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RÉTIF ou RESTIF DE LA BRETONNE : sa vie et son oeuvre

Publié le 01/12/2018

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restif

RÉTIF ou RESTIF DE LA BRETONNE, Nicolas Edme Rétif, dit (1734-1806). Longtemps Rétif est resté exclu de la grande littérature. De son vivant, il n’a jamais appartenu aux institutions officielles. Après sa mort, ses textes n’ont été lus que comme symptôme pour étayer un diagnostic de fétichisme, comme document sur la Bourgogne du xvmc siècle ou le Paris de la Révolution. Rétif ne trouvait place que sur le second rayon, parmi les auteurs libertins ou les écrivains régionaux. L’ampleur de son œuvre le desservait : un récit court et unique est un moyen plus sûr de parvenir à la postérité que les milliers de pages qu’il a commises. L’histoire de la littérature l’a réduit à l’imitation du passé ou à l’annonce du futur : « singe de Rousseau », « Jean-Jacques du ruisseau » ou « Voltaire des femmes de chambre » pour les uns, il devient pour les autres le « pithécanthrope de Balzac » ou le « Zola du xviiie siècle ». Les travaux des spécialistes depuis les années 1960, de courageuses rééditions aussi, ont largement renouvelé la connaissance de l’homme et de son œuvre. Ils permettent aujourd’hui de les aborder d’un œil neuf.

 

Le paysan de Paris

 

Né dans une famille paysanne et ayant passé ses premières années à la campagne, Rétif a été incontestablement marqué par ses origines rurales, mais on ne peut le suivre dans des oppositions trop tranchées entre ville et campagne, ignorance et culture. Sa famille, aisée et cultivée, était en liaison avec la capitale, et le jeune enfant a été envoyé dès onze ans aux environs de Paris. Rétif a reconstruit a posteriori sa vie et superposé mythiquement deux itinéraires, celui qui mène un jeune Bourguignon à Auxerre, puis à Paris, et celui qui fait d’un paysan un ouvrier imprimeur puis un homme de lettres promis à des heures de célébrité et à d’autres de misère. Son attitude vis-à-vis de cette destinée est ambivalente.

 

La migration vers la capitale lui apparaît comme une chute morale et un déclassement, mais aussi comme une promotion. Elle est concurremment perte d’une vérité première et quête de valeurs nouvelles.

 

Il est particulièrement difficile de rendre compte des enjeux et des étapes de cette existence dans la mesure où l’œuvre entier semble un effort incessant pour en porter témoignage, l’interpréter et la recomposer. L’historien y cherche un document sur un monde rural partagé entre la répétition du passé et l’ouverture aux innovations. Mais chaque texte de Rétif transforme par déplacement et condensation les éléments vécus, et les intègre en un mythe personnel. Les contradictions de l’individu sont projetées imaginairement sur le monde extérieur et lui donnent sa forme fictive : partition de la campagne natale en deux « côtés », côté sombre du village de Sacy, côté lumineux de Nitry; débat entre Edme et Pierre Rétif, c’est-à-dire le père et le grand-père, sur le rapport à la ville; rivalité morale entre les deux amis du jeune artisan, Gaudet d’Arras, le mauvais conseiller, et Loiseau, l’ange protecteur. Chacun des termes de ces oppositions est chargé d’un tel poids symbolique qu’il dépasse, en fait, les catégories du réel et de l’imaginaire. Le personnage de Gaudet, pour ne prendre que cet exemple, n’a sans doute pas réellement existé, il mêle les traits d'êtres différents, mais il a rapidement pris, pour Rétif, une réalité qui lui a fait envahir sa mémoire et ses livres. Tout l’œuvre est à la fois fiction et autobiographie.

 

La force des préjugés et les pesanteurs sociales faisaient alors de tout changement de lieu et de mode de vie une transgression à expier. Dans le cas de Rétif, la création littéraire magnifie et occulte cette faute originelle : à sa montée à Paris s’ajoute en effet son entrée en littérature. A partir de sa première publication, en 1767, sa vie se confond avec une écriture qui prend vite l’aspect d’une graphomanie. C’est elle qui réorganise le passé, de telle sorte que l’existence de M. Nicolas puisse apparaître comme la lente maturation du futur écrivain, puis l’épanouissement de son destin. Le désir d’écriture est toujours déjà là chez le jeune pâtre, aussi loin que remonte son souvenir, mais, inversement, la formation de l’enfant et de l’adolescent est effacée au profit du surgissement, impérieux et relativement tardif, de sa vocation.

 

Dans la France du xviiie siècle finissant, où les droits d’auteur n’existent pas encore mais où les encyclopédistes ont montré l’exemple d’une possible réussite sociale, Rétif appartient à un prolétariat littéraire, grouillant et impatient. Admirateur des philosophes, mais envieux des places qu’ils occupent et de la gloire qu’ils monopolisent, il s’identifie avec Rousseau, solidaire des Lumières et solitaire dans sa lutte contre leur institutionnalisation. La vie de Jean-Jacques, qui mêle l’opprobre d’une naissance commune et d’une pauvreté toujours menaçante à une gloire d’écrivain, l’exclusion sociale à la revendication d’une valeur personnelle, fascine tous ceux qui attendent un succès littéraire pour sortir de la misère.

 

Ce succès, Rétif l’obtint enfin en 1775 avec le Paysan perverti. Il tâcha dès lors de l’exploiter sans relâche. Mais avec le succès vint l’ambition, qui transforma le romancier en philosophe et le fit passer de simples narrations à des visions toujours plus larges de réforme sociale. Il entendait restituer la vie mais aussi la changer, et participa au foisonnement utopique qui précéda la Révolution. Les événements de 1789 le trouvèrent prêt pour une mission à laquelle personne ne l’appela, si ce n’est, un peu plus tard, les services de police. Enhardi par les vastes opérations de librairie du temps, il se lança dans la rédaction d’une somme à la fois personnelle et encyclopédique, Monsieur Nicolas, qui engloutit ce que la dévaluation des assignats lui avait laissé de son éphémère fortune. Les institutions culturelles qui furent organisées à partir de l’an III ne lui accordèrent aucune place, malgré ses revendications. Il ne fut pas nommé à l’institut, qui accueillit pourtant son ami Mercier, ni à F École normale. Il ne trouva un poste qu’à Moulins, il le refusa. Il mourut dans une marginalité qui l’avait marqué toute sa vie, et qui a décidé pour longtemps de sa destinée posthume.

 

L'odor di femina

 

Quand il retrace son enfance, il se présente en écrivain futur, mais également en don Juan précoce. L’irrépressible désir de lire et d’écrire n’a d’égal que son goût pour les filles. Caressé par les jeunes villageoises et vite déniaisé par la plus hardie, Nicolas Edme perd bientôt sa beauté — emportée par la petite vérole — et sa passivité; mais la laideur stimule en lui un sens de l’initiative où il voit le monopole de l’homme. C’est dire que sa vie et son œuvre sont hantées par le grand fantasme de la virilité. Le partage des sexes devient à ses yeux l’une des lois fondamentales de la société, puis de l’univers entier. Projets réformistes et fictions veulent remettre les femmes à leur place — la seconde — et dénoncent avec hargne toute tendance, dans les mœurs ou dans l’habillement, à l’indifférenciation.

 

Les souvenirs se confondent avec le fantasme pour transmuer cette existence en une séduction incessante et permettre à Rétif de rassembler en un calendrier toutes les femmes — une par jour — qu’il a aimées et qu’il commémore. Certains visages émergent de cette cohorte féminine, tels ceux de Jeannette Rousseau, qu’il aima dès l’enfance, ou de Mme Parangon; mais Rétif se veut fondamentalement, selon son mot, « polyéraste ». L’éloge du mariage s’accompagne chez lui d’une critique de l’institution monogamique.

 

L’obsession de l’amour lui fait traverser la société et le conduit jusqu’aux bas-fonds de la prostitution. Mais, autant que quête du plaisir, elle est effort pour s’inscrire dans le temps. Comme l’écriture, le désir érotique est volonté d’étendre l’être, d’inscrire une marque dans le déroulement des jours, à défaut de pouvoir le fixer. Idéalement, chaque rencontre avec une femme devrait se révéler féconde et donner le jour à un enfant. La vie amoureuse prendrait ainsi une dimension d’histoire et d’éternité. Du moins laisse-t-elle une trace par le souvenir et l’écriture : elle est commémorée. On comprend que l’inceste du père avec ses filles s’impose à un homme qui y voit une victoire sur la fuite des générations et sur la mort.

 

Rétif, finalement, se distingue de Don Juan. Sa thésaurisation du passé est à l’opposé de la dilapidation du grand seigneur et les trois cent soixante-cinq femmes et quelques de son calendrier ne rivalisent pas avec les mille e tre du catalogue que déroule Leporello dans le Don Giovanni de Mozart. L’aventure personnelle de Rétif s’élargit et se perd en une immense fresque de la féminité de son époque : ce sont les cinquante volumes des Contemporaines.

 

Le libertinage rétivien emprunte au donjuanisme quelques stratégies de séduction, mais il reste fondamentalement moralisant. Les pires priapées sont traversées de l’émotion de devenir père. Les positions érotiques et les étreintes vertueuses à la Greuze finissent par se ressembler. Le refus des perversions, la réduction du sexuel au génital, le lien revendiqué entre amour et procréation autorisent Rétif à confondre élan physique et sentiment, sentiment et morale. Il dénonce les manies de l’« infâme de Sade », qui, du côté de Sodome, théorise un érotisme de la dépense et de la violence. L’animosité du bourgeois à l’égard de ce marquis méchant homme l’entraîne curieusement à rivaliser avec lui dans une Anti-Justine destinée à pimenter les vies conjugales languissantes. Toutes les complaisances y sont admises pour la plus grande gloire de la vertu.

 

Le nyctalope

 

Polarisation mythique de l’enfance paysanne ou réalisation fantasmatique des désirs amoureux, la création rétivienne est baignée par l’imaginaire. C’est pourtant comme réaliste qu’elle a été classée par une tradition critique. Romancier du terroir et du trottoir parisien, il a été rapproché de Balzac ou de Zola. L’illusion vient de ce qu’il ouvre la littérature au petit peuple des villes et des campagnes, qu’il parle leur langue. Son personnel romanesque appartient à une bourgeoisie rurale ou citadine et à un prolétariat qui étaient confinés dans la littérature burlesque et exclus des grands genres. Son décor met en place les gestes et les objets de la vie quotidienne. A ces effets de réel s’ajoute la prétention de l’auteur à l’objectivité, au naturel. Il se veut témoin de son temps, inlassable observateur des mœurs. Cru sur parole, il sera étiqueté historien ou sociologue.

 

La documentation qu’il apporte et l’information qu’il brasse sont, en fait, travaillées par les obsessions de l’homme. Le témoin prend souvent le pas sur le témoignage. Au fur et à mesure que Rétif avance en âge, sa postérité imaginaire se met à peupler la capitale. Les ramifications de sa parenté et de ses connaissances lui permettent de parler de lui à propos de tout. Il met en scène sa célébrité et sa générosité. Il envahit sa création, Comédie humaine dont il est le principal personnage sans cesse reparaissant.

 

Plutôt qu’observateur, il est voyeur. Il n’a pas besoin comme le héros de Lesage d’un diable boiteux pour lui ouvrir les portes fermées ou soulever les toits. Il est à lui-même son propre Asmodée, bon diable mais maniaque. Il pénètre par effraction dans toutes les intimités. Paris, derrière ses façades ou derrière le rideau de la nuit, devient une fourmilière d’amants, de complots, d’accouplements. Rétif parcourt ces rues en rut, toujours prêt à prêcher ou à apercevoir un pied, une hanche, une gorge. La Révolution elle-même, vue du Palais-Royal, semble une vaste saturnale.

 

Une scène prend valeur emblématique. Surpris par un hibou, l’auteur est entraîné dans une méditation, et il imagine une race d’hommes nocturnes pour lesquels les ténèbres n’auraient pas de secret. Il retrouve cette race dans l’hémisphère austral de ses rêves. A Paris, il en serait le dernier descendant. « Spectateur nocturne », il s’identifie au hibou. Ses errances deviennent écriture, il révèle ce que lui ont fait découvrir sa clairvoyance et sa voyance. Le principe de l’objectivité est ainsi prétexte à visions et à fabulation. Le réalisme rétivien est inséparable de l’onirisme. Du petit fait vrai, on glisse au mythe et du pittoresque au fantastique.

 

Le prote protée

 

Longtemps l’écriture et le livre étaient demeurés des privilèges : pratique rare, objet de luxe. En en devenant acteurs et consommateurs, les masses bourgeoises et populaires les transforment. Le livre tend à devenir brochure, à se rapprocher du journal débité périodiquement; l’écriture s’imprègne du langage quotidien. Rétif est l’écrivain de cette mutation. Contre les stylistes qui cisèlent leur prose, il compose à la hâte. Il se précipite; son écriture, comme le remarque Gaëtan Picon, est dans tous les sens du mot « courante ». Jamais il ne gomme, jamais il ne rature : il ajoute. Il ne choisit pas : il entasse. Il voue son existence à cette rédaction ininterrompue qui doit porter trace de chacun de ses moments. L'œuvre entier étant une autobiographie sans fin, chaque livre particulier en représente un fragment ou un aspect. On ne s’étonne donc pas de retrouver les mêmes thèmes de livre en livre, ni de voir circuler certains fragments, détachés d’un ensemble pour être adjoints à un autre.

 

Toujours ouverte, toujours susceptible d’une addition, cette écriture est soumise aux mouvements de l’opinion et aux aléas du marché. En parlant continuellement de lui. Rétif ne cesse pas de s’inspirer des autres. C’est en composant typographiquement une œuvre de Mmc Ricco-boni que lui serait venue l’idée de son premier roman; c’est à l’un de ses amis d’alors qui l’avait précédé dans la voie de la littérature qu’il emprunte le titre de son second : Nougaret avait publié Lucette ou les Progrès du libertinage (1765-1766), Rétif prend le contre-pied avec Luc i le ou les Progrès de la vertu (1768). Quand il a conquis la notoriété avec le Paysan perverti (1775), c’est au tour de Nougaret de se mettre à sa remorque, en republiant Lucette sous le titre de la Paysanne pervertie (1777). Il ne restait plus à Rétif qu’à composer sa propre Paysanne pervertie (1784). On pourrait multiplier les exemples : Diderot a écrit le Fils naturel, Rétif écrit la Fille naturelle-, Rousseau la Nouvelle Héloïse et l’Émile, Rétif le Nouvel Abélard et le Nouvel Émile', Prévost les Mémoires d'un homme de qualité et Beaumarchais la Folle Journée ou le Mariage de Figaro, Rétif les Nouveaux Mémoires d'un homme de qualité et le Nouvel Épiménide ou la Sage Journée (1789)...

 

Cette création peut prendre toutes les formes. D’abord romanesque, elle prétend vite au théorique avec des propositions de réforme. Elle emprunte au théâtre ses ressources, quitte à en faire exploser le cadre dans un drame contenant treize actes d’ombres chinoises et dix pièces régulières! Elle trouve une expression privilégiée dans les formes éclatées : romans par lettres, qui se gonflent en portefeuilles et recueillent toutes sortes de fragments; récits enchâssés, qui multiplient les décrochements et les parenthèses; suites de nouvelles, surtout, qui accumulent les anecdotes. Les longues séries, tel le monumental massif des Contemporaines, exploitent une attente du public et satisfont la graphomanie de l’auteur. Les lecteurs du XXe siècle, quant à eux, restent abasourdis devant ce déluge verbal qui occupe à peu près deux cents volumes. Certains en détacheront un ou deux brefs récits comme Sara ou la Dernière Aventure d'un homme de quarante-cinq ans, d’autres seront sensibles au flux et à l’ampleur du projet. Pour notre part, nous lirons cet œuvre polymorphe non par titres mais par cycles qui se chevauchent, centrés autour de quelques-unes de ses constantes et de ses lignes de force.

restif

« apparaître comme la lente maturation du futur écrivain, puis l'épanouissement de son destin.

Le désir d'écriture est toujours déjà là chez le jeune pâtre, aussi loin que remonte son souvenir, mais, inversement, la formation de l'enfant et de l'adolescent est effacée au profit du surgissement, impérieux et relativement tardif, de sa vocation.

Dans la France du xvme siècle finissant, où les droits d'auteur n'existent pas encore mais où les encyclopédis­ tes ont montré l'exemple d'une possible réussite sociale, Rétif appartient à un prolétariat littéraire, grouillant et impatient.

Admirateur des philosophes, mais envieux des places qu'ils occupent et de la gloire qu'ils monopoli­ sent, il s'identifie avec Rousseau, solidaire des Lumières et solitaire dans sa lutte contre leur institutionnalisation.

La vie de Jean-Jacques, qui mêle l'opprobre d'une nais­ sance commune et d'une pauvreté toujours menaçante à une gloire d'écrivain, l'exclusion sociale à la revendica­ tion d'une valeur personnelle, fascine tous ceux qui attendent un succès littéraire pour sortir de la misère.

Ce succès, Rétif l'obtint enfin en 1775 avec le Pa ysan perverti.

Il tâcha dès lors de l'exploiter sans relâche.

Mais avec le succès vint l'ambition, qui transforma le romancier en philosophe et le fit passer de simples narra­ tions à des visions toujours plus larges de réforme sociale.

Il entendait restituer la vie mais aussi la changer, et participa au foisonnement utopique qui précéda la Révolution.

Les événements de 1789 le trouvèrent prêt pour une mission à laquelle personne ne J'appela, si ce n'est, un peu plus tard, les services de police.

Enhardi par les vastes opérations de librairie du temps, il se lança dans la rédaction d'une somme à la fois personnelle et encyclopédique, Monsieur Nicolas, qui engloutit ce que la dévaluation des assignats lui avait laissé de son éphé­ mère fortune.

Les institutions culturelles qui furent orga­ nisées à partir de l'an III ne lui accordèrent aucune place, malgré ses revendications.

Il ne fut pas nommé à l' Insti­ tut, qui accueillit pourtant son ami Mercier, ni à l'École normale.

11 ne trouva un poste qu'à Moulins, i 1 le refusa.

Il mourut dans une marginalité qui l'avait marqué toute sa vie, et qui a décidé pour longtemps de sa destinée posthume.

L'odor di femina Quand il retrace son enfance, il se présente en écrivain futur, mais également en don Juan précoce.

L' irrépressi­ ble désir de lire et d'écrire n'a d'égal que son goût pour les filles.

Caressé par les jeunes villageoises et vite déniaisé par la plus hardie, Nicolas Edme perd bientôt sa beauté -emportée par la petite vérole-et sa passivité; mais la laideur stimule en lui un sens de l'initiative où il voit le monopole de l'homme.

C'est dire que sa vie et son œuvre sont hantées par le grand fantasme.

de la viri­ lité.

Le partage des sexes devient à ses yeux l'une des lois fondamentales de la société, puis de l'univers entier.

Projets réformistes et fictions veulent remettre les fem­ mes à leur place -la seconde -et dénoncent avec hargne toute tendance, dans les mœurs ou dans l'habille­ ment, à l'indifférenciation.

Les souvenirs se confondent avec le fantasme pour transmuer cette existence en une séduction incessante et permettre à Rétif de rassembler en un calendrier toutes les femmes -une par jour- qu'il a aimées et qu'il commémore.

Certains visages émergent de cette cohorte féminine, tels ceux de Jeannette Rousseau, qu'il aima dès l'enfance, ou de Mme Parangon; mais Rétif se veut fondamentalement, selon son mot, « polyéraste ».

L'éloge du mariage s'accompagne chez lui d'une criti­ que de l'institution monogamique.

L'obsession de l'amour lui fait traverser la société et le conduit jusqu'aux bas-fonds de la prostitution.

Mais, autant que quête du plaisir, elle est effort pour s'inscrire dans le temps.

Comme l'écriture, le désir érotique est volonté d'étendre l'être, d'inscrire une marque dans le déroulement des jours, à défaut de pouvoir le fixer.

Idéa­ lement, chaque rencontre avec une femme devrait se révéler féconde et donner le jour à un enfant.

La vie amoureuse prendrait ainsi une dimension d'histoire et d'éternité.

Du moins laisse-t-elle une trace par le souve­ nir et l'écriture :elle est commémorée.

On comprend que l'inceste du père avec ses filles s'impose à un homme qui y voit une victoire sur la fuite des générations et sur la mort.

Rétif, finalement, se distingue de Don Juan.

Sa thé­ saurisation du passé est à l'opposé de la dilapidation du grand seigneur et les trois cent soixante-cinq femmes et quelques de son calendrier ne rivalisent pas avec les mille e tre du catalogue que déroule Leporello dans le Don Giovanni de Mozart.

L'aventure personnelle de Rétif s'élargit et se perd en une immense fresque de la féminité de son époque : ce sont les cinquante volumes des Contempor aines.

Le libertinage rétivien emprunte au donjuanisme quel­ ques stratégies de séduction, mais il reste fondamentale­ ment moralisant.

Les pires priapées sont traversées de l'émotion de devenir père.

Les positions érotiques et les étreintes vertueuses à la Greuze finissent par se ressem­ bler.

Le refus des perversions, la réduction du sexuel au génital, le lien revendiqué entre amour et procréation autorisent Rétif à confondre élan physique et sentiment, sentiment et morale.

Il dénonce les manies de l'« infâme de Sade >>, qui, du côté de Sodome, théorise un érotisme de la dépense et de la violence.

L'animosité du bourgeois à l'égard de ce marquis méchant homme l'entraîne curieusement à rivaliser avec lui dans une Anti-Justine destinée à pimenter les vies conjugales languissantes.

Toutes les complaisances y sont admises pour la plus grande gloire de la vertu.

Le nyctalope Polarisation mythique de l'enfance paysanne ou réali­ sation fantasmatique des désirs amoureux, la création rétivienne est baignée par l'imaginaire.

C'est pourtant comme réaliste qu'elle a été classée par une tradition critique.

Romancier du terroir et du trottoir parisien, il a été rapproché de Balzac ou de Zola.

L'illusion vient de ce qu'il ouvre la littérature au petit peuple des villes et des campagnes, qu'il parle leur langue.

Son personnel romanesque appartient à une bourgeoisie rurale ou cita­ dine et à un prolétariat qui étaient confinés dans la liué­ rature burlesque et exclus des grands genres.

Son décor met en place les gestes et les objets de la vie quotidienne.

A ces effets de réel s'ajoute la prétention de l'auteur à l'objectivité, au naturel.

II se veut témoin de son temps, inlassable observateur des mœurs.

Cru sur parole, il sera étiqueté historien ou sociologue.

La documentation qu'il apporte et l'information qu'il brasse sont, en fait, travaillées par les obsessions de l'homme.

Le témoin prend souvent le pas sur le témoi­ gnage.

Au fur et à mesure que Rétif avance en âge, sa postérité imaginaire se met à peupler la capitale.

Les ramifications de sa parenté et de ses connaissances lui permettent de parler de lui à propos de tout.

II met en scène sa célébrité et sa générosité.

ri envahit sa création, Comédie humaine dont il est le principal personnage sans cesse reparaissant.

Plutôt qu'observateur, il est voyeur.

Il n'a pas besoin comme le héros de Lesage d'un diable boiteux pour lui ouvrir les portes fermées ou soulever les toits.

Il est à lui-même son propre Asmodée, bon diable mais mania­ que.

Il pénètre par effraction dans toutes les intimités.

Paris, derrière ses façades ou derrière le rideau de la nuit,. »

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