STYLE, STYLISTIQUE
Publié le 14/10/2018
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STYLE, STYLISTIQUE. Essentiel dans tout discours sur la littérature, le mot « style » en est l’un des ornements les plus ambigus. Avant de s’interroger sur les
diverses valeurs du terme, que l’on ne peut déterminer a priori, on fera quelques distinctions formelles qui permettront de déblayer quelque peu le terrain.
Le mot « style », qui vient du grec par le latin, désigne étymologiquement, on le sait, le poinçon servant à écrire; ses premiers emplois français, au xive siècle, sont très généraux : ils concernent toute manière de s’exprimer, de parler, et, particulièrement, une formule juridique de procédure. Ainsi, le style, d’« instrument pour écrire », devient comme une actualisation particulière du discours et comme une formule, une forme. Aujourd’hui, on peut parler de style absolument, en disant qu’une œuvre, qu’un texte a (ou non) « du style ». Cet emploi confère au mot la valeur d’une qualité simple, qualité qu’un texte peut ou non posséder. Cette qualité non précisée — unité, cohérence interne, effet spécifique sur le lecteur ou l’auditeur, ensemble de qualités esthétiques distinctives et reconnaissables... — reste si générale qu’on est tenté de l’identifier à l’idée même de littérarité. Au contraire, quand « style » est qualifié par un adjectif ou un complément, c’est la nature de la qualification qui lui donne un statut. Ecartons d’abord les qualificatifs qui désignent simplement un type de discours : parler de style administratif ou de style didactique ne sert qu’à établir une typologie assez grossière des discours et n’apporte qu’une faible information par rapport aux notions de langue, d’usage, de type de discours.
«
pleinement, dans le style, ou le mot « style» n'a plus de valeur fonctionnelle, et, partant, plus de sens.
Les styles- virtualités en puissance dans toute mise en discours d'une langue naturelle et de ses usages sociaux- ne peuvent être que des ensembles de caractè
res actualisés dans tout discours, parlé et écrit, et, dans
les textes écrits, par une écriture, qu'elle soit ou non
littéraire.
Ces caractères, on peut espérer les dégager
par une analyse effectuée à plusieurs niveaux et selon
plusieurs aspects.
Parmi les niveaux d'analyse, signalons
au moins celui de l'énoncé et celui de l'énonciation (conceptualisation linguistique due notamment à Émile Benveniste et reprise, par exemple, par Tzvetan Todo rov, en ce qui concerne l'objet littéraire).
Quant aux
aspects, la conception sémiotique dérivée des travaux de Charles Morris en distingue très efficacement trois :
syntaxe, sémantique et pragmatique.
Dans leur ensem
ble, ces caractères stylistiques peuvent être conçus
comme des « sous-codes » fluctuants surajoutés aux
codes plus fondamentaux de la langue et de ses usages; on peut les envisager comme organisés selon une struc
ture à découvrir, laquelle caractériserait un texte, une œuvre, l'ensemble des œuvres d'un auteur ou un ensem ble défini différemment, mais toujours de manière à révéler des traits pertinents pouvant servir à fonder une
classification, une typologie, voire même une hiérar
chie : les styles des arts poétiques classiques, qui sont d'ailleurs des « métastyles », puisqu'ils proposent des
modèles, plutôt qu'ils ne caractérisent des textes réels,
observables (ils sélectionnent en fait, dans ces textes,
les éléments
d'une norme, extraits ad hoc ...
) [voir ARTS POÉTIQUES].
La méthodologie susceptible de dégager les traits sty listiques dans un texte ou un ensemble de textes considé rés comme littéraires doit s'articuler sur la méthodologie
générale établie par une branche de la linguistique du
discours appelée, depuis Charles Bally (disciple éminent de Saussure), «stylistique».
Si l'on reprend les travaux
des principaux stylisticiens, de Bally à Jakobson, à Spit zer, à Bakhtine ...
, et les réflexions des théoriciens, on se
trouve devant une grande variété d'approches, inspirées par des conceptions plus ou moins précises de la lin guistique.
Ces approches articulent diversement les trois dimen
sions
de l'objet signifiant que constitue le texte : dimen
sion organisatrice des signes constitués en linéarité -la « syntaxe»; dimension « sémantique», liant les unités
ainsi constituées (de la lettre ou du phonème au texte
lui-même) à des « signifiés » et à des objets externes à la langue (objets de pensée, d'abord); enfin dimension « pragmatique », faisant intervenir les êtres sans lesquels
il n'y aurait pas de texte, pas de littérature, pas de lan
gage, ces humains qui produisent et interprètent les dis
cours
et les font ainsi- doublement accéder à l'exis tence.
Cette « trichotomie » (pour employer le terme de
Peirce, père de la sémiotique moderne) n'est évidemment qu'un artifice de méthode : tout ici interfère, et l'intui tion chère à la critique traditionnelle, à l'anti structuralisme militant, a beau jeu de dénoncer cet effort vers l'analyse- à défaut de proposer une synthèse qui
soit autre chose qu'un ressassement de la critique
intuitive.
Voies et méthodes
Dans son analyse « syntaxique » - au sens défini plus haut -, la stylistique procède à tous les étages d'intégration distingués par la linguistique pour caracté
riser
l'énoncé.
Si les unités sont minimales- phonèmes,
signes de l'écriture-, c'est leur nombre, leur répartition
statistique, leur distribution séquentielle qui seront étu
diés.
On pourra ainsi dégager des traits rythmiques, pro-
sodiques, mélodiques propres à un texte ou à un ensem
ble de textes.
Ces traits pourront être étudiés dans les
mots (longueur, structure formelle), les syntagmes, les
propositions, les phrases, et
même au-delà ...
Mais, au delà du syntagme, c'est l'aspect « syntactique » stricto
sensu qui est en cause.
Une stylistique empruntant aux
grammaires dites «génératives-transformationnelles» (calque disgracieux de l'anglais) quelques concepts, d'ailleurs vite périmés du fait de l'évolution même de ces grammaires, a l'intérêt de transcender l'analyse stati
que des grammaires classiques- dites distributionnelles
ou, restrictivement, «structurales»- pour rendre mani festes quelques processus formateurs, mais syntaxe et sémantique sont alors indissolublement mêlées.
Quant à la grammaire fonctionnelle, son rôle est évident : la répartition et la distribution des fonctions (nomina
les, adjectives, verbales) et des catégories (genre, nom
bre, personne, cas fonctionnels, catégories verbales ...
)
est évidemment une des clés dans la caractérisation sty
listique : ainsi, les notions
de « style nominal» et de « style verbal » ont été posées et discutées.
Au-delà de la phrase, l'étude de l'énoncé ne peut plus
séparer les aspects formels syntactiques et séman
tiques.
Outre les relations logiques, l'organisation de la représentation spatiale et temporelle peut être précisé ment décrite.
L'articulation de ces catégories peut déboucher sur une « narratologie » et alimente une bonne partie de l'analyse rhétorique et logique des textes [voir NARRATION ET NARRATIVITÉ, RHÉTORIQUE ET LITTÉRATURE].
La seule originalité de la stylistique, ici, est de placer ces divers éléments, en les intégrant, dans une perspec
tive propre à caractériser les œuvres et à les situer dans
une classe d'appartenance faite uniquement de traits
internes.
Plus «sémantique» encore -car l'aspect formel
devient alors très fuyant- paraît l'étude des procédés
qui, pénétrant la phrase et la séquence organisée de phra ses, caractérisent visiblement 1' énoncé et notamment l'énoncé littéraire, qui en fait consciemment usage.
Parmi ces procédés, celui qui permet de glisser du singu
lier au général, et vice versa - par exemple, de la des cription individuée à l'assertion universelle-, constitue
un critère, non seulement pour les styles mais aussi pour certains genres :ainsi, le roman ou l'autobiographie sont
à un pôle de cette« représentativité», la maxime au pôle
opposé.
L'étude des figures et de la« figuralité », pour sa part, concerne l'aptitude du langage à se manifester en tant que tel, par les fonctions dites « poétiques » et « métalinguistiques » (Jakobson) ainsi que par l'« anto nymie»; et la poésie tout entière relève de ce genre de caractérisation.
Enfin, la stylistique sémantique s'inté resse avec insistance au lexique, car la construction
(morphosémantique), le choix, la répartition, la fré
quence des mots constituent une véritable carte d'iden tité pour chaque texte ou chaque ensemble de textes.
Toute étude de la sémantique des discours littéraires est en même temps pragmatique : affecter d'ignorer que le texte a une origine et une destination ou, pour employer une terminologie trop galvaudée, que le mes
sage a un émetteur et un destinataire [voir CoMMUNICA TION] -ne peut être qu'une hypothèse de travail posée pour être détruite aussitôt que possible.
A quoi bon, dira t-on alors, distinguer ces trois aspects de l'étude stylisti
que si leurs objets respectifs sont toujours mêlés? Mais
on peut faire le même reproche à tout modèle analytique, par exemple au célèbre modèle des fonctions du langage deR.
Jakobson (Essais de linguistique générale, 1963)
repris par la plupart des stylisticiens.
Dans ce modèle,
les fonctions « émotive», «conative » et «phatique » (expression du locuteur, rapports entre émetteur et desti
nataire ...
) sont manifestement pragmatiques..
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