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Sartre: Huis-clos (scène 5)

Publié le 17/01/2022

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Nous sommes au troisième mouvement de la scène 5. La colère d'Inès explose après sa tentative ratée de séduire Estelle et, par dépit, prend Garcin pour cible.

GARCIN [...] Nous allons nous rasseoir bien tranquillement, nous fermerons les yeux et chacun tâchera d'oublier la présence des autres. Un temps, il se rassied. Elles vont à leur place d'un pas hésitant. Inès se retourne brusquement.

INÈS Ah! oublier. Quel enfantillage! Je vous sens jusque dans mes os. Votre silence me crie dans les oreilles. Vous pouvez vous clouer la bouche, vous pouvez vous couper la langue, est-ce que vous vous empêcherez d'exister ? Arrêterez-vous votre pensée? Je l'entends, elle fait tic tac, comme un réveil, et je sais que vous entendez la mienne. Vous avez beau vous rencogner sur votre canapé, vous êtes partout, les sons m'arrivent souillés parce que vous les avez entendus au passage. Vous m'avez volé jusqu'à mon visage : vous le connaissez et Je ne le connais pas. Et elle ? elle? vous me l'avez volée : si nous étions seules, croyez-vous qu'elle oserait me traiter comme elle me traite? Non, non : ôtez ces mains de votre figure, je ne vous laisserai pas, ce serait trop commode. Vous resteriez là, insensible, prongé en vous-même comme un bouddha, j'aurais les yeux clos, je sentirais qu'elle vous dédie tous les bruits de sa vie, même les froissements de sa robe et qu'elle vous envoie des sourires que vous ne voyez pas... Pas de ça! Je veux choisir mon enfer; je veux vous regarder de tous mes yeux et lutter à visage découvert.   

 

 

Cette page constitue le troisième mouvement de la scène 5. Après l'échec de sa tentative de séduction d'Estelle, et tandis que Garcin exhorte les deux femmes au calme, Inès prononce cette tirade, description et dénonciation de l'enfer, où elle fait preuve d'une résignation fière et revendique une sorte d'expression paradoxale de la liberté. L'alliance heureuse de la violence des propos et des envolées lyriques donne à ce texte des accents d'une poignante sincérité et révèle un Sartre inspiré autant que maître de son art, tout à la fois philosophe de l'existence et poète tragique.

 

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