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SCÈNE 6 de l'Acte IV du DOM JUAN DE MOLIÈRE

Publié le 22/02/2012

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La transfiguration de Don Elvire. On annonce à Dom Juan une nouvelle visite, celle d'une « dame voilée ». Dom Juan est intrigué. C'est Done Elvire qui sera donc la troisième présence que Dom Juan n'attendait pas ce soir-là. Mais le but et le caractère de son intervention sont tout à fait différents de ceux qui marquaient les visiteurs précédents. Plutôt qu'une visite, il faudrait la définir comme une apparition, terme employé par Claudia, l'élève avec laquelle Louis Jouvet avait travaillé cette scène dans des séances restées célèbres : « Elle entre plutôt comme une apparition; pour Dom Juan, c'est un avis du Ciel, un avertissement à Dom Juan. » Alors que M. Dimanche représentait les difficultés matérielles auxquelles Dom Juan allait se heurter, l'argument économique, le rappel des conditions auxquelles il était soumis comme chaque homme, l'idée de dette étant, par ailleurs, riche de connotations symboliques, alors que Dom Louis incarnait la menace de la justice humaine, les contraintes de la Loi, l'avertissement qu'Elvire apporte à Dom Juan n'est lié à rien de terrestre. En outre, ses paroles ne sont empreintes d'aucun reproche, d'aucune réprobation, mais d'un très grand amour, bien qu'il ne s'agisse pas du même amour dont elle brûlait au premier acte.
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« Sans se laisser décourager par cette indifférence moqueuse, Elvire poursuit en se présentant comme l'envoyée duCiel.

Elle est venue apporter à Dom Juan un message d'espoir et la promesse du pardon s'il se repent.

La deuxièmepartie de son discours est empreinte de l'idée de la miséricorde et de la clairvoyance divines. Un détachement céleste Elvire est passée de « l'attachement », du désir de possession, d'appropriation de l'être aimé, à un « détachement» qui est la marque de l'amour céleste, un amour qui s'identifie à la personne aimée au lieu de la tirer vers soi.L'inversion de ce mouvement traduit le changement qui s'est produit dans son âme. Jouvet a très finement caractérisé ce qui rapproche ce texte d'une littérature dévote dont Molière s'étaitcopieusement moqué dans Tartuffe en la parodiant, mais que dans la bouche de Done Elvire il utilise dans un tout autre sens.

Molière a prêté à Done Elvire les purs accents de la vraie dévotion, une sublimité bouleversante qu'iloppose à l'hypocrisie des faux dévots, dont il donnera un nouvel échantillon avec l'ultime métamorphose de DomJuan au cinquième acte. «Il y a dans Elvire », dit encore Jouvet, « quelque chose d'étonnant Tout ce qu'elle dit sort avec une facilité, une clarté, une limpidité, une aisance extraordinaires C'est, dans Molière, un texte unique.

Cen'est pas du Molière "ordinaire".

Si vous voulez lire un texte équivalent à celui-là, prenezl'Introduction à la Vie dévote de saint François.

Il y a des passages où vous trouverez exactement la fluidité de langage d'Elvire, cette sainteté faite de ferveur de saint François de Sales.

C'est unouvrage qui a été écrit en 1616, c'est-à-dire cinquante ans avant Dom Juan.

C'est une œuvre dont on a fait une cinquantaine d'éditions au XVII' siècle, qui était extrêmement connue, et (c'est uneimpression personnelle) je crois qu'on retrouve dans Dom Juan quelque chose de l'Introduction à la Vie dévote.

C'est surprenant dans l'oeuvre de Molière, on ne trouve pas d'échantillon de ce texte-là ailleurs, ce côté céleste qu'il y a dans Elvire.» Et Jouvet précise que les larmes qu'elle verse ne sont pas des larmes d'imploration : «Elvire est quelqu'un, qui parle purement et les larmes qu'elle verse, elle les verse dans unebéatitude céleste.

Il n'y a pas d'imploration pour un homme qu'elle veut reprendre.

» (Jouvet, 14, p. 84) Les larmes d'Elvire ne sont pas des larmes d'imploration, de supplication, ce sont des larmes d'extase mystique.

Onpourrait rapprocher ce texte non seulement du livre de saint François de Sales, mais aussi des effusions quiexpriment l'ambiguïté d'un certain sentiment religieux quand ce sentiment se confond avec le sentiment amoureux.Les paroles extatiques d'Elvire portent avant tout la marque de la sensibilité féminine, d'une capacité à dépasserl'objet aimé, d'une faculté d'exaltation que l'on trouve, par exemple, dans les- Lettres de la religieuse portugaise, attribuées à Guilleragues, que Molière avait côtoyé à la cour du Prince de Conti.

Mais on pourrait évoquer aussi bienles cris de sainte Thérèse d'Avila qui s'exclamait en s'unissant en pensée à son sauveur : « Pleurs! Pleurs de joie!» Les larmes d'Elvire sont des larmes d'extase amoureuse. Une tendresse extrême On aurait tort de croire, en effet, qu'Elvire renie son amour pour Dom Juan, l'amour qu'elle a éprouvé pour lui dans lepassé, dans ce passé si proche et devenu soudain si lointain.

Elle a dépassé cet amour, elle l'a porté à un degrésupérieur d'incandescence, elle l'a « épuré », mais elle puise dans le souvenir de ces moments de bonheur l'élan quila porte vers son ancien amant pour le sauver.

Elle cherche à le rejoindre dans l'évocation de ce passé qu'ils ont encommun, car c'est le seul moyen qui lui reste pour le toucher, pour le tirer de cette indifférence glaciale, de cettenuit de l'âme, de cette mort intérieure qui les sépare.

Son détachement est l'émanation de sa tendresse, il est pleind'une « tendresse extrême». L'extase d'Elvire est faite à la fois du détachement le plus élevé et de la tendresse la plus brûlante.

C'est ce que Jouvet a très bien compris quand il essaie de communiquer à ses élèves le sentiment dans lequel il faut dire ce texte: «Il faut qu'Elvire soit dans un état de tendresse.

En même temps que la tendresse, il y a en elle le détachement absolu de toutes choses.

Il y a un caractère de sainteté.

Il y a une grande pureté de ton et de coeur.

» Elvire achève sa prière et culmine sur l'expression d'une fidélité ultime et ardente qui forme le plus pathétiquecontraste avec l'inconsistance de Dom Juan.

Molière scelle ainsi le tableau de cette discordance fondamentale quiest, peut-être, le degré suprême de cette impossibilité tragique d'un amour partagé dont il avait acquis, à sesdépens, par sa propre expérience, l'amère conviction : «Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m'a été si cher que vous; j'ai oublié mondevoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous; et toute la récompense que je vous en demande, c'estde corriger votre vie, et de prévenir votre perte.

Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, oupour l'amour de moi.

». »

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