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Verlaine, « L'Angoisse », Poèmes saturniens, section I « Melancholia »

Publié le 15/05/2012

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verlaine

 

 

Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs

Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales

Siciliennes, ni les pompes aurorales,

Ni la solennité dolente des couchants.

 

Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales

Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,

Et je vois du même oeil les bons et les méchants.

 

Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,
L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.

 

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.

 

                Le titre des Poèmes Saturniens, premier recueil de Paul Verlaine, publié en 1866 à compte d'auteur, est dès lors annonciateur du contenu du recueil. En effet, le poète, qui se qualifiera plus tard lui-même de « poète maudit « choisit de se placer sous la coupole de Saturne, qui est une divinité primitive inquiétante et une planète connue pour être une « planète froid et malfaisante, ennemie de la nature, de l'homme et des autres créatures. « Les astrologues lui associait jadis une influence fatale et une dimension hautement mélancolique. Ce sont les effets de cette mélancolie que le poète développe dans la première partie du recueil, la mélancolie était une maladie du corps et une disposition de l'âme, « L'Angoisse «, dernier poème de la section « Melancholia « et succédant au poème « A une femme « dans lequel Verlaine fait part de sa détresse immense après avoir essuyé le refus d'Elisa, peut être vue comme le point culminant de cette mélancolie auquel le poète saturnien est en proie. Dans la continuité de Baudelaire, fabuleuse source d'inspiration pour lui, Verlaine a voulu « représenter les agitations et les mélancolies de la jeunesse moderne « et dévoile, à l'instar de son maître dans Les Fleurs du Mal, le naufrage de son âme. Ainsi, en quoi ce sonnet annonce-t-il les prémices d'un art qui serait original et propre à Verlaine et en quoi est-il le développement d'un « moi « verlainien solitaire, révolté et mélancolique  ?  Nous verrons dans un premier temps qu'il y a dans ce sonnet une remise en cause et un refus absolu des conventions artistiques qui étaient jusque-là en vigueur et dans un second temps nous étudierons le réquisitoire désespéré du poète saturnien qui se débat dans les affres de sa mélancolie

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« son apogée à la fin de la strophe par le chiasme « Ni les pompes aurorales/Ni la solennité dole nte des couchants » qui traduit bien que Verlaine, du lever du jour au moment où il décline, reste absolument indifférent au spectacle omniprésent de la Nature, qui a pourtant toujours été pour les poètes, et surtout les premiers poètes romantiques, une so urce inépuisable d'inspiration.

Et non seulement il est indifférent, mais il se montre presque méprisant, railleur.

Il utilise des termes soutenus, hyperboliques « solennité » au vers 4, « pompes » au vers 3, et porte donc à son paroxysme cette prétendue b eauté élégiaque qui était la muse des poètes pour mieux la traiter avec ironie.

Il y a ainsi rupture entre Verlaine et la Nature, comme l'a montré tout au long de la strophe l'anaphore de la conjonction de coordination « ni » et l'allitération en 'n' au p remier vers « Nature, rien de toi ne m'émeut », autant sûrement qu'il y avait à l'époque de l'écriture de « L'Angoisse » rupture entre Verlaine et la première génération de poètes du romantisme.

Il est vrai que lorsque Verlaine publie ce poème pour la première fois, il le publie dans Le Parnasse contemporain, et que les poètes qui y publiaient étaient alors portés pour l'essentiel par un refus commun de la poésie sentimentale de la période romantique, contre ce que Baudelaire appelait déjà les « jérémiades lamartiniennes ».

Mais si ce poème de Verlaine peut effectivement être vu, sous certains aspects, comme un poème anti - romantique, il marque déjà, pour le futur poète maudit, un premier mouvement d'éloignement par rapport au groupe parnassien constitué a utour de Louis-Xavier de Ricard auquel il appartient à l'époque.

Certains diront, en parlant de ce regroupement de poètes, que « c'est dans une maison des Batignolles, chez un M.

de Ricard, que s'est abattue toute la bande de l'art, la queue de Baudelaire et de Banville, des gens troubles, mêlés de cabotinage et d'opium, presque inquiétante, d'aspect blafard.

» Il est vrai que si Verlaine publie ses premiers poèmes au sein d'une revue parnassienne, il commence déjà à se démarquer et avoir sa propre vision d e la poésie, tirant déjà là les grandes lignes de ce qui sera plus tard son Art poétique .

En effet, on voit au travers du sonnet un refus de la théorie de « L'art pour l'art » de Théophile Gauthier qui consistait à penser que le seul but de l'art était la beauté.

Au vers 5, Verlaine met une majuscule à « l'Art » mais ajoute néanmoins qu'il en rit « Je ris », c'est ainsi une manière de montrer un rejet, un mépris de l'Art qui est élevé en valeur absolue et authentique et de se mettre en position forte par ra pport à ce qu'il dit, il est un véritable juge.

Mais les vers 5 et 6 « Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants des vers » constituent néanmoins un paradoxe car Verlaine se moque de l'Art et de toute forme d'Art en général mais il est lui -même en train d'en composer, il traduit l'absurdité de ce qu'il est lui -même en train de faire.

Le poète dit aussi « Je ris (…) des temples grecs », il tourne en ridicule toute forme d'art, même les plus classiques et reconnues.

Il raille l'art antique, qui est pourtant le modèle de l'art Classique et qui est important aux yeux des parnassiens, les termes « chants », « vers » et « temples antiques » peuvent tous les trois faire référence à l'antiquité, et désigner respectivement la musique, la poésie et l'archit ecture antique, et Verlaine, grâce à l'impulsion de « Je ris » montre qu'il refuse toutes les règles classiques et laborieuses qu'impliquent ces pratiques artistiques.

Il accentue cela par des vers déstructurés et à la musicalité bancale, comme le montre l e rejet de « des vers » au vers 6.

Le poète saturnien désacralise aussi les « cathédrales », il refuse d'entendre parler d'un art soumis à une quelconque idée de transcendance, il semblerait ainsi revendiquer un art qui n'aurait de but que lui -même, dans l a continuité parnassienne de l'art pour l'art mais la reprise de « Je ris » et l'allitération en 't' ainsi que l'allitération en 'r' qui connotent des tonalités agressives montrent que Verlaine n'est pas non plus en phase avec la rigidité et la rigueur par nassienne.

Il semble en déplorer la stérilité et la froideur.

On voit donc ici un rejet de l'Art en général, indiqué par la majuscule, mais il est développé tout au long de ce quatrain un rejet de l'art plus en détail, Verlaine s'attaque aux arts littérair es comme le montrent les termes « chants » et « vers » mais aussi à l'architecture, avec les « temples grecs » au vers 6, ainsi que les « tours en spirales » et les « cathédrales » au vers 7.

Il y a alors ici un rejet de l'écriture alors que Verlaine est p ourtant lui-même poète, c'est déjà une façon d'annoncer le tercet final et de montrer que pour lui, l'écriture n'est plus un moyen de se libérer.

Ecrire n'est plus synonyme d'un catharsis des passions et du « spleen baudelairien » qui l'habite, autant que l'adulation de la Nature, c'est une entreprise qui semble vaine et sans intérêt.

Enfin, il y a tout au long de ce sonnet un refus marqué de toute forme de transcendance, quelle qu'elle soit, que ce soit la Raison, la Religion et donc Dieu, ou bien l'Amo ur.

Le poète parle dès les vers 7/8 « des tours en spirales qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales », ainsi, ici, l'adjectif qualificatif « vide » permet de suggérer le rejet et même l'absence de toute transcendance.

Ces deux vers sont marqués par un e ironie latente, les cathédrales qui sont pourtant le symbole le plus éminent de la puissance religieuse et de sa présence dans le monde ne mèneraient en fin de compte, par le biais de leurs « tours en spirales » qu'à un « ciel vide » de tout Dieu ou de t out paradis.

Les « tours en spirales » sont de plus un rappel d'une prétendue œuvre religieuse qui pourrait rappeler la Tour de Babylone ou bien la tour de Babel.

Le verbe « étirent » est un rappel ironique d'un manque que Dieu a laissé, ce Dieu absent du monde et que les fidèles essayent de joindre par tous les moyens.

Cet athéisme jusque -là sous -entendu sera d'ailleurs explicité, au premiers vers du premier tercet, lorsque Verlaine clame haut et fort « Je ne crois pas en Dieu.

» Le poète, tout au long de ce sonnet, s'affirme grâce à la présence de la répétition du pronom personnel « Je ».

Il y a de plus dans ce premier vers un rythme ternaire « Je ne crois pas en Dieu, j'abjure, je renie » et l'on peut y voir ici un double pied de nez car en effet, dans la religion, le chiffre trois est sensé être considéré comme le chiffre parfait, et de plus, l'utilisation des propos blasphématoires « j'abjure » et « je renie » confèrent aux propos de Verlaine des accents encore plus provocateurs.

Il ne se contente pas de tourner le dos au divin, il le tourne en ridicule.

C'est déjà ce qu'il faisait au vers 8 lorsqu'il affirme « je vois du même œil les bons et les méchants », c'est là encore une provocation, Verlaine se refuse à une quelconque morale, il affirme ne plus fa ire la différence entre le bien et le mal, souligné par le terme « même » mais néanmoins associé à l'antithèse « les bons et les méchants ».

Il met de par ce fait Dieu et Satan sur le même plan, c'est une façon de montrer qu'il a déjà perdu toute capacité de jugement et de discernement.

On peut aussi voir ici la parodie d'une vision manichéenne du monde énormément promulguée par la religion, chrétienne ou autre, qui traduisant le monde par un nombre infini d'oppositions très opaques, tel que le bien et le m al, les bons et les méchants, l'enfer et le paradis.

C'est. »

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