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VACANCES ET AGRESSIVITÉ

Publié le 19/02/2011

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En août 1914, en France, deux millions et demi d'hommes environ furent mobilisés et un chiffre analogue en 1939-1940. Ce nombre de personnes ayant quitté tout à la fois leur foyer et leur travail paraissait prodigieux. Aujourd'hui, les trois mois d'été mobilisent et transportent, parfois très loin, près de douze millions de Français. Pour la seule année 1971, on évalue, dans le monde entier, à cent vingt millions le nombre de personnes qui, pour des motifs de vacances ou de plaisance, ont franchi leurs frontières nationales. Ces chiffres qui vont en croissant mesurent l'ampleur de la mutation sociologique accomplie en trente années dans les nations développées du monde occidental. A tel point qu'aujourd'hui le plus apparent des critères de prospérité des nations est leur capacité de répandre à travers le monde des flots de touristes et de « vacanciers «. Leur nombre par rapport à la population totale et la facilité avec laquelle ils peuvent voyager librement à l'étranger et disposer des ressources de change nécessaires, mesurent et comparent le degré de liberté et d'aisance dont jouissent les citoyens de chaque État. La vie de toutes les sociétés est ponctuée de cycles dans tous les domaines. On y voit se succéder des périodes de calme et d'agitation, de tension et de repos, qui rappellent les rythmes de la biologie. La fête, au sens le plus général du mot, est à la fois un temps de loisirs et de consommation accélérée, voire de gaspillage. Les règles de l'existence habituelle et même de la morale se trouvent, en temps de fête, momentanément transformées. Beaucoup déplorent qu'aujourd'hui le sens de la fête collective aille en se perdant. Le Carnaval, par exemple, n'est plus qu'en de rares endroits une véritable liesse populaire. Mais la fête n'a pas pour cela disparu. Car, en compensation, les vacances et les déplacements collectifs tiennent de plus en plus de place. Ils ont donné lieu à des usages et des institutions nouvelles, tels les congés payés. Ils ont amené aussi la transformation d'un nombre croissant de citadins en « fuyards du week-end « et abouti à la généralisation de vacances ambulatoires causant de gigantesques exodes saisonniers. Les pays où les vacances prennent une place grandissante voient se modifier leur psychologie. Beaucoup voient dans cette tendance l'espoir d'un substitut de certaines fonctions des expéditions belliqueuses. « Il nous faut la guerre, écrivait un auteur allemand du Moyen-Age, afin que la jeunesse sorte et s'instruise. « Cette fonction centrifuge de l'agressivité poussait à une sorte de tourisme belliqueux. Dans quelle mesure pourra-t-on espérer que ce rôle de la guerre sera en partie rempli par nos déplacements temporaires de véritables masses humaines ? Ce résultat se dessine déjà d'une manière appréciable. Dans les pays à vacances et à congés payés, l'agressivité collective semble diminuer, qu'elle se tourne vers l'extérieur ou vers l'intérieur. Un Sud-Américain, découvrant pour la première fois le Paris étrangement paisible du mois d'août, eut ce mot : « En somme, c'est comme chez nous une révolution. « Et l'on se souviendra que, au plus fort de la tension de 1968, à l'approche de l'été, on vit s'égailler spontanément les grands rassemblements de contestataires. Dans les sociétés traditionnelles anciennes, l'arrivée de l'été, la fin des moissons, donnaient le signal des guerres tribales et féodales. Même les grands conflits modernes et les grandes offensives continuaient à se déchaîner, eux aussi, à ces époques de l'année : exemples : 1870, août 1914, septembre 1939 et le débarquement de juin 1944. Toutes ces dates correspondent aux actuels grands départs en vacances. Autre analogie : les directions géographiques de ces déplacements temporaires de populations font invinciblement penser aux routes des invasions. Ainsi les millions d'habitants de l'Europe du Nord, qui se répandent sur les pays méditerranéens comme jadis les Celtes, les Normands et les Germains, évoquent les invasions barbares, historiques et préhistoriques. De même que le tourisme vers l'archipel, l'Égypte et le Proche-Orient rappelle les itinéraires de Croisés. Marcuse n'avait pas prévu que sa bête noire, le « système «, secréterait spontanément ce nouvel antidote à l'aliénation tant dénoncée par lui. Mais ce mouvement, si profond dans ses conséquences, n'a pris vraiment forme que depuis moins d'un quart de siècle, c'est-à-dire moins de la durée d'une génération. Et il reste actuellement limité à une partie du monde occidental. C'est dire qu'il est trop tôt pour formuler des vues prospectives valables sur son avenir.

Gaston BOUTHOUL Article tiré du Figaro.

Vous donnerez de ce texte soit un résumé qui en respecte le mouvement, soit une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports. Vous choisirez ensuite dans ce même texte un sujet de réflexion que vous jugez important : vous en formulerez l'énoncé et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues que la question.

« ANALYSE : PLAN Les deux mobilisations de 14 et de 39 avaient déplacé deux millionset demi de Français.

Or, ce chiffre est nettement dépassé par celui des départs massifs en vacances.— Ce phénomène est d'abord analysé du point de vue politique et économique : les États libres et prospères sontceux qui laissent leurs citoyens émigrer provisoirement et dépenser à l'étranger.— G.

Bouthoul étudie ensuite la fonction de la Fête, période d'oisiveté, de gaspillage et de relâchement moral.

Lesdéparts massifs remplacent la Fête collective perdue.Il y a plus : les exodes estivaux, servant d'exutoire à l'agressivité, se substituent, à l'extérieur aux expéditionsmilitaires et, à l'intérieur, dispersent les contestataires. Pour étayer sa thèse, il pense retrouver dans les « grands départs » une tradition historique et géographique : laguerre suivait des rythmes saisonniers et les conquérants, nordiques ou croisés, obéissaient à des « tropismes ».La conclusion est prudente : Gaston Bouthoul refuse de tirer, d'un phénomène limité dans le temps et l'espace, desconclusions prématurées. CHOIX D'UN PROBLÈME Ce texte pose surtout des problèmes d'ordre politique et philosophique : 1° A l'heure où il est question de garantir la « libre circulation des hommes et des idées », de supprimer en sommeles frontières et les « rideaux de fer », on peut s'interroger sur la contribution du tourisme à la détenteinternationale, à la réconciliation des peuples, etc. 2° G.

Bouthoul nous invite aussi à examiner les rapports de la Fête et de la Guerre.

A une époque où il n'existait pasde congés, le jeune ouvrier ou paysan que l'Etat envoyait, tous frais payés, sur la frontière pouvait avoir l'impressionagréable d'échapper à la monotonie et à la routine, de découvrir des paysages nouveaux, des têtes nouvelles,l'aventure.

(« Afin que la jeunesse sorte et s'instruise »). 3° On peut essayer de « psychanalyser » le vacancier, de dégager le sens inconscient et fondamental de sa fuite etde son élan, expression de son agressivité, à en croire G.

Bouthoul.

(Cf.

la mentalité de l'automobiliste). 4° Dans le même ordre d'idées, le candidat qui connaîtrait Marcuse ou aurait des rudiments du marxisme, pourraittraiter le problème suivant : vacances et aliénation, et se demander si le tourisme n'entretient pas une formed'aliénation.. »

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