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ROUSSEL Raymond

Publié le 29/11/2018

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ROUSSEL Raymond (1877-1933). Avec Roussel on est au bord de la littérature : sur le point d’entrer enfin dans un paradis exclusivement verbal et/ou littéral, mais à tout moment menacé de passer brusquement vers ce qui ne serait plus que les productions discursives de la schizophrénie. Périlleux exercice de funambulisme que Roussel a mené tout au long de son œuvre selon des formes apparemment très différentes, mais peut-être profondément homogènes.

 

Commençons par la fin : cet ultime ouvrage de Roussel, publié en 1935, deux ans après la mort de l’écrivain, mais rédigé, semble-t-il, en 1931 et 1932. Il porte un titre à la fois prometteur et déceptif : Comment j'ai écrit certains de mes livres. C’est annoncer d’emblée que la révélation sera partielle. Suivront quelques mois d’une vie distraite par la pratique intensive du jeu d'échecs,

 

intoxiquée par l’abus des barbituriques. Puis ce sera la mort, par une nuit de juillet, dans un grand hôtel de Palerme. Mort qui reste ambiguë : suicide? simple erreur de dosage dans les cocktails de drogues absorbés?

 

Les livres visés par l’explication de Roussel sont ceux qu’il a écrits selon le « procédé ». Procédé lui-même évolutif et très fortement didactique.

 

Dans un premier temps, il s’agit de construire un texte inséré entre deux fragments de discours aussi proches que possible quant au signifiant, aussi lointains que possible quant au signifié. Soit, par exemple, les deux « phrases » (c’est le mot qu’emploie Roussel pour désigner ce qui n’est, en toute pédantesque, voire anachronique rigueur linguistique, qu'un syntagme) :

 

1° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard...; 2° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard...

 

La simple substitution du p au b entraîne deux lectures totalement différentes : pour 1°, les caractères tracés à la craie sur les bords du billard usagé; pour 2°, les messages de l’homme blanc relatifs aux hordes du bandit sénescent. « Les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde » {Comment...). Pour ce « problème » (tel est en effet le mot utilisé par Roussel), la solution fut le conte « Parmi les noirs », présenté comme un « Texte de grande jeunesse ou texte-genèse » dans Comment j'ai écrit... D’assez nombreux autres textes ont été élaborés selon ce premier état du procédé (cf. Comment j'ai écrit...).

 

Puis le procédé évolue : le bref conte « Parmi les noirs » est « l’embryon » d’Impressions d'Afrique (1910) :

 

« Amplifiant le procédé, je cherchai de nouveaux mots se rapportant au mot billard, toujours pour les prendre dans un sens autre que celui qui se présentait tout d’abord, et cela me fournissait chaque fois une création de plus. Ainsi queue de billard me fournit la robe à traîne de Talou. Une queue de billard porte parfois le chiffre (initiales) de son propriétaire; de là le chiffre (numéro) marqué sur ladite traîne. Je cherchai un mot à ajouter au mot bandes, et je pensai à des bandes vieilles où l’on aurait fait des reprises (sens d’ouvrage à l'aiguille). Et le mot reprises dans son sens musical me fournit la Jéroukka, cette épopée que chantent les bandes (hordes guerrières) de Talou, et dont la musique consiste dans des reprises continuelles d’un court motif »

« 2° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard ...

La simple substitution du p au b entraîne deux lectures totalement différentes : pour J 0, les caractères tracés à la craie sur les bords du billard usagé; pour 2°, les messages de l'homme blanc relatifs aux hordes du bandit sénes­ cent.

«Les deux phrases trouvées, il s'agissait d'écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde» (Comment ..

.

).

Pour ce« problème» (tel est en effet le mot utilisé par Roussel), la solution fut le conte « Parmi les noirs », présenté comme un , donnent lieu à un texte second : celui, ici, des Impressions d'Afrique, ailleurs Locus sol us (1914) ou les deux œuvres dramatiques écrites selon le procédé: l'Étoile au front (1925) et la Poussière des soleils (1927).

On peut se laisser aller à spéculer dans diverses direc­ tions à propos des textes de ce genre.

L'allusion au rébus ne peut évidemment manquer de faire penser à l'analyse freudienne du rêve, construit aussi sur le mode du rébus.

Le nom de Saussure -le Saussure des Anagrammes - vient également à l'esprit : sauf accident heureux­ révélation de Roussel lui-même, dans Comment ...

(encore avoue-t-il lui-même ne plus se rappeler grand­ chose à propos de Locus solus et des pièces de théâtre), ou trouvaille quasi miraculeuse de tel ou tel lecteur for­ cené -, le texte fondateur reste irrémédiablement enfoui sous le texte manifesté.

Comme le serait le mot anagram­ matisé dans les vers grecs ou latins, sans la lecture qu'en donne Saussure.

Roussel serait donc le reflet- à la fois semblable et inversé-du Saussure des Anagrammes.

La lecture de Roussel qu'on vient de suggérer est verticale : elle cherche à repérer les relations entre le texte de surface et un autre texte, souterrain.

Mais le rébus est le plus souvent d'une atroce complexité : on ne peut, avec Jean Ferry -l'un des seuls, pourtant, à avoir déchiffré quelques-uns des rébus rousseliens non révélés dans Commem j'ai écrit...

-, que rester > devant la désarticulation de > en a pour étymon une >) élaborant à 1' aide de dents la représentation figurée d'un reître sommeillant, ou, dans les Impressions d'Afrique, la statue de l'hilote, faite en baleines de corset et circu­ lant sur des rails en mou de veau! Ces objets sont décrits de la façon la plus sereine, en un style quasi indifférent, d'une perfection un peu compassée.

De loin en loin un adverbe tel que. »

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