'Unanimisme, dont La Vie unanime (1908) de Jules Romains est le recueil emblématique. Voici la liste de ses principaux animateurs : Charles VILDRAC Georges DUHAMEL 1882-1971 1884-1966 Jules ROMAINS Pierre-Jean JOUVE 1885-1972 1887-1976 Dans le domaine poétique, la « crise des valeurs symbolistes », pour parler comme Michel Décaudin, entraîna une succession accélérée de mouvements, plus ou moins éphémères, dont la pertinence reste à prouver. Marinetti lança le « Manifeste du Futurisme » dans Le Figaro du 20 février 1909. Mais, à l'exception de « L'Antitradition futuriste » d'Apollinaire, dont il n'est pas sûr qu'il soit un texte de ralliement, on se demande quels poètes français ont véritablement rejoint ce mouvement. La presse et la critique littéraire de l'époque parlaient beaucoup d'une École Fantaisiste, dont la publication favorite était Le Divan d'Henri Martineau, à partir de 1909. Sous cette étiquette, on rangeait aussi bien Léon-Paul Fargue qu'Apollinaire. Toutefois, le véritable modèle en était l'auteur des Contrerimes, Paul-Jean Toulet (1867-1920), et l'animateur exclusif Francis Carco (1886-1958). De même, la question d'un Cubisme littéraire reste très controversée (en dépit d'un très suggestif numéro de la revue Europe en juin-juillet 1982). À partir des Peintres cubistes d'Apollinaire (1913), l'histoire littéraire tente un regroupement hasardeux avec les poètes suivants : 1876-1947 1887-1961 Léon-Paul FARGUE Blaise CENDRARS 1876-1944 1889-1960 Max JACOB Pierre REVERDY Guillaume APOLLINAIRE 1880-1918 QUINTESSENCE D'ALCOOLS 14 Mais on pourrait tout autant parler d'une École simultanéiste, sous l'égide de Blaise Cendrars (1887-1961) ; à condition de ne pas la confondre avec le mouvement dénommé Simultanéisme, animé par Fernand Divoire à partir de la publication de Naissance du poème (1910). On sait comment, célébrant tous deux la personnalité d'Apollinaire, Pierre Albert-Birot fonda la revue SIC (1916-1919) et Pierre Reverdy Nord-Sud (1917-1918). À la même époque se formait le Mouvement Dada, à Zurich, qui vint éclater à Paris de 1920 à 1923. Sous sa bannière se regroupèrent, momentanément, les poètes suivants, qui, d'une certaine façon, forment la postérité de l'enchanteur, et, pour la plupart, les futurs surréalistes : Paul ÉLUARD André BRETON Tristan TZARA Louis ARAGON 1895-1952 1896-1966 1896-1963 1897-1982 Philippe SOUPAULT Benjamin PÉRET Roger VITRAC Robert DESNOS 1897-1990 1899-1959 1899-1952 1900-1945 III. Les poésies contemporaines (1880-1918) Qui veut situer l'oeuvre d'Apollinaire doit pouvoir la placer entre ces différents mouvements signalés ci-dessus, et ne pas oublier que la production littéraire de son époque était fort variée. Pour être bref, je me contenterai de fournir ici, sous forme de tableau, la liste des principaux recueils poétiques publiés entre 1880 et 1918 (la date portée entre crochets est celle qui figure à la Bibliographie de la France). Bien entendu, les lectures poétiques d'Apollinaire ne se limitaient pas à ces ouvrages retenus par la postérité. Paul VERLAINE, Sagesse HUGO, Les Quatre Vents de l'esprit P. VERLAINE, Jadis et naguère Jean MORÉAS, Les Syrtes LECONTE DE LISLE, Poésies tragiques 1885 Jules LAFORGUE, Les Complaintes 1885 [1907] SAINT-POL ROUX, Les Reposoirs de la procession 1886 Henri de RÉGNIER, Les Lendemains 1886 HUGO, La Fin de Satan 1886 RIMBAUD, Illuminations 1886 Jules LAFORGUE, L'Imitation de Notre-Dame la lune 1886 RIMBAUD, Derniers vers 1886 Jean MORÉAS, Les Cantilènes 1887 Jean-Baptiste CLÉMENT, Chansons 1889 Maurice MAETERLINCK, Serres chaudes ; quinze chansons 1889 [1895] Aristide BRUANT, Dans la rue 1890 Henri de RÉGNIER, Poèmes anciens et romanesques 1890 Robert de MONTESQUIOU, Les Hortensias bleus 1891 Jean MORÉAS, Le Pèlerin passionné 1893 José Maria de HÉRÉDIA, Les Trophées 1881 1881 1884 1884 1884 1893 Albert SAMAIN, Au jardin de l'infante 1894 Alfred JARRY, Les Minutes de sable mémorial 1894 Émile VERHAEREN, Les Villes tentaculaires 1895 Henri BARBUSSE, Pleureuses 1895 H. BATAILLE, La Chambre blanche 1896 É. VERHAEREN, Les Heures claires 1897 A. BRUANT, Sur la route 1897 MALLARMÉ, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 1897 Paul FORT, Les Ballades Françaises 1897 MALLARMÉ, Divagations 1898 Francis JAMMES, De L'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir, 1888-1897 1899 MALLARMÉ, Poésies 1899 SAINT-POL ROUX, La Dame à la faulx 1901 A. SAMAIN, Le Chariot d'or 1901 Anna de NOAILLES, Le Coeur innombrable 1902 R. GHIL, Le Pantoum des Pantoums 1904 [1911] VERHAEREN, Toute la Flandre 1904 G. NOUVEAU, Les Poèmes d'Humilis 1904 H. BATAILLE, Le Beau Voyage 1904 Catulle MENDÈS, Hespérus 1905 J. MORÉAS, Les Stances REPÈRES HISTORIQUES 1907 J. MORÉAS, Poèmes et sylves 18861896 1908 Charles CROS, Le Collier de griffes 1908 Jules ROMAINS, La Vie unanime 1909 François MAURIAC, Les Mains jointes 1910 Paul CLAUDEL, Cinq Grandes Odes 1911 Max JACOB, Saint-Matorel 1911 G. APOLLINAIRE, Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée 1912 CENDRARS, Les Pâques à New York 1912 F. CARCO, La Bohème et mon coeur 1912 SAINT-JOHN PERSE, Éloges 1912 F. JAMMES, Les Géorgiques chrétiennes 1913 Ch. PÉGUY, Les Tapisseries : Ève 15 1913 Ch. PÉGUY, La Tapisserie de NotreDame 1913 V. LARBAUD, A. O. Barnabooth, ses oeuvres complètes... 1913 G. APOLLINAIRE, Alcools 1913 B. CENDRARS, La Prose du Transsibérien 1913 Paul GERALDY, Toi et moi 1916 Pierre REVERDY, La Lucarne ovale 1916 [1945] M. JACOB, Le Cornet à dés 1917 Paul VALÉRY, La Jeune Parque 1917 Philippe SOUPAULT, Aquarium 1918 Tristan TZARA, Vingt-Cinq poèmes 1918 G. APOLLINAIRE, Calligrammes IV. Les éditions du Mercure de France À la demande de deux collaborateurs de La Plume estimant cette revue trop éclectique, Alfred Vallette, un ancien lithographe, décide de fonder, par souscription, une nouvelle publication, dénommée le Mercure de France. Le premier numéro paraît en janvier 1890. Jalouse de son indépendance, elle est ouverte aux idées symbolistes, sans pour autant être inféodée au groupement de ce nom. Quatre ans après, Vallette fonde la maison d'édition au célèbre caducée. En parcourant, non pas son catalogue, mais la liste des oeuvres retenues par l'histoire littéraire (fournie par la BDHL, et que je limite à 1939), on comprend qu'Apollinaire ait souhaité se trouver en compagnie de Jarry, Remy de Gourmont, Marcel Schwob, etc., en faisant publier Alcools sans même avoir signé de contrat. Après la première guerre mondiale, Alfred Vallette, fidèle à ses principes, ne sut pas s'adapter à la concurrence ni aux nouvelles techniques. Bien que la liste des titres publiés soit encore honorable, elle n'a plus rien du prestige antérieur. D'autant plus que, poursuivant une politique de rachat systématique des valeurs consacrées (ou en passe de l'être), Gaston Gallimard prend à son compte les auteurs les plus estimés. Dans ces conditions, la gloire d'Apollinaire a été mieux assurée, dès 1920, par la Maison de la rue Sébastien-Bottin. Quant à la revue Le Mercure de France, elle a cessé de paraître en 1965. Peu après, les éditions furent rachetées par Gallimard. 1885 [1907] SAINT-POL ROUX, Les Reposoirs de la procession 1893 A. SAMAIN, Au Jardin de l'infante 1894 Alfred JARRY, Les Minutes de sable mémorial 1895 H. BATAILLE, La Chambre blanche 1896 Maurice MAETERLINCK, Le Trésor des humbles 1896 Pierre LOU?S, Aphrodite 1896 M. SCHWOB, La Croisade des enfants 1896 [1898] Remy de GOURMONT, Le Livre des masques 1896 Alfred JARRY, Ubu roi 1897 Léon BLOY, La Femme pauvre 1897 André GIDE, Réflexions sur quelques points de littérature et de morale 1897 A. GIDE, Les Nourritures terrestres 1897 Paul FORT, Les Ballades Françaises 1898 F. JAMMES, De L'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir, 1888-1897 1898 Pierre LOU?S, La Femme et le pantin 1899 SAINT-POL ROUX, La Dame à la faulx 1899 Remy de GOURMONT, Esthétique de la langue française..., la déformation, la métaphore, le cliché, le vers, le vers libre, le vers populaire 1899 A. GIDE, Le Prométhée mal enchainé 1900 Maurice de GUÉRIN, Le Centaure 1900 P. CLAUDEL, Connaissance de l'Est 1901 Albert SAMAIN, Le Chariot d'or 16 QUINTESSENCE D'ALCOOLS 1902 André GIDE, L'Immoraliste 1902 J. PÉLADAN, Modestie et vanité 1903 Paul LÉAUTAUD, Le Petit Ami 1903 André GIDE, Saül 1904 Jean MORÉAS, Iphigénie 1904 [1927] Remy de GOURMONT, Promenades littéraires 1905 Jean MORÉAS, Les Stances 1907 Jean MORÉAS, Poèmes et sylves 1886-1896 1907 Paul CLAUDEL, Art poétique 1907 Victor SÉGALEN, Les Immémoriaux 1909 André GIDE, La Porte étroite 1910 L. PERGAUD, De Goupil à Margot 1911 [1923] Gustave LE ROUGE, Les Derniers jours de Paul Verlaine 1912 Francis JAMMES, Les Géorgiques chrétiennes 1912 L. PERGAUD, La Guerre des boutons 1913 G. APOLLINAIRE, Alcools 1914 Francis CARCO, Jésus-la-Caille 1918 G. DUHAMEL, Civilisation, 19141917 1918 G. APOLLINAIRE, Calligrammes 1920 [1932] G. DUHAMEL, Vie et aventures de Salavin 1921 Louis PERGAUD, Les Rustiques. Nouvelles villageoises 1928 Paul LÉAUTAUD, Passe-Temps 1934 [1945] Georges DUHAMEL, Chronique des Pasquier V. La thématique d'Alcools RAPPROCHEMENTS Comment situer Alcools dans la littérature française quant à sa thématique ? La BDHL propose à cet effet une indexation par thèmes des oeuvres qu'elle recense. Pratiquement, chaque oeuvre a été associée à une vingtaine de mots-clés pris dans un thésaurus d'environ 800 termes1. Par exemple, Alcools est indexé par les 22 mots suivants : amour, astre, beauté, chanson, chevelure, ciel, exotisme, femme, feu, fleur, mélancolie, nature, nostalgie, oiseau, poète, saisons, sensibilité, souvenir, temps, vie moderne, vin, voyage. On est libre de trouver cette liste incomplète, imprécise, inexacte. Il est évident qu'il ne s'agit pas de résumer Alcools en quelques mots ! En revanche, cette méthode est la seule qui nous permette de comparer des thématiques, de proposer des rapprochements entre les oeuvres de ce point de vue. Voici celles qui présentent le plus de thèmes communs avec Alcools : 13 thèmes communs APOLLINAIRE, Calligrammes (1918) : astre, beauté, ciel, exotisme, feu, fleur, mélancolie, nostalgie, oiseau, poète, souvenir, vie moderne, voyage. 10 thèmes communs DESNOS, Destinée arbitraire (1975) : amour, chanson, femme, fleur, nature, oiseau, poète, saisons, temps, voyage. 9 thèmes communs BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857) : amour, beauté, exotisme, femme, nostalgie, poète, sensibilité, souvenir, vie moderne. 1. Sur les détails du dispositif, on pourra consulter : Michel BERNARD, De quoi parle ce livre ? Élaboration d'un thésaurus pour l'indexation thématique d'oeuvres littéraires, Champion, 1994. REPÈRES HISTORIQUES 17 8 thèmes communs Albert SAMAIN, Au Jardin de l'infante (1893) : amour, exotisme, fleur, mélancolie, nature, saisons, souvenir, voyage. 7 thèmes communs Jean PASSERAT, Les Poésies françaises (1606) : amour, beauté, chanson, nature, poète, saisons, temps. NERVAL, Petits Châteaux de Bohème (1853) : amour, beauté, femme, nostalgie, poète, souvenir, temps. Albert SAMAIN, Le Chariot d'or (1901) : amour, beauté, femme, mélancolie, nature, saisons, temps. RADIGUET, Les Joues en feu (1920) : amour, beauté, femme, nature, saisons, temps, voyage. Franz HELLENS, Poésie de la veille et du lendemain (1932) : beauté, ciel, exotisme, femme, nature, oiseau, voyage. Benjamin PÉRET, Je sublime (1936) : amour, beauté, femme, feu, oiseau, temps, vin. 6 thèmes communs RONSARD, Second Livre des Amours (1578) : amour, beauté, ciel, fleur, oiseau, poète. Théophile DE VIAU, OEuvres poétiques (1621) : amour, nature, sensibilité, souvenir, temps, voyage. ROUSSEAU, Julie, ou la nouvelle Héloïse (1761) : amour, femme, mélancolie, nature, sensibilité, voyage. PARNY, Chansons Madécasses (1787) : amour, beauté, exotisme, mélancolie, nature, voyage. LAMARTINE, Voyage en Orient (1835) : exotisme, nature, poète, sensibilité, temps, voyage. BANVILLE, Les Cariatides (1842) : amour, beauté, chanson, chevelure, nature, oiseau. CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe (1849) : amour, beauté, nature, sensibilité, temps, voyage. VERLAINE, Poèmes saturniens (1866) : mélancolie, nature, nostalgie, poète, sensibilité, souvenir. GAUTIER, Poésies complètes (1875) : amour, beauté, exotisme, nostalgie, poète, souvenir. Henri de RÉGNIER, Les Lendemains (1886) : amour, fleur, nature, oiseau, saisons, souvenir. PROUST, À La Recherche du temps perdu (1913) : amour, nature, sensibilité, souvenir, temps, voyage. ÉLUARD, Mourir de ne pas mourir (1924) : amour, beauté, ciel, femme, nature, souvenir. PROUST, Albertine disparue (1925) : amour, femme, mélancolie, sensibilité, souvenir, voyage. REVERDY, Le Gant de crin (1926) : amour, beauté, nature, poète, temps, vie moderne. COLETTE, Sido (1930) : femme, fleur, nature, nostalgie, sensibilité, souvenir. DESNOS, Trente chantefables pour les enfants sages (1944) : astre, beauté, chanson, ciel, exotisme, saisons. ÉLUARD, Poésie ininterrompue (1946) : amour, beauté, ciel, femme, feu, temps. CADOU, Hélène ou le règne végétal (1952) : amour, beauté, femme, nostalgie, poète, temps. Max-Pol FOUCHET, Les Évidences secrètes (1972) : amour, nature, saisons, souvenir, temps, voyage. SOUPAULT, Odes 1930-1980 (1981) : amour, feu, nature, poète, souvenir, voyage. Il serait impossible ici de développer toutes les suggestions d'une telle liste. On la considérera comme une proposition de lectures croisées, toujours éclairantes quand on veut se rendre compte à la fois de l'originalité et de la filiation d'une oeuvre. Les oeuvres sont simplement présentées par ordre décroissant de similarité avec Alcools, puis par ordre chronologique. D'autres regroupements peuvent fournir des pistes de réflexion utiles : les symbolistes (Samain, Régnier) et les surréalistes (Desnos, Péret, Éluard, Soupault) encadrent Alcools en indiquant les prédécesseurs et les successeurs d'Apollinaire. Une tradition poétique se dégage, qu'Apollinaire n'aurait pas reniée (Ronsard, Théophile de Viau, Parny, Lamartine, Banville, Nerval, Baudelaire, Verlaine, Gautier) : celle du lyrisme français, dans sa tension entre épanchement 18 QUINTESSENCE D'ALCOOLS et formalisme. D'autres parallélismes, en apparence plus surprenants, peuvent révéler des parentés profondes, telle celle que l'on peut établir entre Apollinaire et Proust, dont on pourrait oublier qu'ils étaient contemporains aussi par les préoccupations, ou celles qui font d'Apollinaire, par certains aspects, un romantique paradoxal (cf. Lamartine, Chateaubriand, Nerval). TITRES Le titre du recueil évoque d'emblée la section « Le Vin » des Fleurs du mal de Baudelaire (1861). Est-ce par souci d'originalité ? En 1910, Apollinaire songe à regrouper ses poèmes dans un recueil intitulé « Eau de Vie ». L'ouvrage est même annoncé dans une chronique d'Alain-Fournier (Paris-Journal, 8 août). Or, on constate que ce vocable, on ne peut plus commun, n'a été employé que neuf fois dans cinq textes avant lui dans la poésie française depuis 1850 (du moins telle qu'elle est consignée dans la banque de données FRANTEXT). C'est d'abord Victor Hugo qui en use dans le poème « Nox » des Châtiments (1853) : Que sur les boulevards le sang coule en rivières ! Du vin plein les bidons ! Des morts plein les civières ! Qui veut de l'eau-de-vie ! En ce temps pluvieux Il faut boire. Soldats, fusillez-moi ce vieux ! Tuez-moi cet enfant Puis Baudelaire, dans les Petits Poèmes en prose (1867) évoque les démons de la nuit, sous la forme d'une diablesse issue du cauchemar : Ce qui me frappa le plus, ce fut le mystère de sa voix, dans laquelle je retrouvais le souvenir des contralti les plus délicieux et aussi un peu de l'enrouement des gosiers inces(« Les Tentations ou Éros, Plutus et la Gloire ») samment lavés par l'EAU-DE-VIE. Dans le même recueil, l'un des quatre enfants du poème « Les Vocations » relate comment il a épié des saltimbanques après leur spectacle, qui « ont bu chacun une tasse d'eau-de-vie et se sont endormis, le front tourné vers les étoiles ». Toujours dans cet ouvrage, le poète, le narrateur de « La Soupe et les nuages », conte comment il a été brusquement tiré de ses rêveries par sa maîtresse : Et tout à coup je reçus un violent coup de poing dans le dos, et j'entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique et comme enrouée par l'EAU-DE-VIE, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait : « Allez-vous bientôt manger votre soupe, sacré bougre de marchand de nuages ? ». Dans la même veine, la folle qui figure au chant III des Chants de Maldoror par Lautréamont (1869) se caractérise par une haleine sentant l'eau-de-vie. Mais Apollinaire a-t-il lu ce recueil ? En revanche, il connaissait certainement cette « Bonne pensée du matin » de Rimbaud, reprise dans Une saison en enfer, « Alchimie du verbe » : Ô Reine des Bergers ! Porte aux travailleurs l'EAU-DE-VIE, Pour que leurs forces soient en paix En attendant le bain dans la mer, à midi. (Mai 1872) Puis c'est Verlaine qui reprend le mot au sujet du « Soldat laboureur » : Toujours levé dès l'aube et la pipe à la bouche, Il allait et venait, engloutissait, farouche, Des verres d'EAU-DE-VIE et parfois s'enivrait, Les dimanches tirait à l'arc au cabaret, Après dîner faisait un quart d'heure sans faute Sauter sur ses genoux les garçons de son hôte REPÈRES HISTORIQUES Ou bien leur apprenait l'exercice et comment Un bon soldat ne doit songer qu'au fourniment 19 (Jadis, 1896) Dans le même recueil, il prodigue ce « Conseil falot » à Raoul Ponchon : Brûle aux yeux des femmes, Mais garde ton coeur Et crains la langueur Des épithalames. Bois pour oublier ! L'EAU-DE-VIE est une Qui porte la lune Dans son tablier Mais c'est peut-être dans un magnifique poème en prose de Marcel Schwob, injustement méconnu, Le Livre de Monelle (1894) qu'il connaissait fort bien, qu'Apollinaire a trouvé un emploi suggestif de ce terme. L'une des soeurs de Monelle, Morgane, parcourt les pays d'Orient : Et plus loin est une montagne sauvage habitée par des bandits qui boivent l'EAU-DE-VIE de blé en l'honneur de leurs divinités. Ils adorent des pierres vertes de forme étrange, et se prostituent les uns aux autres parmi des cercles de buissons enflammés. Morgane eut horreur d'eux. On ne s'étonnera pas de trouver l'alcool sur la table du chasseur dans Les Géorgiques chrétiennes de Francis Jammes : Des vins pourpres, un peu d'EAU-DE-VIE complétèrent Les produits odorants qui viennent de nos terres (1912) Enfin, Apollinaire reprend ce syntagme nominal dans le premier poème du recueil : Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une EAU-DE-VIE Il est remarquable qu'on ne trouve plus ce terme, dans les poèmes enregistrés par la banque, jusqu'en 1930 ! Auparavant, Apollinaire avait songé à publier un recueil intitulé Le Vent du Rhin. Le fleuve a davantage inspiré les poètes, puisque dans un corpus de 57 textes, publiés entre 1850 et 1923 (à l'exclusion des oeuvres d'Apollinaire), on trouve 34 occurrences de ce nom, réparties sur 17 textes, de Hugo à Verhaeren. Pour mémoire, ce texte en prose ne faisant pas partie du corpus, je rappellerai Le Rhin, Lettres à un ami, écrites entre 1838 et 1839 par Victor Hugo. Un séjour à Bacharach y est mentionné, ainsi que le rocher de la « Lurley », qualifiée de « pauvre nymphe », sans inspirer davantage le poète. Quelle représentation du Rhin les poètes donnent-ils avant notre auteur ? Banville, Verlaine et Lautréamont nomment les vignes et le vin du Rhin, source d'ivresse, sans autre qualificatif. Le fleuve est, pour l'auteur de La Légende des siècles, une frontière et un immense fossé de l'Europe : Le grand Niagara s'écroule, le RHIN tombe ; L'abîme monstrueux tâche d'être une tombe... (t. IV, 1877) Il évoque ces grands seigneurs prédateurs qui, au cours des temps, ont bâti les burgs dominant le fleuve, semant la terreur, tel Eviradnus. Dans la même veine, Leconte de Lisle dresse la silhouette effrayante de Frédéric Barberousse : 20 QUINTESSENCE D'ALCOOLS Il eut en ce temps-là, mille vassaux en trousse, Serfs et soudards, bandits de la plaine et du RHIN, Son cri de guerre étant : sus ! Oncques ne rebrousse ! (Poèmes tragiques, 1886) Le soudard a la nostalgie de ses rives cultivées de longue date : Enfin, las, assouvi des torrides déserts, Un suprême désir s'éveille dans ton âme De voir couler le RHIN entre ses coteaux verts. (Ibid.) Il rêve d'un retour au pays natal, débarrassé de ses ignobles compagnons : Écoute ! c'est le vent dans la tour écroulée Où le hibou hulule, et qu'il habite seul ; C'est le RHIN qui murmure et fuit dans la vallée, Sous le roc d'où, jadis, vers la tombe d'un dieu, Comme l'aigle au matin, tu pris ton envolée. (Ibid.) Le même imaginaire mythique faisait dire à Verlaine : Le RHIN est un burgrave, et c'est un troubadour Que le Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour (Poèmes saturniens, 1866) Tandis que Laforgue ne peut s'interdire un calembour (« Son mouchoir me flottait sur le RHIN », Les Complaintes, 1885), seul Émile Verhaeren semble avoir été sensible au vent porteur des légendes dont Apollinaire se fera l'écho : Le vent se cabre ardent, rugueux, terrible et fou, mord la steppe, bondit d'Ukraine en Allemagne, Roule sur la bruyère, avec un bruit d'airain, Et fait pleurer les légendes, sous les montagnes, De grotte en grotte, au long du RHIN [...] Aux temps des héros blonds, il se fit légendaire ; Sigfried, tu vins à lui dans le couchant marin, Et tes yeux regardaient son bloc auréolaire, Luire, comme un soleil, sous les flots verts du RHIN. (La Multiple Splendeur, 1906) De fait, le recueil « Le Vent du Rhin », qu'Apollinaire projetait, fut dispersé au gré des revues. On sait qu'il choisit, sur les premières épreuves, en octobre 1912, d'intituler son recueil Alcools. Outre toutes les raisons alléguées, on notera que le vocable « alcools », au pluriel, n'apparaît jamais dans le corpus poétique précédemment désigné. En revanche, le mot, au singulier, y est employé 9 fois dans 7 textes. Le poète de la bohème, Henry Murger, dépeint une pauvre prostituée : Dans l'ALCOOL fraudé pour l'ivresse du vice, Elle a déjà perdu le sexe de sa voix, Et comme Jean Hiroux parlant à la justice, Le mot reste étranglé dans son gosier de bois. (Les Nuits d'hiver, 1861) Puis c'est Lautréamont qui utilise le produit chimique, non pour la conservation mais pour la destruction : Depuis le jour où un chat angora me rongea, pendant une heure, la bosse pariétale, comme un trépan qui perfore le crâne, en s'élançant brusquement sur mon dos, parce que REPÈRES HISTORIQUES 21 j'avais fait bouillir ses petits dans une cuve remplie d'ALCOOL, je n'ai pas cessé de lancer contre moi-même la flèche des tourments. (Les Chants de Maldoror, VI, 4) Si l'on ne peut affirmer qu'Apollinaire a lu Lautréamont, on est certain, en revanche, qu'il a retenu la leçon de Rimbaud. Son « Bateau ivre » était célèbre parmi les poètes nouveaux ; Et dès lors je me suis baigné dans le poème De la mer, infusé d'astres et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rhythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l'ALCOOL, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l'amour ! (Poésies, 1871) Avec son allure fantaisiste, Jules Laforgue est un frère spirituel de notre poète : N'est-ce pas ; nous savons ce qu'il nous reste à faire, Ô coeur d'or pétri d'aromates littéraires, Et toi, cerveau confit dans l'ALCOOL de l'Orgueil ! Et qu'il faut procéder d'abord par demi-deuils... (« Complainte d'une convalescence en mai », Les Complaintes, 1885) Dans le recueil suivant du même auteur, on trouve une formulation voisine : Allons, n'en parlons plus ; et déroulons l'office Des minuits, confits dans l'ALCOOL de tes délices. (« États », L'Imitation de Notre-Dame la lune, 1886) Rimbaud, Lautréamont, Laforgue représentent l'une des familles spirituelles d'Apollinaire ; la seconde est incarnée par Émile Verhaeren, avec une formulation parfois très voisine de la sienne : « La vie, avec des flots d'ALCOOL est fermentée » (Les Campagnes hallucinées, 1893). Ou encore : Ô le plaisir qui chante et qui trépigne Dans la laideur tordue en tons et lignes ; Ô le plaisir humain au rebours de la joie, ALCOOL pour les regards, ALCOOL pour les pensées, Ô le pauvre plaisir qui exige des proies Et mord des fleurs qui ont le goût de ses nausées ! (Les Villes tentaculaires, 1895) Aux carrefours, porte ouverte, les bars : Étains, cuivres, miroirs hagards, Dressoirs d'ébène et flacons fols D'où luit l'ALCOOL Et son éclair vers les trottoirs (Ibid.) Certes, Apollinaire n'avait aucun besoin de se référer à ses prédécesseurs pour afficher un terme d'usage commun. Son audace consiste à extraire ce mot de sa gangue populaire, en le mettant au pluriel pour suggérer des sens infinis. Mais, à l'intérieur du recueil, lui-même ne l'utilise qu'au singulier : Et tu bois cet ALCOOL brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie (p. 14) Cavalerie des ponts nuits livides de l'ALCOOL Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles (p. 53) 22 QUINTESSENCE D'ALCOOLS VI. Échos Fréquente dans FRANTEXT (226 occurrences au total), la forme alcools n'est pas davantage employée en poésie après Apollinaire. De tous les contextes que fournit la machine, on retiendra ce qui caractérise le recueil. Reverdy en traite dans un article nécrologique, publié dans le quotidien L'Information du 30 décembre 1918 : Alcools, c'est une magnifique époque, Apollinaire encore jeune et glorieux avant la guerre, entouré de tous et choisissant plus nettement que plus tard, ce vers quoi il allait. C'était le pressentiment que quelque chose naissait avec lui, un peu par lui et que le reste n'était plus rien. Ce livre le représente le mieux, parce qu'il y a tout mis, tout mélangé et qu'il n'y avait pas encore certaines tentatives que nous trouvons extra-littéraires, venant d'un autre art, d'un autre mouvement, d'une autre époque. Apollinaire, qui fut surtout un homme de goût, en eut parfois, et c'est charmant, de bien mauvais. Mais il « dore, comme on l'a dit, tout ce qu'il touche ». En tout cas ses plus beaux poèmes sont là et on n'en trouvera pas de supérieurs dans son dernier recueil. (Repris dans OEuvres complètes, IX, Flammarion, 1976, pp. 138-139) Roger Vailland en fait l'objet d'un jeu oraculaire (Drôle de jeu, 1945), sans signification littéraire, et dans ses Carnets, René Fallet mentionne le prix d'un exemplaire trouvé au marché noir en 1947. On ne peut considérer qu'Alcools inspire particulièrement la verve des écrivains retenus dans notre plus importante banque textuelle ! En revanche, évoquant certains jours de disgrâce où les livres se réduisent à leur matérialité, Julien Gracq relève deux ou trois poèmes qui redonnent goût à la vie, parmi lesquels « La Chanson du Mal-Aimé », « L'Adieu », « Marizibill », « Les Colchiques », « Clotilde » : Il y a là à la fois la spontanéité, la grâce toute neuve de la vie qui bouge à l'état naissant et le recul du jamais plus inhérent à toute fixation poétique. Pour le reste, une bonne moitié des poèmes d'Alcools me laissent indifférent, n'était que leur érudition biscornue, qui relève parfois de l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, appâte l'imagination presque à chaque page, n'était aussi qu'Apollinaire est un admirable inventeur, ou dénicheur, de noms propres, plus original, de fantaisie plus aérienne que Hugo lui-même, le seul en tout cas qui sur ce terrain puisse rivaliser avec lui. « Zone » est un poème majeur, dont le pouvoir, justement salué par Breton, tient à une combinaison infiniment séduisante de l'éloquence romantique avec la morsure acide de la modernité (la modernité - qui ne ressuscite pas, comme on le croit, neuve et changée, avec chaque époque, mais qui n'a connu qu'un seul vrai printemps, entre Wilbur Wright et l'assassinat de Sarajevo - a respiré surtout, l'espace de quelques années, dans les vers et parfois la prose d'Apollinaire) [...] La grâce de la poésie d'Apollinaire, qui est un peu celle d'une goélette sous voiles, roulant et tanguant dans le grand frais, et de temps en temps embarquant un coup de mer, fait d'elle, avec le verset de Claudel, un des rythmes poétiques les plus spontanément contagieux qui soient pour le lecteur qui est en même temps un apprenti écrivain. Et il est peu d'influences qui soient à la fois plus propices et moins pesantes à porter que la sienne. Que serait la poésie d'Aragon sans Apollinaire ? et pourtant que d'espace libre sa présence visible ménage encore à Aragon. (En lisant, en écrivant, Corti, 1981, p. 204) VII. Apollinaire jugé par ses pairs On trouvera dans la section bibliographique toutes les indications nécessaires pour se procurer des jugements sur Apollinaire et son oeuvre, à travers les biographies et les recueils d'articles. Fidèle à mon parti-pris initial, je me bornerai, ici, à relever, en les classant et les commentant brièvement, les résultats issus d'une interrogation de la base FRANTEXT, sous l'entrée « Apollinaire ». Une première observation s'impose, dont je me demande si elle n'avait pas été malignement recherchée par le poète lorsqu'il choisit son pseudonyme : l'interrogation produit ce qu'en théorie de l'information et en matière documentaire on nom- REPÈRES HISTORIQUES 23 me du « bruit ». En effet, voulant me documenter sur Guillaume Apollinaire, je rencontre inévitablement Apollinaire de Laodicée (310-390), partisan des thèses du Concile de Nicée, et, à ce titre, considéré comme hérétique par le Concile de Constantinople, en 381. Il est nommé par Pascal, Mabillon, Renan. Mais je croise encore plus souvent l'évêque de ClermontFerrand, poète et fin lettré, Sidoine Apollinaire (Lyon 430 - Clermont 487), que désignent Chateaubriand, Renan et surtout Huysmans dont le personnage, des Esseintes, est tenté par « la correspondance lardée de saillies, de pointes, d'archaïsmes, d'énigmes... » (À rebours, Gallimard, coll. « Folio », p. 191). Au détour d'une page électronique, je rencontre aussi une Sainte Apollinaire, et des lieux portant ce nom vénérable : une léproserie chez Aloysius Bertrand, un village près de Langres où le maréchal Foch réalise ses grands manoeuvres, sans parler des mosaïques de Ravenne représentant le saint, désignées aussi bien par Anatole France dans Le Lys rouge que par Valery Larbaud. Certes, j'eusse pu m'épargner ce « bruit » en faisant commencer mon interrogation à 1910, mais je me serais privé de ces résonances du patronyme. Pire, je me serais heurté au silence si j'avais sollicité les occurrences de « Guillaume Apollinaire », tant il est constant que notre poète est désigné par son seul patronyme, ou alors nommé « le bon Guillaume », comme font tour à tour Cendrars, Carco, et tous les grimauds qui les imitent. La première mention du poète intervient dans le Journal de Gide, en 1908, lors d'un de ces banquets littéraires fort courus à l'époque : J'avais promis à Copeau de ne le quitter point, mais cela ne m'a malheureusement pas été possible. On m'avait fait le gênant honneur de me mettre à la droite de Royère (à gauche de Royère, Viélé-griffin, puis Gustave Kahn). Il eût été peu décent de refuser, et je ne l'eusse pu sans trop de phrases. À ma droite, Robert de Souza, puis Ghéon, puis, au détour de la table, Han Ryner, APOLLINAIRE, Copeau, Jean Schlumberger, puis une trentaine d'inconnus. En tout nous pouvions être cent cinquante. - Jolie salle au premier étage du Cardinal. Nourriture passable ; mais une tension nerveuse me rend incapable de manger... Récit interrompu. Inutile de le reprendre en détail. Très amusé et séduit par la figure (Journal 1889-1939, p. 260) d'APOLLINAIRE. La seconde vient, à propos des opinions d'Apollinaire en matière artistique, d'une voix inattendue. C'est celle d'Alain-Fournier, écrivant à son beau-frère, Jacques Rivière, en avril 1911 : J'ai très mal vu les Indépendants, le jour du vernissage. Je ne te le cacherai pas : j'adore Rousseau. S'il en était temps encore, j'achèterais un petit paysage de lui. À cause de tant de grâce et de tant de foi, je crois qu'APOLLINAIRE a raison de dire que c'est un ange. (Correspondance avec Jacques Rivière, p. 275) J'ai évoqué ci-dessus la création de la revue Nord-Sud par Pierre Reverdy. Voici comment celui-ci annonçait ses ambitions, au nom de la rédaction, dans la première livraison, le 15 mars 1917 : La victoire est désormais certaine. C'est pourquoi, il est temps, pensons-nous, de ne plus négliger les lettres et de les réorganiser parmi nous, entre nous. Naguère, les jeunes poètes allèrent trouver Verlaine pour le tirer de l'obscurité. Quoi d'étonnant que nous ayons jugé le moment venu de nous grouper autour de Guillaume Apollinaire. Plus que quiconque aujourd'hui, il a tracé des routes neuves, ouvert de nouveaux horizons. Il a droit à toute notre ferveur, à toute notre admiration. Dans le même numéro, une notule relatait le comportement des jeunes poètes à l'égard de leur aîné trépané : LA FAUNE DE FLORE. - Les admirateurs du poète Guillaume APOLLINAIRE qui sont ses amis aussi, après lui avoir offert un banquet dont on a assez rendu compte, se réunissent maintenant autour de sa table, au café de Flore. Ce sont des réunions pleines de cordialité et de vie. C'est aussi la manifestation du besoin de se grouper que l'on sent chez tous ceux qui sont en train de créer l'art vivant d'aujourd'hui. On s'est groupé autour d'APOLLINAIRE. Ce n'est pas un symbole, c'est une réalité. 24 QUINTESSENCE D'ALCOOLS Quelques années après, André Breton, qui l'avait rencontré à Paris sur son lit d'hôpital, et qui avait eu de longues conversations avec lui, le long des quais de la Seine, allait lancer le mouvement surréaliste, avec ses camarades nommés Aragon, Soupault, Éluard, etc. Il explique ainsi le choix de ce terme, emprunté au sous-titre des Mamelles de Tirésias : En hommage à Guillaume APOLLINAIRE, qui venait de mourir et qui, à plusieurs reprises, nous paraissait avoir obéi à un entraînement de ce genre, sans toutefois y avoir sacrifié de médiocres moyens littéraires, Soupault et moi nous désignâmes sous le nom de surréalisme le nouveau mode d'expression pure que nous tenions à notre disposition et dont il nous tardait de faire bénéficier nos amis. Je crois qu'il n'y a plus aujourd'hui à revenir sur ce mot et que l'acception dans laquelle nous l'avons pris a prévalu généralement sur son acception apollinarienne. À plus juste titre encore, sans doute aurions-nous pu nous emparer du mot supernaturalisme, employé par Gérard de Nerval dans la dédicace des Filles de feu. Il semble, en effet, que Nerval posséda à merveille l'esprit dont nous nous réclamons, APOLLINAIRE n'ayant possédé, par contre, que la lettre, encore imparfaite, du surréalisme et s'étant montré impuissant à en donner un aperçu théorique qui nous retienne.(Manifeste du sur Le 24 octobre 1925, devant toutes les Académies réunies, l'abbé Bremond prononçait un discours sur « La Poésie pure ». En dépit de son parti-pris classique, il délimitait une place pour Apollinaire et ses semblables : Aussi, pour que ne s'affadisse pas, au moins dans l'âme des poètes, le sel indispensable de l'humour, paraissent à point nommé les enfants terribles de la poésie : La Fontaine, après le trop solennel Malherbe ; Musset, après les mages romantiques ; Verlaine, Laforgue et Francis Jammes, après le pontifiant Leconte de Lisle ; APOLLINAIRE après l'heureux et dangereux triomphe des symbolistes. Humour multiforme et, par définition, toujours imprévu. C'est lui qui, fatigué de la mascarade néo-classique, a présenté à Valéry la défroque de Jean-Baptiste ; c'est lui qui, vers le même temps, pour les mêmes fins, nous donnait Giraudoux, Cocteau, Max Jacob, et d'autres encore : bienfaisants mystificateurs qui maintiennent, bon gré mal gré, une inquiétude salutaire dans le camp des faux poètes. (La Poésie pure, « Éclaircissements », 1926, pp. 86-87) Dix ans après, le critique de La NRF, Albert Thibaudet, poursuivait cette idée de mystification : Personne n'eut l'imagination mystificatrice plus riche que Guillaume APOLLINAIRE. L'Hérésiarque pourrait presque prendre place sur le même rayon que Les Copains, et APOLLINAIRE inventa le douanier Rousseau à peu près comme M. Romains créa le prince des penseurs, Pierre Brisset. Mais L'Hérésiarque préfigurait tellement le vol de la Joconde qu'APOLLINAIRE (d'autres circonstances encore aidant) en fut soupçonné au point de faire plusieurs jours de prison, et que, jusqu'au retour de la toile au Louvre, il fut admis dans une partie du monde littéraire qu'il l'avait vraiment enlevée. (Réflexions littéraires, 1936, p. 144) Un peu plus sérieusement, et avec plus de raisons, un collaborateur de L'Encyclopédie nouvelle expose, la même année, les avantages de ce qu'aujourd'hui nous nommons le métissage culturel : Mais, si l'homme doit viser à consolider les acquisitions de ses ancêtres, il ne marque vraiment son passage sur la terre que s'il accroît cet héritage de combinaisons nouvelles d'éléments personnels « révélés » par l'expérience. Or, il n'est pas démontré que le milieu national soit particulièrement favorable à une mise à jour d'éléments originaux. Chamisso n'eût-il pas perdu son originalité s'il eût un jour fixé son choix entre les deux patries dont il revendiquait l'héritage spirituel ? Le cas de Conrad, ceux d'APOLLINAIRE, de Moréas ou de Stuart Merril permettent de poser la question. La littérature d'un peuple est nécessairement bornée, si elle évolue en vase clos : tout en gardant son caractère de cru, il est bon qu'elle s'alimente aux courants de l'univers. C'est le sens du voeu de Miguel de Unanumo, lorsque, à la question : « Faut-il européaniser l'Espagne ou l'africaniser ? » il répond : « Il faut hispaniser l'Europe. » (Arts et littératures dans la société contemporaine, 1936, p. 5610) REPÈRES HISTORIQUES 25 Puis vient le moment des discussions sur la poétique d'Apollinaire. Il n'est pas étonnant que les poètes soient, en premier lieu, ceux qui relèvent son faire caractéristique. Citant une métaphore complexe d'Apollinaire : « ta langue ce poisson rouge dans le bocal de ta voix », Paul Éluard commente : Impression du déjà-vu, justesse apparente de cette image d'Apollinaire. Il en va de même pour : / ruisseau, argenterie des tiroirs du vallon / de Saint-Pol Roux. Un mot n'exprime jamais complètement un objet. Il ne peut qu'en donner idée, que le représenter sommairement. (Donner à voir, Premières vues anciennes, 1939, p. 131) Dans un article retentissant sur « La rime en 1940 », Aragon traitait des limites du vers classique, et redonnait toute sa place au poète d'Alcools : La dégénérescence de la rime française vient de sa fixation, de ce que toutes les rimes sont connues ou passent pour être connues, et que nul n'en peut plus inventer de nouvelles, et que, par suite, rimer c'est toujours imiter ou plagier, reprendre l'écho affaibli de vers antérieurs. Certains poètes, au début du vingtième siècle, ont reconnu avec plus ou moins de netteté cette maladie de la rime, et ont cherché à l'en guérir. Pour parler du plus grand, Guillaume APOLLINAIRE tenta de rajeunir la rime en redéfinissant ce que classiques et romantiques appelaient rimes féminines et rimes masculines. Au lieu que la distinction entre ces deux sortes de rimes se fît par la présence ou l'absence d'un [e] muet à la fin du mot rimeur, pour Apollinaire étaient rimes féminines tous les mots qui se terminent à l'oreille sur une consonne prononcée (et c'est ainsi que les rimes honteuses que Mallarmé cachait dans le corps de ses vers - tristement dort une mandore - devenaient rimes riches et permises), tandis que pour lui étaient rimes masculines toutes celles qui s'achèvent par une voyelle ou une nasale. D'où la liberté que riment entre eux des mots comme exil et malhabile (Larron des fruits) et disparaît la différence byzantine qu'on entretenait entre l'oie et loi. Mais cette médication symptomatique de la rime ne suffit pas à la guérir. Vite, on pouvait faire le tour, l'inventaire des nouveaux accouplements permis aux vers. (Le Crève-coeur, 1941, pp. 73-74) Dans Les Fleurs de Tarbes, composées à la même époque, Jean Paulhan relève quelques paradoxes de la littérature, et s'en prend à la terreur dans les lettres, dont, à ses yeux, Apollinaire est l'un des fauteurs, dans la mesure où il fut à la recherche d'un nouveau langage : Un autre courant secret de la littérature - secret, mais d'où sortent les oeuvres les plus vivaces que l'on ait vues de nos jours - exige du poète, par quelque alchimie, une autre syntaxe, une grammaire nouvelle et jusqu'à des mots inédits où revivrait l'innocence primitive, et je ne sais quelle adhésion perdue du langage aux choses du monde. Tel fut le rêve, et parfois la réussite, de Rimbaud, d'APOLLINAIRE, de Joyce. Une école moderne, non pas négligeable, donne à l'écrivain pour premier devoir de « dissocier la matière des phrases » ; une autre école l'invite à dissocier la matière des mots. (« Portrait de la terreur », 1941, p. 35) Le poème en prose de Max Jacob « La situation des bonnes au Mexique » dédié à son ami, et, en 1943, l'historique du Cornet à dés où il rappelle qu'Apollinaire le citait dans sa conférence aux Indépendants en 1907, font désormais partie de notre histoire littéraire. Ce faisant, cet extraordinaire inventeur du langage poétique que fut Max Jacob reconnaissait qu'il était passé au second plan, malgré son antériorité. Moins magnanime, un autre compagnon des premiers jours, Blaise Cendrars, évoquait sa collaboration avec Apollinaire : Quand je faisais le nègre à la Mazarine, copiant à la main (de mon écriture de chat !) les épais romans de chevalerie en vue d'une nouvelle collection de la Bibliothèque bleue, modernisant l'orthographe (moi, qui n'ai jamais pu me fourrer l'orthographe en tête !) de la vieille prose de la Table ronde, unifiant la ponctuation (moi, qui venais de supprimer la ponctuation dans mes plus récents poèmes !) des grimoires du roi Arthur, remettant ma copie in-extenso à Guillaume APOLLINAIRE qui se bornait à y pratiquer des coupes sombres (ce qui avait le don de me mettre en rage !) et de signer le texte (ce qui me laissait absolument indifférent, les romans du fameux cycle de la quête du Graal n'étant tout de même pas de lui, pas plus que Perceval n'est allemand et de Richard Wagner !) et de 26 QUINTESSENCE D'ALCOOLS l'apporter à son tour à Pierre-Paul Plan, un érudit (hum ! oui, son Rabelais, ... mais quel pauvre homme !), qui le signait aussi et assumait la responsabilité de la collection vis-àvis du négrier qui lui donnait généreusement 400 francs par volume, somme que PierrePaul Plan partageait honnêtement, je veux croire, avec APOLLINAIRE, et Guillaume partageait, toujours honnêtement, je veux bien le croire encore (une foutue école pour faire ses débuts dans les lettres !). (Bourlinguer, Paris Port-de-Mer, 1948, pp. 380-381) Passons sur ces détails anecdotiques, et venons-en au portrait en pied du poète savourant les mots : Comme le libraire Chadenat, Guillaume APOLLINAIRE avait une mémoire bibliographique phénoménale, mais je ne l'ai jamais vu lire un livre, ce qui s'appelle lire. Il attrapait un bouquin comme un prestidigitateur, faisait courir la tranche entre le pouce et l'index comme un grec un jeu de cartes biseautées, ne le feuilletait pas, le posait à plat devant soi sur la petite table en bois blanc de sa cuisine, où il se tenait de préférence pour écrire, y apposait les mains et au bout de quelques minutes il était capable d'en faire la recension et d'en écrire, allant jusqu'à citer des passages entiers du livre dans son article et de le critiquer savamment. APOLLINAIRE était un écrivain pour qui écrire était une fête (je connais une femme qui possède plus de 500 lettres de Guillaume ! ) et qui prenait une joie d'enfant à se lire et à se relire. (Id. ibid., p. 392) Dans la même page, le poète des Pâques à New York relate une conversation avec Apollinaire contant comment il avait été blessé alors qu'il lisait : -- Et que lisais-tu, Guillaume, pour être pareillement absorbé ? -- Le Mercure de France, ma dernière chronique de « la vie anecdotique ». Tiens, regarde... Et le lieutenant APOLLINAIRE me tendit un Mercure tout maculé de sang. Il avait rapporté le numéro ! ... À cause de ce sang du poète, je n'ai jamais lu cette chronique d'Apollinaire. C'était au printemps 1917. Cocteau donnait Parade au Châtelet, dont Picasso avait dessiné les costumes et brossait les décors et le rideau des ballets russes. Le cubisme triomphait. (Id. ibid.) Pour finir ce florilège, la parole revient à un poète, René Char, disant la position éminente qu'occupe désormais celui qui se déclarait fondé en poésie : Rimbaud règne, Lautréamont lègue. Le fleuret infaillible du très bienveillant Mallarmé traverse en se jouant le corps couvert de trop de bijoux du symbolisme. Verlaine s'émonde de toutes ses chenilles : ses rares fruits alors se savourent. Enfin APOLLINAIRE, le poète Guillaume APOLLINAIRE trouve, en son temps, la hauteur interdite à tout autre que lui, et trace la nouvelle voie lactée entre le bonheur, l'esprit et la liberté, triangle en exil dans le ciel de la poésie de notre siècle tragique, tandis que des labeurs pourtant bien distincts, en activité partout, se promettent d'établir, avec de la réalité éprouvée, une cité encore jamais aperçue sous l'emblème de la lyre. Des plumes tombées de l'amant de Lou s'affublent des gaillards au verbe fringant qui succomberont bientôt sous le fardeau compliqué des systèmes et des modes. Chaque jour pour nous dans le bloc hermétique qu'est Paris, Guillaume APOLLINAIRE continue à percer des rues royales où les femmes et les hommes sont des femmes et des hommes au coeur transparent. Encore que sur la périphérie, à l'emplacement des anciennes carrières, se tienne, économe comme le lichen, un poète sans fouet ni miroir, que pour ma part je lui préfère : Pierre Reverdy. (Recherche de la base et du sommet, 1981, La Conversation souveraine, Pléiade pp. 723-724) Par ailleurs, Apollinaire est encore évoqué, dans notre base de données textuelle, par Francis Carco, et ses vers souvent cités par les personnages de Roger Vailland, Françoise Sagan, Simone de Beauvoir, Robert Sabatier, René Fallet, Alphonse Boudard, tandis que, on l'a vu, Julien Gracq lui consacrait ses réflexions de haut langage. Que les mots d'un poète puissent être aussi souvent utilisés dans la littérature romanesque, cela nous prouve à la fois son appropriation par le public et sa pérennité. LEXICOMÉTRIE ET ÉTUDE DU VOCABULAIRE Ce chapitre présente ceux des résultats statistiques procurés par l'ordinateur qui m'ont paru suggérer les pistes les plus intéressantes : l'index hiérarchique du recueil, ses spécificités par rapport à la production poétique contemporaine, des tentatives d'analyse de sa composition interne. On trouvera encore ci-dessous une présentation des segments répétés, puis un dictionnaire des rimes que l'ordinateur m'a permis d'établir aisément. Enfin, les comptages des pronoms et adjectifs des première et deuxième personnes donneront une idée des types d'énonciation privilégiés d'un poème à l'autre, tandis que le classement des contextes de comme, semblable à, etc., offrira un aperçu des images d'Apollinaire. Index hiérarchique Depuis la naissance de la statistique lexicale, il est d'usage de présenter, en premier, l'index hiérarchique du recueil étudié, c'est-à-dire la liste des mots1 classés par ordre décroissant de fréquence, ce qui donne un aperçu de sa constitution. En voici le début, pour les fréquences supérieures à 10 : 1610 717 529 346 327 315 312 282 257 222 201 200 197 179 174 159 147 123 116 108 le (l', la, les) 102 de 99 et 94 à (au, aux) 87 être 83 des 82 un(e) 79 je (j') 72 que 67 avoir 61 en 59 mon (ma, etc.) 59 ce (ces, etc.) 58 se 58 qui 56 dans 54 il(s) 53 du 53 ne 52 comme 51 tu leur(s) son (sa, ses) me tout sur nous pour ton (ta, tes) on mort vous faire te venir beau aller amour aimer où 50 49 47 47 47 46 44 44 44 42 40 40 40 39 39 37 36 36 36 36 oeil pas avec notre (nos) tous y ô plus voir si main nuit ou jour passer moi ciel femme mourir par 35 33 32 32 31 31 29 29 29 28 27 27 27 27 27 26 25 25 25 24 quand sans chanter elle(s) mais savoir dire soleil vouloir fleur ombre puis seul vent vie blanc bien coeur sous autre 24 24 23 23 23 23 23 23 23 22 22 22 22 22 22 21 21 21 21 20 deux oiseau automne dont enfant encore feu pleurer toi celui (celle) danser ni regarder rire vieux Paris boire petit ville grand 1. Pour cela, j'ai procédé à une lemmatisation des formes. Par exemple, les différentes réalisations graphiques et grammaticales de l'article défini (le, la, l', les) ont été ramenées à un lemme unique, la forme vedette du mot dans un dictionnaire ; de même, le chiffre de 327 occurrences indiqué pour être dans la liste ci-dessous correspond aux fréquences cumulées des différentes formes conjuguées du verbe. Mais dans la suite de ce chapitre, pour l'approche des spécificités, on verra que je m'appuie sur le simple comptage des formes graphiques (le et l', pour reprendre l'exemple précédent, constituent alors deux entités indépendantes pour la machine), cela parce que je n'ai pu lemmatiser tous les textes consultés. QUINTESSENCE D'ALCOOLS 28 20 20 20 20 19 19 18 18 18 18 17 17 17 17 17 17 17 16 16 16 16 15 rose soir vers (prép.) votre (vos) étoile revenir aussi devenir (v.) flamme plein attendre entre (prép.) parce que souvenir (v.) tomber voici voix heure jamais temps tête eau 15 15 15 15 15 15 15 15 14 14 14 14 14 14 14 14 14 14 14 13 13 13 jardin mal (adv.) matin nu parmi prendre roi très Rhin donc fils (fille) fleuve homme laisser long mer près rue trembler air astres cheveux 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 12 12 12 12 12 12 12 12 12 connaître écouter entrer falloir lui pauvre pied regard rien suivre tant terre vin amant(e) ange bleu bord changer clair doux enfin fruit 12 12 12 12 12 12 12 12 12 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 lune maison ouvrir pouvoir sang sirène tourner triste vêtir ah ancien chaque corps couleur destin devant (prép.) feuille joli loin mai mettre monde 11 11 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 répondre toujours Dieu bon cimetière couler dame douleur fois jeter lentement lumière maintenant marcher (v.) pâle pensée (n.f.) porte (n.f.) saint sapin vivre Spécificités par rapport à la poésie contemporaine Abstraction faite des mots grammaticaux qui figurent en tête d'index, les premiers substantifs sont des indicateurs certains du réseau thématique d'Alcools. Cependant, il faut traiter ces informations brutes avec d'infinies précautions car rien ne garantit que ces mots ne figurent pas à la même place dans l'index de n'importe quel texte de langue française. Des mots comme amour, main ou corps, par exemple, sont des plus fréquents, surtout dans un texte poétique. Pour savoir ce qui est propre à l'écriture d'Apollinaire, il convient de comparer son vocabulaire à celui d'un corpus de référence, ce qui permettra de mesurer des écarts entre des textes de même nature, fondement de toute étude stylistique. Le corpus que j'ai choisi ici est constitué de poésies publiées entre 1893 et 1914, c'est-à-dire dans les vingt ans qui précèdent la parution d'Alcools. Il est censé représenter la production poétique offerte aux contemporains d'Apollinaire. On y relèvera bien sûr des manques (que l'on compare avec la liste donnée plus haut, pp. 14-15) mais il faut bien se persuader que la notion de « corpus de référence » est largement subjective. Le choix fait ici est celui de la banque de données FRANTEXT, à visée initialement lexicographique. Voici la liste des textes : 1893 VERHAEREN, Les Campagnes hallucinées 1895 VERHAEREN, Les Villes tentaculaires 1896 MORÉAS, Poèmes et sylves 1896 VERLAINE, OEuvres poétiques complètes 1897 MALLARMÉ, Un Coup de dés jamais... 1898 MALLARMÉ, Poésies 1898 MALLARMÉ, Vers de circonstance 1900 SAMAIN, Le Chariot d'or 1901 MORÉAS, Les Stances A. de NOAILLES, Le Coeur innombrable VERHAEREN, La Multiple Splendeur CLAUDEL, Connaissance de l'Est ROMAINS, La Vie unanime CLAUDEL, Cinq Grandes Odes CLAUDEL, Processionnal pour saluer le siècle nouveau 1910 PÉGUY, Mystère de la charité de Jeanne d'Arc 1911-1912 JAMMES, Les Géorgiques chrétiennes 1901 1906 1907 1908 1910 1910 LEXICOMÉTRIE ET ÉTUDE DU VOCABULAIRE 1911 PÉGUY, Le Porche du mystère de la deuxième vertu 1913 CLAUDEL, La Cantate à trois voix 1913 GÉRALDY, Toi et moi 29 1913 PÉGUY, Ève 1913 PÉGUY, La Tapisserie de Notre-Dame 1914 PÉGUY, Quatrains Pour comparer les deux lexiques, j'utilise un outil statistique, le calcul des spécificités. Sans entrer dans le détail, je résumerai ce procédé en disant qu'il permet de mesurer la probabilité pour qu'une forme d'un sous-corpus (ici, Alcools) ait la fréquence constatée par rapport à sa fréquence dans le corpus. Prenons un exemple. Il y a 539 112 mots dans le corpus des poésies, 17 465 dans Alcools, soit 1/30e environ. Or, la forme Paris, qui a 148 occurrences dans le corpus total, en a 21 dans Alcools, alors qu'une règle de trois nous en faisait attendre 5. On dira dans ce cas que Paris présente une spécificité positive. La probabilité pour qu'un tel phénomène se produise de manière aléatoire est de 1,18 E-10, soit 1,18 × 10-10, à peu près une chance sur dix milliards... La spécificité est donc ici très forte. Dans la pratique, on se contente de prendre en considération l'exposant (E-10) pour indiquer cette valeur. Je n'ai pris en compte ici que les probabilités inférieures à E-3 (moins d'une chance sur mille). Sur le même modèle, on peut aussi calculer des spécificités négatives, ce qui donne une idée des formes sous-utilisées par un auteur. Spécificités positives1 Certaines sont assez faciles à interpréter en ce sens qu'elles ressortissent à la thématique d'Alcools : ALCOOL : vin (E-4), vignes (E-4), grappes (E-4), verres (E-4) ALLEMAGNE : Rhin (E-18), Loreley (E-12), Coblence (E-5) AMOUR : amour (E-10), amant (E-4), couples (E-6) ASTRE : astres (E-9), étoiles (E-7), nébuleuses (E-5), soleil (E-4) BEAUTÉ : belle (E-5), beau (E-4) CHANT, CHANSON : chantent (E-6), incantent (E-5), romance (E-4), Orphée (E-4) EAU : onde (E-5), fleuve (E-4), humides (E-4) ÉLOIGNEMENT : passent (E-5), adieu (E-4), émigrants (E-4), attends (E-4) FEMME : femmes (E-7), fées (E-5) FEU : flammes (E-10), flambe (E-5), brasier (E-4), bûcher (E-4), Phénix (E-4) MOMENTS : automne (E-10), mai (E-8), matin (E-4) MORT : morts (E-12), mortes (E-8), cimetière (E-7), mourir (E-5), râle (E-5), trépassés (E4), ossements (E-4), pendu (E-4), flétris (E-4) OISEAU : oiseaux (E-7), oiseau (E-5), hiboux (E-5), ulule (E-5), colombes (E-4), colombe (E4) RELIGION : synagogue (E-7), Christ (E-6), évêque (E-4) SOUVENIR : souviens (E-10), mémoire (E-4) SURNATUREL : Merlin (E-5), magique (E-4), Phénix (E-4), sirène (E-4) VILLE : Paris (E-10), café (E-5), vitrines (E-5), Auteuil (E-4), villes (E-4) Ces thèmes sont facilement détectables à la lecture du recueil et ont été systématiquement recensés par la critique. D'autres, en revanche, ont été moins souvent signalés et l'étude informatisée suggère des lectures thématiques plus insolites : ARBRE : sapins (E-9), saules (E-4), cyprès (E-4), vergers (E-4) CIEL : ciel (E-4), nues (E-4), nuées (E-4) CORPS : mains (E-8), yeux (E-07), cul (E-4), têtes (E-4) GOÛT : saveur (E-7) 1. On prêtera attention au fait que certaines formes n'apparaissent comme spécifiques qu'en raison de leur récurrence dans les refrains. 30 QUINTESSENCE D'ALCOOLS OMBRE ET LUMIÈRE : nuit (E-6), blancs (E-5), ombres (E-5), soleil (E-4) OUÏE : écoutais (E-4), entendis (E-4), crient (E-4) REGARD : yeux (E-07), regarder (E-4) VÊTEMENT : mannequins (E-6), vêtus (E-5), vêtements (E-5), vêtue (E-5) Voici le reste de la liste, plus difficile à classer, mais où l'on trouvera matière à de fructueuses recherches thématiques, en se servant de l'index (p. 132) pour retrouver les contextes : matelots (E-8), destins (E-7), bague (E-6), fleurs (E-6), fruits (E-6), vents (E-6), pensées (E6), larron (E-6), voleur (E-5), lentement (E-6), ours (E-6), mâle (E-6), tzigane(s) (E-5), jetez (E-5), sultan (E-5), masques (E-5), entra (E-5), venait (E-5), connais (E-4), transporte (E-4), dansaient (E-4), hôtel (E-4), étudiant (E-4), pardonnez (E-4), mûrs (E-4), mensonges (E-4), Lazare (E-4), chevaliers (E-4), changeant (E-4) Au-delà de la thématique, la liste des spécificités suggère des études stylistiques en mettant en évidence certaines des particularités de l'écriture apollinarienne. La plus nette est certainement l'usage du pluriel. La forme les (E-51), en particulier, la plus fortement spécifique d'Alcools, indique cette tendance. Mais on trouve aussi dans la liste des formes spécifiques : des (E-16), mes (E-15), leurs (E-8), étaient (E-6), sont (E-5), tous (E-5), qui sont d'autres marques du pluriel. On remarquera également que dans la liste des formes spécifiques donnée plus haut il y a un grand nombre de pluriels. On peut mettre en évidence ce phénomène d'une autre manière : l'ensemble des formes terminées par la lettre s a une spécificité positive (E-6) dans Alcools. Cette méthode est bien sûre imparfaite puisqu'elle fait entrer dans le calcul des formes de deuxième personne du singulier, des adverbes, etc... mais elle est, grosso modo, révélatrice du même fait stylistique. Une autre particularité d'Alcools par rapport à la production poétique contemporaine, c'est l'importance des pronoms et adjectifs de la première et de la deuxième personne du singulier. Ainsi d'une part : j' (E-16), je (E-15), mes (E-15), ma (E-4), mon (E-4) ; et d'autre part : tu (E-11), te (E-4). Il est à noter que ces deuxièmes personnes sont très souvent réflexives, le narrateur s'adressant à lui même (voir « Zone », « Cortège »,...)1. Les deux traits stylistiques précédents se retrouvent dans les spécificités des auxiliaires suremployés par Apollinaire : le pluriel (étaient, E-6 ; sont, E-5 ; ont, E-5), la première personne (ai, E-10) et la deuxième (es, E-10). Il faut aussi considérer la spécificité de s' (E-8). À y regarder de près, il ne s'agit pas toujours de réfléchis (la forme se, elle, n'est pas spécifique) mais aussi du subordonnant (s'il). Les formes de s'en aller, très fréquentes, expliquent aussi cette particularité d'Alcools, ainsi que la spécificité de en (E-7). L'autre pronom adverbial, y, est d'ailleurs lui aussi spécifique de notre texte (E-4). Les dernières spécificités à relever sont celles de l'interjection ô (E-6), qui indique parfois chez Apollinaire la comparaison (« Bergère ô tour Eiffel », 7 ; « Mon beau navire ô ma mémoire », 19 ; « Ô mon ombre ô mon vieux serpent », 26 ; « Cet insecte jaseur ô poète barbare », 72 ; etc.), de puis (E-5) et de parce que (E-5) (surtout fréquent dans le « Poème lu au mariage d'André Salmon »). Spécificités négatives Le concept même de « spécificité négative » pourra paraître curieux mais il est un moyen de caractériser une oeuvre par la rareté de certaines de ses formes. Plus encore que pour les spécificités positives, l'ordinateur met ainsi l'accent sur des phénomènes qu'aucun lecteur n'aurait pu détecter spontanément. Certaines constatations sont complémentaires de celles que nous venons de faire : Apollinaire emploie moins que les autres poètes les formes de deuxiè1. Les épreuves de « Zone » révèlent qu'Apollinaire a hésité jusqu'au dernier moment entre « je » et « tu ». LEXICOMÉTRIE ET ÉTUDE DU VOCABULAIRE 31 me personne du pluriel avez (E-6) et savez (E-4), l'adjectif notre (E-4) et les pronoms elle (E5) et lui (E-4). Sont également moins fréquentes les formes verbales sera (E-4) et est (E-4). Nous avons déjà vu qu'Apollinaire avait une préférence pour le pluriel. En revanche, il utilise moins de tournures négatives : pas (E-7), ne (E-6), point (E-5) et plus (E-5) sont - corrélativement - en sous-fréquence. Certaines tournures semblent même être particulièrement rejetées par Apollinaire. On parle de nullax (mot forgé sur hapax) pour désigner une forme qui ne se retrouve pas dans un texte alors qu'elle aurait pu y être employée (compte tenu des contraintes linguitiques et génériques). Apollinaire, par exemple, n'utilise jamais la forme ça (E-4), que les autres poètes ne s'interdisent pas (297 occurrences dans le corpus). On ne peut y voir qu'un parti-pris stylistique, cette forme étant parfois considérée comme moins élégante que cela1. Notons également que le texte ne comporte qu'une seule occurrence de encor (E-4), licence poétique sans intérêt pour la versification novatrice d'Apollinaire, et que les formes ce (E-8), qu' (E-6) et ainsi (E-5) sont également sous-représentées dans le texte. Par ailleurs, les substantifs en spécificité négative pointent sur des thèmes fréquents à l'époque et qu'Apollinaire évite : âme (E-7), homme (E-6), Dieu (E-6), coeur (E-4). Il ne s'agit en effet ni d'une poésie religieuse, ni d'une poésie sentimentale, ou plutôt d'une poésie qui, quand elle est religieuse ou sentimentale, utilise plus volontiers un autre vocabulaire, celui que je signalais plus haut comme spécifique (Christ, par exemple, plutôt que Dieu), dans une perspective qui refuse les généralités philosophiques ou métaphysiques. Composition du recueil 1. Longueurs Il est toujours périlleux de vouloir introduire des découpages dans Alcools, dont les poèmes, composés à des dates différentes, ont été rassemblés sans souci de chronologie, de thématique ou de forme. En revanche, un schéma très simple à constituer (voir page suivante) permet de montrer qu'Apollinaire a eu le souci de faire alterner les pièces selon leur longueur2. Le recueil est encadré par deux poèmes qui ont presque exactement la même longueur. Les poèmes les plus longs (« la Chanson du Mal-Aimé », « La maison des morts », « Le Larron », « L'ermite », « Les fiançailles ») sont ensuite répartis assez régulièrement dans la masse du texte. L'alternance poème long / poème court, qui revient à ne jamais faire se succéder trois poèmes de tailles progressives, est systématique sauf en quatre endroits : - « Le voyageur » / « Marie » / « La blanche neige » (longueur décroissante) ; - « Nuit rhénane » / « Mai » / « La synagogue » (longueur croissante) ; - « Clair de lune » / « 1909 » / « À la Santé » (longueur croissante) ; - « Automne malade », « Hôtels », « Cors de chasse » (longueur décroissante)3. Les différences de longueurs sont très fortes. L'écart-type des longueurs est de 2 285, c'està-dire plus que la longueur moyenne des poèmes (1 874). 1. Voir par exemple GRÉVISSE, Le Bon Usage, § 671, a. 2. Longueurs calculées en nombre de signes, ce qui permet de faire abstraction de la longueur des vers. 3. Ces deux derniers poèmes sont aussi ceux qui, contigus, ont les tailles les plus voisines. QUINTESSENCE D'ALCOOLS 32 Zone La chanson du Mal-Aimé Palais La maison des morts Cortège Le voyageur Poème lu au mariage d'André Salmon Salomé Le larron Lul-de-Faltenin L'ermite Le brasier La synagogue La Loreley Les femmes Un soir Les fiançailles 1909 À la Santé Vendémiaire 2. Séries chronologiques Dans les autres études publiées dans cette collection, j'utilise habituellement la méthode des spécificités, qui permet d'indiquer quelles sont les formes lexicales les plus remarquables de chaque partie du texte. Mais il n'y a justement pas dans Alcools de partition imposée par l'auteur. J'ai donc eu recours à une autre méthode pour tenter de discerner un ordre de composition du recueil. J'ai d'abord découpé le texte en sept tronçons équivalents. Les voici : POÈMES 1 2 3 4 5 6 7 PAGES « Zone » - « La Chanson du Mal-Aimé » 7-32 « Colchiques » - « Le voyageur » 33-54 « Marie » - « Le vent nocturne » 55-75 « Lul de Faltenin » - « Nuit rhénane » 76-94 « Mai » - « Un soir » 95-112 « La dame » - « Les Fiançailles » 113-122 « Clair de lune » - « Vendémiaire » 123-142 OCCURRENCES 3 432 3 062 2 816 2 351 1 993 889 2 286 Le graphique présenté plus haut explique pourquoi il est impossible de découper le texte de manière plus régulière. On demande ensuite à l'ordinateur d'indiquer quelles sont les formes spécifiques1 de chacune de ces parties ou d'un bloc constitué par plusieurs parties contiguës. Voici les spécificités positives les plus remarquables : SPÉCIPARTIES FORME EXPLICATIONS FICITÉ - mai SPÉCIFIQUES +E18 +E09 5 5 Tirets du poème-conversation « Les femmes » (109) « Mai » (95) 1. Voir ci-dessus p. 29 pour l'explication de ce terme. Le procédé et le programme utilisés ici sont dus à André Salem (Université Paris III). On trouvera un exposé de cette méthode dans : André SALEM, « Les séries chronologiques », Histoire & mesure, 1991, VI(1/2), pp. 149-175. LEXICOMÉTRIE ET ÉTUDE DU VOCABULAIRE Rhin tu ni sapins Loreley c'est ou parce que j' nos des fruits ah ni parce que seigneur vent du Rhin soif raison ô Paris +E08 +E07 +E07 +E07 +E07 +E06 +E06 +E06 +E06 +E06 +E05 +E05 +E05 +E05 +E05 +E05 +E05 +E05 +E05 +E05 5 1 2-3 5 5 1 2-3 3 4 7 2-6 3 3 3 4 5 5 7 7 7 33 « Rhénanes » Le narrateur s'adresse à lui-même dans « Zone » (7) Anaphores du « Poème lu au mariage... » (58) « Les sapins » (107) « La Loreley » (99) Litanies de « Zone » (8-9) Anaphores du « Poème lu au mariage... » (58) « Vendémiaire » « Le larron » « Ah ! Ah ! » (« Le larron ») Anaphores du « Poème lu au mariage... » (58) « L'ermite » « Rhénanes » « Vendémiaire » « Vendémiaire » Comme on le voit, cette approche ne fait qu'accréditer l'idée d'un recueil où les spécificités sont individuelles, propres à tel ou tel poème. On remarque le même phénomène si l'on observe l'ensemble des spécificités chronologiques : NOMBRE DE FORMES SPÉCIFIQUES PARTIES NOMBRE DE FORMES SPÉCIFIQUES PARTIES NOMBRE DE FORMES SPÉCIFIQUES PARTIES 388 314 288 274 238 170 110 104 86 2 3 1 5 7 4 2-6 6 2-3 72 56 54 50 42 40 40 38 38 3-4 4-5 6-7 5-6 3-5 1-6 5-7 1-2 2-7 34 34 26 26 20 14 10 8 4 3-6 4-6 1-3 2-4 2-5 1-5 3-7 1-4 4-7 Le plus grand nombre de spécificités est atteint par des parties isolées. De plus, on constate qu'il s'agit souvent des spécificités d'un seul poème de grande taille, qui donne en quelque sorte sa coloration lexicale à l'ensemble de sa partie : « La maison des morts » pour la partie 2, « Le larron » pour la partie 3, etc. Les regroupements de plusieurs parties ont moins de spécificités et peuvent souvent être expliqués de la même façon : ce qui caractérise la série 2-6, par exemple, c'est de ne contenir ni « Zone », ni « La Chanson du Mal-Aimé », ni « Vendémiaire ». Par ailleurs, il est évident que cette méthode présente dans le cas d'Alcools une faiblesse essentielle, c'est son découpage initial : pourquoi sept parties et pas huit, dix, ou plus ? Cependant, un maillage plus fin réduirait le nombre de spécificités, pour des raisons mathématiques, et n'aboutirait qu'à isoler davantage chacun des grands poèmes, sans montrer davantage de cohésion lexicale entre poèmes contigus. QUINTESSENCE D'ALCOOLS 34 3. Bipartitions Une autre méthode, fondée encore sur le calcul des spécificités, permet d'éviter la subjectivité de ce découpage. Il s'agit d'essayer toutes les coupures possibles dans le texte pour produire le plus grand nombre de spécificités possible1. Voici le graphique présentant le score des différentes tentatives : Somme des exposants >2 450 400 350 300 250 200 150 100 50 0 0 10 Pages 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 130 140 Le découpage permettant d'obtenir le maximum de spécificités se situe au début de « L'ermite » (79). Cela tient en partie à la position centrale de ce poème mais aussi à ses caractéristiques lexicales. De manière générale, la courbe présente, par rapport au profil « en cloche », quelques irrégularités, des coupures ou des paliers, qui permettent de délimiter certains blocs dans le texte. Au centre du recueil, un « décrochage » très net est constitué par un ensemble qui va de « Le Larron » (69) à la fin de « La tzigane » (78). Une rupture se situe à la fin de « La Chanson du Mal-Aimé » (32), alors que la fin de « Zone » (14) ne laisse pas de trace sur la courbe. On constate des décalages plus ou moins importants au début de « Les fiançailles » (114), de « Vendémiaire » (136), de « Rhénanes » (94), de « La blanche neige » (57). Chacune des ces irrégularités est à interpréter comme un changement notable dans le vocabulaire. Cependant, nous en revenons toujours à la constatation précédente : certains poèmes se détachent de l'ensemble par leur masse et leur vocabulaire, sans que l'on puisse opérer des regroupements significatifs. 4. Dates de première publication Une dernière tentative consistera à regrouper les poèmes selon la date de leur première publication. Je les rappelle2 : ANNÉE POÈMES 1901 1902 1903 1904 1905 « Clair de lune » « L'ermite » « L'adieu », « Le larron », « La dame » « La synagogue », « La Loreley », « Schinderhannes », « Les femmes » « Palais », « Salomé », « Automne », « L'émigrant de Landor Road », « Mai », « Les cloches » « Les colchiques », « La maison des morts », « Lul de Faltenin », « La tzigane » « Le brasier », « Les fiançailles » 1907 1908 NOMBRE DE MOTS 89 827 1 164 1 055 1 272 1 571 1 324 1. Précisément, il s'agit de la somme des exposants supérieurs au seuil de 10-2. Le programme utilisé ici est dû à Michel Bernard. 2. Liste formée d'après l'édition établie par M. Décaudin et M. Adéma (OEuvres poétiques, La Pléiade, 1965). LEXICOMÉTRIE ET ÉTUDE DU VOCABULAIRE 35 1909 « La Chanson du Mal-Aimé », « Crépuscule », « Saltimbanques », « Le vent nocturne », « Rhénane d'automne », « Les sapins » 2 503 1911 « Poème lu au mariage d'André Salmon », « Nuit rhénane », « Signe » 660 1912 « Zone », « Le Pont Mirabeau », « Annie », « Clotilde », « Cortège », « Marizibill », « Le voyageur », « Marie », « La porte », « Merlin et la vieille femme », « Rosemonde », « Cors de chasse », « Vendémiaire » 5 308 1913 « Chantre », « La blanche neige », « Un soir », « 1909 », « À la Santé », « Automne malade », « Hôtels » 896 Dans ces groupements de tailles assez disparates, le calcul des spécificités arrive à repérer des dominantes lexicales. En voici le relevé1 : ANNÉE FORMES SPÉCIFIQUES 1901 1902 miel (E-6), lune (E-5), rayon (E-5), cette (E-3) seigneur (E-8), j' (E-6), ri (E-6), ai (E-5), ermite (E-4), jeu (E-4), malgré (E-4), mes (E-3), des (E-3), sang (E-3), vois (E-3), car (E-3), meurt (E-3), doigts (E-3), absous (E-3), aimons (E-3), dis (E-3), marche (E-3), pourtant (E-3), râle (E-3), sache (E-3), vain (E-3), trop (E-3) fruits (E-9), choeur (E-6), larron (E-6), va-t'en (E-6), voleur (E-6), ah (E-5), tu (E-4), trotte (E-4), il (E-4), puisque (E-4), magique (E-3), eût (E-3), mâle (E-3), mais (E-3), voix (E-3), es (E-3), ou (E-3), ayant (E-3), signe (E-3) Loreley (E-9), Rhin (E-6), Abraham (E-5), évêque (E-5), Ottomar (E-5), synagogue (E-5), café (E-5), chevaliers (E-4), Lenchen (E-4), là-bas (E-4), vient (E-3), faut (E-3), mai (E-3), il (E-3), coeur (E-3), vin (E-3), amant (E-3), sa (E-3) pensées (E-7), roi (E-6), mai (E-6), son (E-4), brouillard (E-3), mannequins (E-3), palais (E-3), du (E-3), cloches (E-3) vos (E-6), vivants (E-5), morts (E-4), on (E-4), leur (E-4), ils (E-4), disait (E-4), répondait (E-4), troupe (E-4), vitrines (E-4), si (E-3), se (E-3), bague (E-3), bientôt (E-3), tzigane (E-3), enfants (E-3), morte (E-3), cimetière (E-3), mille (E-3) brasier (E-5), dansaient (E-4), têtes (E-3), ardeur (E-3), flammes (E-3), citronniers (E-3), flamme (E-3), feu (E-3), je (E-3), mon (E-3), ont (E-3) morts (E-5), sapins (E-5), blancs (E-4), vieilles (E-4), cours (E-4), amour (E-3), dieux (E-3), sept (E-3), corps (E-3), destins (E-3), ahan (E-3), amoureuses (E-3), Attys (E-3), Chanaan (E-3), chanté (E-3), cosaques (E-3), épées (E-3), lactée (E-3), lumineuse (E-3), nageurs (E-3), pins (E-3), romance (E-3), ruisseaux (E-3), soirs (E-3), suivrons (E-3), sultan (E-3), voie (E-3), zaporogues (E-3), lui (E-3), cimetière (E-3), enfants (E-3) parce (E-12), ni (E-12), nous (E-7), Salmon (E-6), André (E-5), marie (E-5), revis (E-5), ami (E-4), liberté (E-4), verres (E-4), rire (E-4), mourant (E-4), travers (E-4), que (E-3), paroles (E-3), regard (E-3), dernier (E-3), honneur (E-3), Orphée (E-3), poésie (E-3) tu (E-8), Paris (E-5), te (E-5), souviens (E-4), villes (E-4), vienne (E-3), aussi (E-3), Seine (E-3), soif (E-3), suffit (E-3), où (E-3), tout (E-3), nos (E-3), t' (E-3), rue (E-3), ta (E-3) cellule (E-4), prison (E-4), tournons (E-4), elle (E-4), couleurs (E-4), aimais (E-3), nus (E-3), tombe (E-3), ciel (E-3), neige (E-3), était (E-3), écoute (E-3), France (E-3), papier (E-3), promène (E-3), visage (E-3), ma (E-3) 1903 1904 1905 1907 1908 1909 1911 1912 1913 Cependant, cette approche statistique n'est pas sans défaut. La date de première publication, tout d'abord, ne présume que très imparfaitement de la date d'écriture, dont seuls certains manuscrits peuvent nous donner une idée. D'autre part, Apollinaire a parfois remanié certains 1. Spécificités positives dont la probabilité est inférieure à 10-3. Seul l'exposant a été indiqué entre parenthèses : par « (E-6) » il faut entendre que l'exposant est 10-6. Cette valeur permet simplement de hiérarchiser les spécificités, par ordre décroissant. 36 QUINTESSENCE D'ALCOOLS poèmes avant de les publier dans Alcools. Par ailleurs, les spécificités recensées ici proviennent souvent d'un seul poème (les mots du refrain de « La Chanson du Mal-Aimé » pour la série de 1909, par exemple). Il est donc assez difficile, dans ce cas particulier, de regrouper les pièces sur des critères lexicaux. On constate enfin que le vocabulaire commun à toutes les années est très réduit1 : à, aux, dans, de, des, du, est, et, j', je, la, les, nuit, que, qui, sont, un. Le tableau ci-dessus nous montre d'ailleurs que les différences d'une année à l'autre relèvent moins de la stylistique que de la thématique. Segments répétés L'ordinateur peut relever dans le texte toutes les suites de mots qui se répètent2. C'est en particulier l'occasion de relever systématiquement tous les refrains : Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure (15, 16) Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d'esclave aux murènes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes (21, 32) Dans la cellule d'à côté On y fait couler la fontaine (128) Ah ! Que vous êtes bien dans le beau cimetière (105) Elle avait un visage aux couleurs de France (124) Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés -- Encore un peu de café Lenchen s'il te plaît (53, 54) (109, 110) Mais aussi les anaphores, répétitions et autres phénomènes d'écho, sans qu'il soit possible chez Apollinaire de bien distinguer tous ces types de récurrences : Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète (49) Sous le pont Mirabeau coule la Seine (15, 16) Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés De...

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