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Septième partie, chapitre III (3) - GERMINAL de ZOLA

Publié le 17/01/2022

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Et, brusquement, comme les ingénieurs s'avançaient avec prudence, une suprême convulsion du sol les mit en fuite. Des détonations souterraines éclataient, toute une artillerie monstrueuse canonnant le gouffre. A la surface, les dernières constructions se culbutaient, s'écrasaient. D'abord, une sorte de tourbillon emporta les débris du criblage et de la salle de recette. Le bâtiment des chaudières creva ensuite, disparut. Puis, ce fut la tourelle carrée où râlait la pompe d'épuisement, qui tomba sur la face, ainsi qu'un homme fauché par un boulet. Et l'on vit alors une effrayante chose, on vit la machine, disloquée sur son massif, les membres écartelés, lutter contre la mort: elle marcha, elle détendit sa bielle, son genou de géante, comme pour se lever; mais elle expirait, broyée, engloutie. Seule, la haute cheminée de trente mètres restait debout, secouée, pareille à un mât dans l'ouragan. On croyait qu'elle allait s'émietter et voler en poudre, lorsque, tout d'un coup, elle s'enfonça d'un bloc, bue par la terre, fondue ainsi qu'un cierge colossal; et rien ne dépassait, pas même la pointe du paratonnerre. C'était fini, la bête mauvaise, accroupie dans ce creux, gorgée de chair humaine, ne soufflait plus de son haleine grosse et longue. Tout entier, le Voreux venait de couler à l'abîme. Germinal - Emile Zola - Septième partie - chapitre 3

L'engloutissement du monstre du Voreux, machines et bâtiments (sans omettre les victimes humaines du fond qui en résultent), s'étend jusqu'à la lisière du coron : la terre, alentour, se crevasse, au point que la rivière canalisée concourt à l'enfouissement de la fosse, à cette chute cataclysmique du Voreux dans l'abîme d'un cratère de volcan éteint.  Ce que l'on voit en surface se répercute en profondeur : le Voreux, rempli par « un lac d'eau boueuse «, n'a pas relâché son emprise et il reste à organiser le sauvetage d'une quinzaine de survivants, prisonniers dans les galeries.  Le dernier signe de vie du Voreux, en surface, vient, comme on pouvait s'y attendre, de la machine d'extraction, qui commande la montée et la descente des berlines. C'est un mécanisme essentiel.  Après l'expiration de ce dernier souffle, commencera le sauvetage, sous la direction de Négrel, à partir du puits désaffecté de Réquillart.

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« D'abord , une sorte de tourbillon » ; le bâtiment [...] creva ensuite » Puis ce fut la tourelle » « Et l'on vit alors »« lorsque , tout d'un coup , elle s'enfonça » Lexique et syntaxe présentent enfin comme accomplie la désintégration du Voreux : « C'était fini [...] ne soufflait plus » ; « le Voreux venait de couler ». Les emplois conjoints du passé simple, apte à marquer la succession des événements, et de l'imparfait, soulignant lacontinuité de ceux-ci, ménagent la tension dramatique, agencent les effets de contraste, en somme confèrent unrythme au schéma narratif.

Dans la première phrase, par exemple, le passé simple (« mit ») interrompt la continuitéde l'imparfait (« s'avançait »): la « convulsion », annoncée par l'adverbe « brusquement », opère ses effets : Et, brusquement, comme les ingénieurs s'avançaient avec prudence, une suprême convulsion du sol les mit en fuite. » Il en est de même dans la fin de la phrase commençant par«Et l'on vit » : « elle détendit sa bielle...

mais elle expirait...

»; dans cette phrase, la conjonction « mais » soulignel'effet de surprise et de contraste. Une gigantesque convulsionLe mouvement d'effondrement, s'il est orienté vers le bas, se présente comme multidimensionnel.

On évoque une «suprême convulsion » de constructions qui « se culbutaient, s' écrasaient », et même un « tourbillon » qui « emporta» les débris du criblage ; le bâtiment des chaudières « creva », la tourelle « tomba » ; enfin, la machine cesse defonctionner comme un ensemble cohérent et organisé, on la voit « disloquée », « les membres écartelés » Le tourbillon est si puissant que la cheminée paraît subir la violence d'un « ouragan »; malgré l'ébauche d'unemarche, la machine est affectée des mêmes mouvements que le reste, on la montre « broyée, engloutie, secouée ».Quant à la cheminée, elle reste intacte, elle ne manque pas toutefois d'être entraînée, d'un coup, comme les autresinstallations, vers le gouffre (« elle s'enfonça d'un bloc »).

Contre toute attente, elle n'explosera pas : « On croyait qu'elle allait s'émietter et voler enpoudre, lorsque, tout d'un coup, elle s'enfonça.

» La cheminée aurait pu exploser, dans la mesure où elle est tributaire du feu (des chaudières).

L'intérieur de la terreest, justement, à ce moment-là, le siège du feu, qui provoque des explosions : « Des détonations souterraines éclataient, toute une artillerie monstrueuse canonnant le gouffre.

» Les phénomènes qui surviennent en surface différent donc de ceux qui se produisent en profondeur.

En surface,l'effondrement du Voreux révèle la terre qui engloutit sans que l'eau, pour l'instant, s'en mêle.

Certes, le narrateurévoque métaphoriquement le « mât » de la cheminée « secouée » par « l'ouragan », mais il ne fait intervenirl'élément liquide (l'eau de la mer ou du ciel) qu'à titre purement suggestif et par anticipation : la rivière se déverserabientôt dans le trou et un « lac d'eau boueuse » occupera toute la fosse.Il est donc permis d'interpréter les métaphores liquides comme une préfiguration de l'action conjuguée des éléments(terre et eau) : la cheminée est « bue » par la terre, et le Voreux « coule » à l'abîme, sans que, en réalité, l'eau soitdéjà présente.

Peu après, les eaux de la rivière canalisée se joindront à celles du « Torrent, cette mer souterraine »,pour submerger les galeries de la mine (voir ci-dessous, « La violence souterraine »).

L'organisme vivant du VoreuxDepuis le tout début du roman, le Voreux nous a été présenté, du moins dans l'imagination hallucinée d'Etienne (etde Bonnemort), comme un monstre dévorant les mineurs.Il n'est pas surprenant, de ce fait, que le monstre agite, dans les soubresauts de son agonie, les nombreusesexcroissances de son organisme, c'est-à-dire aussi bien les installations de surface, assimilées à des membres ou àdes parties vivantes, que les organes internes, les galeries du fond, soit les « entrailles » (septième partie, chapitreV).Il y a là une physiologie de la violence qui, en surface, se manifeste par les métaphores « animalisantes » ou «humanisantes » (zoomorphes ou anthropomorphes) telles que la culbute (les constructions « se culbutaient »), le «râle » de l'agonie, la chute de la pompe d'épuisement « sur la face » (semblable à « un homme fauché par un boulet»).Surtout, la machine d'extraction incarne, à elle seule, toute la vie organique du monstre : ses « membres écartelés. »

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