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Raymond Queneau, "Un rhume qui n'en finit pas", extrait du recueil "Battre la campagne"

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Quand on examine le vaste monde
ses beautés ses tristesses et ses aléas
on se demande on se demande
à quoi rime tout cela

mais qui mais donc tousse là ?

le jour se transforme en nuit
le bas se retrouve en haut
un autobus croque un fruit
un pigeon roucoule miaô

mais qui mais donc tousse là-haut ?

on ne connaît jamais le fond des choses
et l'on ne s'y résigne pas
on croit à la métempsycose
ou bien l'on n'y croit pas

mais qui mais qui donc tousse là-bas ?

dans la nature ou bien ailleurs
c'est un peu partout que poussent
les sophismes de l'erreur
on ne les connaît même pas tous

mais qui mais qui donc tousse ?

Le poème de Queneau, en choisissant d'être une réécriture de textes poétiques antérieurs, opte pour une parole décalée et humoristique. Ainsi, les codes de la poésie traditionnelle sont subvertis pour mieux être moqués. Néanmoins, le sérieux n'est pas totalement absent de ce poème de Queneau : en effet, il faut bien voir qu'une réflexion métaphysique habite le poème, qui s'interroge sur le cours du monde et le sens de l'existence.

« sérieux. [Il — Mais où va le monde?] Paru en 1968, en pleine crise sociale et révolte estudiantine en France, le recueil Battre la campagne amorce une réflexion sur le monde et sa destination. [A.

Le monde renversé] Malgré une apparente dérision, le poème de Queneau développe une réflexion sur l'état et le devenir du monde.

Alorsque la France est secouée par les troubles et l'effervescence révolutionnaire de 1968, le poète dresse un bilanapocalyptique de l'état du monde : tout y semble renversé ; la folie et l'absurdité règlent les conduites et le coursdes événements.

La deuxième strophe est à cet égard significative : le monde apparaît inversé, dérangé,bouleversé.

La litanie des antithèses dit ce désordre cosmique : le « bas se retrouve en haut », « le jour setransforme en nuit », le « pigeon roucoule », tel un chat, un « miaô » (v.

9).

Le monde est condamné à l'instabilité :les « aléas », donc le hasard, préside à son organisation.

« [B]eautés, « tristesses », tout se succède et s'enchaînesans logique apparente.

L'absence de lien logique entre ces deux termes antithétiques au vers 2 exhibe bien cette rupturesémantique, ce vide de la cohérence.

Tel le tableau de Bruegel intitulé Le Monde renversé, le poème peint un vaste espace livré à la folie.

Le monde, ou la nef des fous... L'homme a horreur du vide] Ce qui manque dans cet univers livré aux bouleversements et aux « aléas », c'est un principe organisateur quidonnerait sens au flux des événements.

Et le poète de demander, angoissé : « à quoi rime tout cela » (v.

4).L'inquiétude existentielle hante donc les vers.

La récurrence de la modalité interrogative (« mais qui mais quidonc tousse là ? », v.

5, 10, 15, 20) traduit cette angoisse.

Quand le savoir est évoqué, c'est toujours pourdire son manque, le vide qu'il laisse à combler, le déficit de connaissance et de sens.

Le verbe « croi[re] » se décline ainsi sur le mode de la négation (« n'y croit pas », v.

14) tout comme le verbe « connaît[re] » (v.

11 etv.

19).

La structure binaire « ou bien » (v.

14 et v.

16) traduit l'incertitude et la relativité des réponsesdonnées aux interrogations humaines.

nomme, comme l'affirmait Nietzsche, est en quête de « valeurs » et desens que l'univers refuse de lui livrer.

Le « fond des choses » est voué au mystère, et l'homme condamné à la torture de la question.

Comme pour artificiellement se rassasier, l'esprit préfère les vaines croyances (« métempsychose » ou « sophismes ») à la vacuité. B. Écrire pour conjurer le silence] C. L'homme n'est donc que misère et petitesse face à la grandeur écrasante des énigmes que lui posent l'univers etl'histoire.

Sa faculté de connaissance est limitée (« on ne les connaît même pas tous »), à jamais incomplète.

«[T]ous » rime ainsi avec « poussent » : l'expansion caractérise le monde et son cours ; la finitude et « l'erreur »caractérise l'esprit humain.

Cependant, plus que les réponses, c'est le questionnement qui fonde une grandeurdésespérée de l'homme.

Incessant interrogateur des mystères cosmiques, il ne renonce pas à rendre intelligible lemonde afin de se l'approprier.

Les questions du poète restent pour le moment sans réponse mais elles existent.

Lesvers sont une amorce de révolte et de réponse face au « silence éternel de ces espaces infinis ».

Le vers-refrain, ày regarder de près, ne marque pas l'éternel retour d'une interrogation métaphysique destinée à rester sans réponse: en effet, Queneau ne répète pas exactement la même question aux vers 5, 10, 15 et 20.

Il module à chaque foisl'adverbe final (là, là-haut, là-bas) jusqu'à le faire totalement disparaître (« qui donc tousse ? », v.

20).

C'est direque la réflexion et le questionnement, même modestement, même péniblement, progresse, avance. [Conclusion partielle] L'homme et le poète ne se « résigne pas » à manquer l'énigme du monde et du sens.

Son désir de percer les arcanesdu monde « n'en finit pas ». [Conclusion] Raymond Queneau avec « Un rhume qui n'en finit pas » propose un poème placé sous le signe des contradictions : àla fois badin et grave, léger et sérieux, le poème laisse, sous des aspects ludiques, une réflexion métaphysiqueangoissée sur le sens de la vie et de l'existence.

Le poète est celui qui, par et dans ses vers, interroge le mondeafin d'en percer les mystères.

Queneau s'inscrit, mais de manière originale, dans la lignée de la grande poésiecosmique et métaphysique, dont la vocation était de percer les mystères de l'univers.

Confronté à l'immensitésilencieuse du monde, le poète est celui qui ne renonce jamais, sinon à trouver, du moins à chercher des réponses.. »

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