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UN SONNET DE RONSARD

Publié le 17/02/2011

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ronsard

Comme un chevreuil, quand le printemps détruit L'oiseux cristal de la morne gelée, Pour mieux brouter l'herbette emmiellée Hors de son bois avec l'Aube s'enfuit, Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit, Or sur un mont, or dans une vallée, Or près d'une onde à l'écart recelée, Libre folâtre où son pied le conduit : De rets ne d'arcs sa liberté n'a crainte, Sinon alors que sa vie est atteinte, D'un trait meurtrier empourpré de son sang : Ainsi j'allais sans espoir de dommage, Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon âge Tira d'un coup mille traits dans mon flanc.

Qui s'en douterait? Ce sonnet des Amours de 1552 ne contient pas un vers qui ne soit imité : tout ce que nous dit le poète se lit déjà chez l'Italien Bembo, le cardinal pétrarquisant et néo-platonicien. Le choix de ce modèle témoigne du bon goût de Ronsard, car Bembo manifestait une autre valeur que la foule des poétereaux italiens imitateurs de Pétrarque, et à leur tour imités par les poètes fiançais. A vrai dire le sonnet de Bembo est lui-même une réminiscence de Virgile, au IVe chant de l' Énéide, où Didon brûlante d'amour est comparée à une biche blessée par un pâtre.  Le thème traité par Ronsard dans ce sonnet en décasyllabes est l'un des sujets favoris de l'école pétrarquiste : la rencontre. Certes, ce thème ne comporte rien en lui-même qui soit particulièrement pétrarquisant. De tous temps, les poètes ont été frappés de l'inexplicable brusquerie avec laquelle net la passion de l'amour. Depuis longtemps cette idée a été exprimée par une métaphore : le premier regard que lance la femme dont on va s'éprendre est comparé à une flèche qui vient de nous percer. 

ronsard

« reste pas moins une passion.Quels sont les _caractères_ majeurs de cet amour? Que comporte-t-il de pétrarquiste? L'analyse, nous semble-t-il,en relève trois principaux.

Cet amour est subit : c'est ce que souligne la métaphore de l'arc et des flèches, celles-ciatteignant leur victime avec une extrême rapidité.

Ronsard insiste sur cette idée par des expressions telles que : Et seul, et sûr (...)De rets ne d'arc sa liberté n'a crainte (...)Ainsi j'allais sans espoir de dommage Sans doute ce trait paradoxal de l'amour a frappé d'autres poètes que les pétrarquistes, sans doute le sonnet deRonsard orchestre un fait réel : le poète a été certainement frappé de la beauté de Cassandre.

Il n'en reste pasmoins vrai que les pétrarquistes se sont particulièrement intéressés à cet aspect de l'amour : une sorte deprédestination amène deux êtres à se rencontrer, et c'est le coup de foudre.Cet amour est une souffrance : c'est ce que rappelle encore la métaphore des flèches, qui blessent, qui tuent.

Unmot de Ronsard est bien typique : « Ainsi j'allais sans espoir de dommage ».

Ce qui prouve que cet amour estdouloureux, c'est que, par un phénomène propre aux âmes qui peinent, le poète, sous l'effet d'une association parcontraste, s'attarde dans le souvenir de son bonheur passé, se complaît dans la description de ce chevreuil heureuxde vivre et qui n'est autre que lui-même.

Et quand Ronsard s'apitoie sur le sort du chevreuil, c'est à lui-même qu'ilsonge.

Il a aimé Cassandre.Enfin l'amour tel que nous le peint Ronsard est obsédant et enlève toute liberté.

Le poète insiste sur cette idée, ilne craint pas de répéter « libre », « liberté » : Libre folâtre où son pied le conduit :De rets ne d'arc sa liberté n'a crainte Là encore nous retrouvons l'influence de la poésie pétrarquiste qui nous dépeint l'amant plein d'indifférence et dedégoût pour tout ce qui est étranger à la belle.

Mais ce mode littéraire d'expression ne conduit pas à mettre endoute la sincérité du poète.La nature s'associe volontiers à l'amour, car l'amour assume souvent une allure cosmique.

A grands traits, le poètenous trace un cadre : des bois, des monts, des vallées, des sources cachées.

C'est le printemps, la gelée a disparu,les feuilles apparaissent.

Sur tout cela, le jour commence à poindre.

Il serait vain de chercher à localiser cepaysage, qui évoque le Vendômois, mais avec des éléments étrangers (les monts, qui d'ailleurs ne figurent pas chezBembo).

Pas de couleurs.

C'est sur la nature animée, sur le chevreuil que le poète veut attirer notre attention.L'évocation du chevreuil, comporte deux moments bien distincts : avant le malheur, après le malheur.

Ce queRonsard voit avant tout, chez le chevreuil vivant, c'est le mouvement, car il ne s'attarde pas à dépeindre sonpelage ni la grâce de ses formes.

D'abord nous voyons le chevreuil bondir hors de son bois, puis notre regard le suitdans ses libres ébats, et le rythme du quatrain rend le mouvement de l'animal.

Quand le chevreuil est blessé, uneseule chose attire l'attention du poète, c'est la pourpre du sang.

Précision, mais sobriété, telles sont les qualitésque nous révèle Ronsard.Le poète ne se contente pas de voir la nature, visiblement il sympathise avec elle.

Dans d'autres pièces, c'est lanature végétale.

Ici, c'est la nature animée représentée par le chevreuil.

On sent sa joie de vivre : le chevreuilparticipe au renouveau de la nature, il revoit la verdure et se sent revivre lui aussi.

Le poète note sa gourmandise :c'est le printemps, époque où l'herbe est particulièrement tendre et sucrée.

Enfin Ronsard évoque cette fausseimpression de sécurité et cette ivresse de liberté.

Il s'apitoie sur le sort de ranimai : dès le premier vers du deuxièmequatrain apparaît une nuance de pitié, qui se précise au premier vers du premier tercet.

Puis, à la vue du chevreuiltout taché de sang, c'est un sentiment d'horreur et aussi de colère contre ceux qui ont eu la cruauté de le frapper.Ronsard est un styliste qui met chaque mot en valeur.

Quand on étudie les procédés descriptifs du poète, on estfrappé du petit nombre de verbes expressifs et du grand nombre d'adjectifs.

Comme verbes vraiment pittoresques,nous n'avons guère que « folâtre » (au vers 8) et « s'enfuit » qui, mis en valeur à la fin du premier quatrain, rendadmirablement l'apparition brusque du chevreuil bondissant hors de son bois, et ce sentiment de renouveau, de joiede vivre qui le pousse à quitter sa retraite, devenue pour lui une prison.

Nous avons en passant déjà montré lavaleur d'adjectifs tels que « seul », « sûr », « libre ».

Nous avons fait ressortir leur valeur psychologique, et mêmesymbolique, et nous avons parlé de la valeur concrète de certains d'eux.

Le poète ne se contente pas de décrire lesmouvements du chevreuil, il veut pénétrer ses sentiments et par là-même exprimer les siens propres.

Reste uncertain nombre d'épithètes de nature qu'un lecteur inattentif pourrait reprocher à Ronsard.

On trouve même un versformé de deux substantifs à chacun desquels est accolée une épithète de nature : « L'oiseux cristal de la morne gelée » Mais le poète veut rendre une impression de délivrance.

Immobilité, tristesse, quel contraste avec cette joyeusealacrité! Quant à l'herbe, elle est « emmiellée » parce que nous sommes au printemps : le chevreuil, dans sagourmandise, se prépare un régal.

Quant à « meurtrier », il n'a rien de formulaire, car il exprime un sentiment sincèrede pitié et conclut le drame.. »

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