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Un barrage contre le pacifique

Publié le 18/02/2013

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www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ''Un barrage contre le Pacifique'' (1950) roman de Marguerite DURAS (360 pages) pour lequel on trouve un résumé puis successivement l'examen de : l'intérêt de l'action (page 2) l'intérêt littéraire (page 4) l'intérêt documentaire (page 6) l'intérêt psychologique (page 10) l'intérêt philosophique (page 15) la destinée de l'?uvre (page 15) Bonne lecture ! Résumé À la fin des années vingt, dans une région du Sud de l'Indochine appelée «la plaine de Ram«, une institutrice française vit avec ses deux enfants, Joseph, qui a vingt ans, et Suzanne, qui est une belle adolescente, dans une concession au bord du Pacifique dans l'achat de laquelle elle avait investi toutes ses économies, mais qui lui avait été vendue par de malhonnêtes agents du cadastre de Kam qui ne lui avaient pas dit que le terrain était inondé par l'eau salée à chaque grande marée et que toute culture y était impossible, tandis que le bungalow, à moitié achevé et sans balustrade, était attaqué par les vers. Elle s'était alors lancée dans une lutte vaine contre le cadastre, puis avait tenté, avec l'aide de paysans de la région et, en particulier, de son fidèle «caporal«, un Malais, de construire des barrages contre la mer. Mais «en juillet, la mer était montée comme d'habitude à l'assaut de la plaine. Les barrages n'étaient pas assez puissants. Ils avaient été rongés par les crabes nains des rizières. En une nuit, ils s'effondrèrent«. Or passe par la piste, qui est l'unique attraction de cette morne plaine, M. Jo, un jeune homme riche mais laid, vêtu d'un costume de tussor, qui conduit une splendide voiture et qui tombe amoureux de Suzanne. Joseph le juge ainsi : «Merde quelle bagnole... Pour le reste, c'est un singe«. Cependant, la mère semble prête à donner sa fille à cet homme, non sans rétribution. Mais il a beau lui rendre visite tous les jours, faire preuve de beaucoup de délicates attentions, il n'obtient d'elle que la possibilité de la voir nue alors qu'elle se lave. Le cadeau d'un diamant achève paradoxalement de compromettre ses chances auprès d'elle. Il est prié de ne plus venir, tandis que la mère s'apprête à vendre le diamant à la ville. Ils s'y rendent tous les trois pour un long séjour. Tandis que la mère tente une transaction qui est compliquée par le fait que le diamant a un crapaud, Joseph part à la recherche de femmes, et Suzanne, qui a trouvé une amie en Carmen, une tenancière d'hôtel, passe le plus clair de son temps au cinéma. S'intéresse alors à elle un autre homme âgé, Barner, représentant d'une usine de filatures de Calcutta qui, depuis dix ans cherche à «se marier avec une Française, très jeune et vierge si possible«, mais qui est découragé par tant d'immoralité, la mère essayant de lui vendre le diamant. Cependant, Joseph en obtient vingt mille francs de Lina, une femme qui est amoureuse de lui, qui le lui a acheté et le lui a rendu. La mère peut alors payer les intérêts des prêts en retard. Joseph raconte la folle nuit où il a, au cinéma, rencontré Lina et son mari qui est, au cours de cette nuit de beuveries et ensuite, si indifférent qu'ils font l'amour et qu'elle promet de venir le chercher. L'attente dure un mois au terme duquel il quitte la concession avec elle. Suzanne espère que s'arrête pour elle un des chasseurs qui passent sur la piste, mais c'est avec un garçon du voisinage, Jean Agosti, le fils d'un contrebandier de pernod, qu'elle perd sa virginité sans toutefois vouloir l'épouser alors qu'il commence à l'aimer, car elle veut partir. La mère meurt. Joseph revient avec sa maîtresse pour l'enterrer, et ils emmènent Suzanne loin de la concession. Analyse (la pagination indiquée est celle de l'édition dans "Folio") Intérêt de l'action Le roman, où l'on sent l'influence du réalisme des romans américains de William Faulkner ou d'Erskine Caldwell comme de l'existentialisme français et qui est en même temps construit à la manière d'un drame antique, présente une intrigue prenante, même si, entre le passé, c'est-à-dire l'histoire des barrages qui est sans cesse évoquée et répétée («Je suis sûr que toutes les nuits elle recommence ses barrages contre le Pacifique« [page 281]) et l'avenir, à savoir le départ mythique, la vie des personnages n'est qu'attente et répétition de la même routine, à rester au bord de la piste, à écouter "Ramona", à manger chaque soir le même ragoût d'échassier, etc.. La deuxième partie répète la première : la tentative d'évasion y prend une autre forme ; ce n'est plus à Ram, c'est dans la grande ville qu'on part se livrer à d'innombrables démarches pour essayer de vendre la bague et chercher la personne qui sera médiatrice du départ définitif vers la vraie vie ; la mort de la mère fait écho à la mort du cheval et devient moteur du départ de Suzanne. ''Un barrage contre le Pacifique'' peut être qualifié de roman épique du fait qu'on y trouve ces caractéristiques de l'épopée que sont : - le grossissement des événements et des personnages (celui de la mère en particulier dont il est dit qu'elle est «un monstre dévastateur« [page 183], «un monstre au charme puissant« [pages 183-184], ses enfants craignant de «se laisser dévorer à leur tour par elle« [page 184]) ; - le grand rôle donné aux forces de la nature (le Pacifique toujours à l'assaut de la côte). Et Marguerite Duras a donné à son roman la puissance des grandes histoires tragiques de la littérature. En effet, il se déroule toujours avec une grande intensité, sans bavure ni temps mort. Il est animé de bout en bout d'une vivacité qui emporte une succession de scènes tragiques ou cocasses parfaitement montées. Il est presque constamment soumis à une extravagante folie familiale, à un climat de violente exaspération, sous-tendu qu'il est par l'obstination de cette mère monstrueuse, le désir de ses deux enfants de s'en aller ne pouvant toutefois se réaliser que lorsqu'elle est morte. Il recèle une grande force pathétique par le drame de la mère mais surtout celui de Suzanne car on sent que l'argent qui manque pourrait venir de la vente de son pucelage à M. Jo ou à Barner. La mère reconnaît : «Ce mariage était nécessaire« (page 124) - «La seule solution pour moi est de marier ma fille à ce raté-là« (page 93), mais c'est l'obsession de chacun. Le roman est divisé en deux parties, chacune divisée en plusieurs chapitres. L'action s'étend sur quelques mois. La première partie (150 pages) se déroule sur presque deux mois. Le roman commence le jour de la mort du cheval, acquis huit jours auparavant. Le lendemain, à la cantine de Ram, le trio rencontre M. Jo et, «un mois après leur rencontre«, il offre le phonographe. «Peu après«, Joseph lui parle, puis la mère lui donne «huit jours« pour se décider à demander Suzanne en mariage. Il offre la bague et se fait éconduire le lendemain. La seconde partie (200 pages) s'ouvre (page 167) sur l'évocation de la grande ville qui fait échapper au huis clos de la vie sur la concession et conduit à une nouvelle attitude : «Ainsi, depuis leur séjour à la ville, ils avaient pris leur parti de devenir raisonnables et ils paraissaient déterminés à vivre leur situation dans toute sa vérité et sans l'artifice coutumier d'un espoir imbécile.« (partie 251). Elle se déroule sur un peu plus de deux mois, en trois étapes distinctes. Dans la grande ville, la mère, le frère et la s?ur ne passent que «deux jours« ensemble pour essayer de vendre la bague ; la mère continue seule, et Joseph rentre encore à l'hôtel «pendant quelques jours«, avant de disparaître et de passer «huit jours« en compagnie de Lina. De retour dans la plaine, Joseph attend «un mois« qu'elle vienne le chercher. Après son départ, quelques jours s'écoulent, pendant lesquels la mère dort, puis Suzanne enfile sa robe bleue «pendant trois jours« pour attirer les chasseurs, et, au bout de «trois semaines«, elle reçoit la visite de Jean Agosti qui vient la chercher «quelques jours« plus tard ; et il revient la voir pendant «huit jours« jusqu'au jour de la mort de la mère. Le roman s'achève le lendemain. Dans cette partie, il y a symétrie entre l'histoire de Joseph et celle de Suzanne, et la même proportion existe entre le temps qu'ils passent avec le partenaire de leur choix et celui qu'ils consacrent à l'attente. S'y détachent de la narration linéaire deux chapitres consacrés au ressentiment de la mère contre l'«ignominie des agents de Kam « (page 56). Marguerite Duras ayant déclaré en 1990 : J'ai pour "Le barrage" une tendresse parce que ce n'est pas de la littérature. C'était trop près de moi. Je ne pouvais pas mentir sur ma mère. Je pouvais mentir sur mon ami, mais pas sur mon petit frère«, on ne peut plus douter que ce roman soit autobiographique, qu'elle s'est représentée dans Suzanne, que Paulo est devenu Joseph. Mais il est difficile cependant de vérifier l'exactitude des détails. On peut au moins convenir qu'elle y déploie cette fantasmatique personnelle qu'elle ne cessa d'approfondir dans ses oeuvres suivantes. De toute façon, peu importent les détails car on est emporté par le rythme, le souffle, qui transfigurent l'anecdote et donnent à l'histoire une dimension épique. Le point de vue est pourtant objectif ; le narrateur, omniscient, présente les personnages, porte des jugements sur eux, sait tout avant eux et avant le lecteur. Mais l'attention est tout de même surtout portée sur Suzanne qui est présente dans toutes les scènes et dont on connaît même les pensées. Ainsi, elle regarde son frère et on lit : «On ne pouvait s'empêcher de le trouver très beau et de l'aimer très fort« (page 133), l'emploi du pronom «on« étant si complexe qu'il est souvent difficile de distinguer s'il renvoie au trio ou à elle seule. Lorsqu'elle est dans la ville, on lit : «Elle était ridicule [...] parmi ces seigneurs et ces enfants de roi [...] n'avait aucun but, aucun semblable, et ne s'était jamais trouvée sur ce théâtre [...] elle était scandaleuse, un objet de laideur et de bêtise intégrales « (page 186) - « Elle qui était méprisable des pieds à la tête [...] à cause de ses bras de plomb, ces ordures, à cause de ce coeur, une bête indécente« (page 187), ce qui peut être un discours indirect libre. Deux des retours en arrière de la seconde partie sont pris en charge par elle puisque c'est à elle que Joseph fait le récit de sa rencontre avec Lina (page 241) et que le lecteur lit avec elle la dernière lettre de la mère aux agents cadastraux de Kam (page 269) qui devient le seul héritage de Joseph. De même que «les barrages de la mère dans la plaine, c'était le grand malheur et la grande rigolade à la fois« (page 53), le ton n'est pas toujours dramatique : il est même souvent à la plaisanterie, grâce à la connivence du frère et de la soeur et du trio contre les autres (ainsi l'agent du cadastre aurait voulu «arrêter coûte que coûte cette dégringolade inattendue de toute son autorité dans leurs rires« [page 312]). Intérêt littéraire Le livre, significatif de la première manière de Marguerite Duras, est écrit d'une façon conventionnelle. Elle confiera dans "Les parleuses" : «On m'avait dit : "Il faut que ce soit harmonieux"«, ce dont elle s'est bien gardé plus tard, son écriture s'étant épanouie plus sur la faille que sur la recherche de l'harmonieux. Mais elle utilisa souvent, même dans la narration, un registre très familier : la description du cheval, dans la première page, se termine brusquement par «puis il creva« (page 11) ; la mère se contentait de «gueuler« (page 19) - «Ce jour-là d'ailleurs il était arrivé avec un drôle d'air« (page 63) - «la musique surtout donnait à Joseph l'envie de tout plaquer« (page 64) - «elle avait fait la putain« (page 244) - «s'était amené Jean Agosti« (page 332). Par souci de réalisme, ce registre s'accentue évidemment dans les dialogues : «des saletés d'enfants« (page 31) - «emmerdé« (page 47) - «Merde quelle bagnole, dit Joseph. Il ajouta : Pour le reste, c'est un singe« (page 42) - «Et nous, on est là à attendre comme des cons que la merde se retire [...] Puis la merde est montée.« (page 59) - «une trouille pas banale« (page 106) - «Vous êtes mal foutu« rétorque plaisamment Suzanne au «Je suis de faible constitution« de M. Jo, mais il «encaisse tout« (page 105) - «moi, ça me fait chier de les voir« (page 115) - «Votre père, c'est un con fini« (page 124) - «foutre des gnons« (page 138) - «t'es drôlement fringuée« (page 191) - «sa frangine« (page 191) - «Les terrains c'est souvent de la merde« (page 210) - «on fout le camp« (page 233) - «faut vous grouiller« (page 233) - «faire le mariole à la ville« (page 236) - «leur en dire de toutes les couleurs« (page 252) - «je me suis dégonflé« (page 262) - «balancer le type« (page 267) - «une envie de rentrer dedans« (page 268) - « je l'ai baisée« (page 277) - «la trouille au cul« (page 291) - «bien foutue« (page 324) - «une chouette de bagnole« (page 345). Dans certains cas, on peut se demander si ces mots ou ces expressions étaient vraiment employés au temps de l'action et par les enfants d'une institutrice au fin fond de l'Indochine française. On s'étonne aussi de quelques maladresses ; comme ces répétitions : «jusque- là [...] jusqu'à [...] jusqu'à eux« (page 13) - «en une nuit [...] en une seule nuit« (page 27) - «il valait bien le bungalow [...] un diamant qui valait à lui seul le bungalow« (page 98) - «Qui aurait pu être de l'avis contraire? [...] Qui, au monde, aurait pu être de l'avis contraire?« (page 128) - «Elle n'en tombait pas morte mais elle marchait au bord du trottoi...

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