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Un critique contemporain définit comme il suit notre XVIe siècle : «Grand siècle pour notre poésie, siècle d'explosion et d'invention, d'efforts enthousiastes et de surprises émerveillées, le plus brûlant, le plus avide et tout ensemble le plus frais de notre histoire littéraire.» Expliquez et discutez ce jugement.

Publié le 17/01/2022

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Ainsi, grâce aux découvertes scientifiques, à l\'avènement de l\'esprit critique, au renouvellement du sens de la condition humaine, le XVIe siècle a été longtemps considéré comme la grande rupture dans l\'histoire des idées. Manifestement le critique qui parle de «siècle d\'invention et d\'explosion, d\'efforts enthousiastes et de surprises émerveillées» est fortement marqué par cette conception. L\'érudition moderne a permis de redresser quelque peu ce jugement et nous savons aujourd\'hui que la fraîcheur du XVIe siècle, ses passions et son avidité recueillent bien des éléments, et souvent les meilleurs, du legs du moyen âge. Ce serait vue simpliste au surplus que d\'imaginer les hommes du XVIe siècle eux-mêmes rompant avec tout le passé. On a trop retenu l\'arrogance de Du Bellay à l\'égard des «vieilles poésies françaises», qui «ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance». En réalité notre XVIe siècle a le goût du passé français ; dans les beaux-arts, architectes, sculpteurs, peintres sont très longs à se dégager du moyen âge ; les humanistes s\'intéressent à nos vieilles institutions (Pasquier, Recherches de la France ; Claude Fauchet, Antiquités gauloise

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« siècle dans le domaine de l'activité intellectuelle. a) Le sens des textes.

Dès le début du siècle, des érudits, las des gloses et des commentaires médiévaux, s'avisentque l'essentiel de la culture, c'est avant tout d'aller aux textes, de les établir avec correction, de les comprendre,de les traduire, de discuter sur eux.

L'effort de la première Renaissance apparaît donc en France moins comme unretour à l'Antiquité (qui n'avait pas vraiment été perdue de vue au moyen âge) que comme un retour à la pureté destextes anciens, sur lesquels s'exercera directement le sens critique.

Concrètement l'attention se porte sur troispoints : établir des textes corrects et les multiplier (rôle de l'imprimerie) ; créer les instruments de travail quimanquent totalement, grammaires et dictionnaires (courageusement dans un élan généreux et désintéressé, leshumanistes composent les premiers dictionnaires : Robert Estienne, le Thésaurus linguae latinae, 1532, HenriEstienne, le Thésaurus linguae graecae, 1572, et les premières grammaires : Étienne Dolet, Commentarii linguaelatinae, 1536-38) ; enfin offrir les premières traductions qui ne soient plus des paraphrases.

Marot donne, à partir dutexte hébreu qu'il se fait expliquer et non à partir de la Vulgate de saint Jérôme, une traduction des Psaumes envers français ; Calvin publie une édition française de son Institution chrétienne (Ibidem, p.

80-81) ; Amyot faitparaître ses traductions des Hommes illustres de Plutarque en 1559 et celle des Œuvres morales du même en 1572. b) L'explosion dans les textes sacrés.

La «bombe», ainsi préparée, devait exploser lorsqu'on appliquerait aux textessacrés le sens critique mis au point pour les textes profanes.

En effet, l'Église entourait de beaucoup plus deprécautions qu'aujourd'hui la Bible et l'Évangile, évitant même d'en diffuser la lecture, préférant en proposer lesinterprétations qu'elle se chargeait d'élaborer.

Or tout naturellement les humanistes appliquent leurs méthodes àl'Évangile dont ils veulent retrouver toute la fraîcheur authentique : Lefèvre d'Étaples, qui, admirateur de Luther,élabore ce qu'on appelle «l'Évangélisme», veut que le chrétien trouve directement dans les textes sacrés, par unegrâce personnelle, une vie religieuse authentique et profonde.

Cette attitude suscite rapidement les plus vivesréactions des théologiens et Lefèvre d'Étaples doit se retirer à Nérac auprès de Marguerite de Navarre.

Sans faire icitoute l'histoire de la Réforme, notons simplement que des érudits, en quête de la vérité philologique, sont à l'origined'un des plus grands bouleversements religieux de la conscience moderne. c) L'explosion de la libre pensée.

Dès lors se dresse en effet, en face de l'autorité, la liberté de l'esprit critique : lalibre pensée est née.

Qu'importe du reste qu'elle aboutisse à l'athéisme probable de Bonaventure des Périers(Cymbalum mundï) ou de Dolet ; qu'importe qu'elle s'appuie sur le rationalisme padouan de Pomponazzi, niantl'immortalité de l'âme et encourageant l'épicurisme diffus dans le siècle (épicurisme auquel Ronsard donnera sonexpression poétique) ; qu'importe, inversement, que la libre pensée reste religieuse d'esprit et se manifeste par lemysticisme du pur amour chez Marguerite de Navarre ; qu'importe qu'elle se teinte de platonisme ou d'espritlittéraire, en déclarant que les poètes sont des inspirés divins et que la poésie est un sacerdoce interdit au profane- qu'importent toutes ces nuances, la pensée se pose désormais seule dans ses audaces en face des textes surlesquels elle s'appuie.

L'esprit libertin est né, qui est la bombe la plus puissante de l'esprit moderne. d) Le sens critique en politique.

Restait la question politique, à laquelle l'esprit critique ne s'attaquera que plustardivement au cours du XVIe siècle. Mais, pour être plus tardive, la bombe de l'esprit critique n'en est pas moins violente en ce domaine.

Déjà lespremiers humanistes prétendaient, tels Erasme et Guillaume Budé, pouvoir mieux penser les problèmes de leur tempsgrâce à la critique humaniste et philologique.

Dans les perspectives érasmiennes, un Rabelais pose très vite à laconscience du siècle les principales questions de la haute politique, notamment la question des guerres deconquêtes qui lui semblent médiévales et anachroniques.

Plus tard, Montaigne reprend le même sujet sous l'aspectbrûlant du colonialisme, qu'il condamne avec virulence ; un La Boétie, dans le Contr'Un, s'élève énergiquementcontre les formes tyranniques du pouvoir.

Bref, alors que la pensée du moyen âge, sans ignorer les questionspolitiques, considérait néanmoins comme domaine réservé un certain nombre de problèmes comme celui des basesmêmes de l'État, l'esprit critique du XVIe siècle, devançant celui du XVIIIe, se propose de repenser sous toutes sesformes le monde contemporain. 3 Le sens de la condition humaine.

La vérité, c'est que le XVIe siècle entend non seulement conquérir à l'espritcritique un droit de regard universel, mais encore remettre en question les cadres mêmes où celui-ci peut s'exercer.Ce point est essentiel à noter, car le moyen âge n'a pas totalement ignoré l'esprit critique.

On peut même dire quepeu d'époques plus que le moyen âge du XIIe au XVe siècle ont lancé d'aussi vives attaques contre la religion, leclergé, les moines, la justice, les institutions de tout ordre.

Mais ces attaques avaient lieu à l'intérieur de cadresqu'on ne songeait pas sérieusement à détruire, au sein d'une conception de l'homme universellement admise.

Orc'est cette condition de l'homme que le XVIe siècle remet plus ou moins en question.

Sans doute, comme l'a montréL.

Febvre dans son important livre sur Le problème de l'incroyance au XVIe siècle, A.

Michel, nouvelle éd., 1962, laRenaissance ne se propose pas d'ébranler en principe la conception chrétienne de la nature humaine (jusqu'àDescartes, pense L.

Febvre, les contestations s'opèrent à l'intérieur du système chrétien et non contre Dieu), maiselle lui porte des coups très dangereux en faisant à l'homme une confiance absolue, confiance qui ne s'accorde quetrès difficilement avec le dogme du péché originel.

Sans doute ne faut-il pas teinter le christianisme médiéval d'unjansénisme avant la lettre qui n'est pas son fait : la joie religieuse y est certes plus forte que dans l'austère religiondu règne finissant de Louis XIV, si bien que ces moines joyeux de Rabelais, comme Frère Jean des Entommeures, ontpu sembler aux contemporains une pointe un peu audacieuse, mais suffisamment orthodoxe encore, de l'espritchrétien.

Il n'en reste pas moins qu'une conception où «les hommes ont par nature un instinct et aiguillon quitoujours les pousse à faits vertueux et retire de vice», comme il est dit à propos des «thélémites» (Gargantua,LVII), remet en question la condition humaine tout entière, considérée comme bonne lorsqu'elle peut se développer. »

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