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VERLAINE : LES POÈMES SATURNIENS (analyse littéraire)

Publié le 25/06/2011

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Au début de 1866, Verlaine préparait un volume de vers. Il comptait d'abord l'intituler Poèmes et sonnets. Il entrevoyait pour plus tard un second recueil qu'il appellerait Les Danaïdes, Épigrammes, Études antiques. Puis il modifia le titre qu'il avait prévu pour le premier. Ce furent les Poèmes Saturniens. Dès maintenant l'on comprend qu'ils ne sont pas l'oeuvre d'un disciple exclusif de Leconte de Lisle et que l'orthodoxie parnassienne y joue un moindre rôle qu'on aurait cru d'abord. Parnassiens à coup sûr, et directement inspirés de Leconte de Lisle, les Orpheus et les Alkaios qu'on y relève. On veut bien croire aussi que quelques mots hindous dans le Prologue s'inspirent des Poèmes antiques. Mais sur ce point déjà les influences se révèlent complexes. J. H. Bornecque a découvert que le plus hindou, le seul hindou des Poèmes Saturniens, Çavitri, vient directement d'un recueil romantique, la Pléiade. Dans les Chants de l'Aube de L. X. de Ricard, on relève bien des mots hindous. Ricard était neveu de l'orientaliste Pauthier, et s'intéressait à la poésie de l'Inde. Au mois d'octobre 1864, il écrit l'Açoka. Si Verlaine parle de la Ganga, Ricard avait employé également, pour parler du fleuve sacré, un tour féminin : il l'avait, dans Ciel, Rue et Foyer, appelé « la blanche déesse «. Le mot Padma, dont se sert Verlaine, se retrouve dans le même recueil : « Le front ceint de padmas... «

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« conscient de la poésie verlainienne, de mettre en pleine lumière cette vérité que Verlaine, lorsqu'il compose, estinfiniment plus soucieux des effets à obtenir et des moyens d'expression à créer que de l'authenticité desconfidences qu'il nous livre.

Non pas exactement parce qu'il est Parnassien, mais parce qu'il est nourri de Baudelaireet que la sincérité n'est pas à ses yeux une vertu poétique.

Soyons assurés que sa préoccupation n'est pasd'exprimer une angoisse sentie, mais de trouver les alliances de mots, les rythmes, les sonorités, les césures quidonnent l'impression de l'angoisse.

Son vrai souci est là.Et pourtant ceux qui s'efforcent de découvrir, dans les Poèmes Saturniens, des éléments non pas empruntés, maispersonnels, ne se trompent pas.

Ce recueil, impassible d'intention, et qui prétend n'être rien qu'un jeu esthétique, cerecueil est, en dépit du poète, une confidence continue.

Il l'est d'abord parce qu'il trahit des formes de sensibilitéqui sont propres à Verlaine.

Nous admirons, dans les Poèmes, des finesses de notation exquises, des subtilités decouleurs et de formes.

Il y avait là, plus profondément que toute suggestion venue du dehors, un don inné et despréoccupations intimes, qui étaient apparues très tôt chez le petit garçon.

« Les yeux, a écrit plus tard Verlaine, lesyeux surtout, chez moi, furent précoces.

Je fixais tout, rien ne m'échappait des aspects.

J'étais sans cesse enchasse de formes, de couleurs, d'ombres.

» Si cette merveilleuse sensibilité est moins éprise de lumière éclatante,de couleurs vives, de formes prestigieuses que de fines nuances et de contours estompés, c'est que tout enfantVerlaine manifestait une préférence pour la nuit et ses mystères.

« La nuit, a-t-il dit, m'attirait, une curiosité m'ypoussait, je cherchais je ne sais quoi, du blanc, du gris, des nuances peut-être.

»Personnellement vécus et sentis, ces paysages des Poèmes Saturniens, ces bois, ces étangs, ces prairies quidorment dans le brouillard.

Ce sont les « paysages tristes » de l'Artois, ces marais d'Arleux où le lycéen avait passéses vacances.

Une lettre de 1862 les décrit, et tous les traits qu'elle relève sont ceux que nous retrouvons dans lesPoèmes Saturniens : les marais ombragés de peupliers et de saules, embroussaillés de joncs, de nénuphars blancs etjaunes, les bosquets pleins de sentiers ombreux où chante, le soir, le rossignol.

Les paysages verlainiens ne sont pasdes créations arbitraires de l'art.Mais bien plus que par les aveux qu'il nous fait, un poète se confesse par l'élan vigoureux ou brisé de son chant, parsa coloration et son rythme.

Il est vrai que Verlaine, ayant voulu exprimer la mélancolie moderne, a par desprocédés savants ployé son génie en ce sens.

Mais à comparer les Poèmes Saturniens aux recueils de ses maîtres etde ses amis, on dégage dans son oeuvre un élément propre, essentiel, et qui trahit son secret.

Pour ne prendrequ'un exemple, M.

Martino, dans son beau livre sur Verlaine, a comparé Après trois ans et le poème de Baudelaire, Jen'ai pas oublié, voisine de la ville...

L'imitation ou tout au moins la parenté est flagrante et ne cherche pas à sedissimuler, la maison modeste, le petit jardin, les chétives statues de plâtre.

Mais chez Baudelaire, le tableaus'enrichit progressivement de couleurs splendides.

Le soleil ruisselant et superbe répand ses beaux reflets surl'humble scène et la transfigure.

Chez Verlaine au contraire le chant ne monte pas.

Il se brise, il se fait de plus enplus humble, il se termine en murmure.

Un refus de la joie et de l'espoir, une méfiance de la vie, quelque chose quiserre la gorge et étrangle le chant.

S'il y a une confidence dans les Poèmes Saturniens, elle est là.Au surplus, ce serait peut-être une erreur d'opposer à l'idée de subjectivité la théorie de l'art impassible.

Cet amourde l'art, chez Verlaine, naît précisément d'un refus de la vie et d'un effort pour la vaincre.

Le poète l'avait dit dansVers dorés.

Ceux-là, avait-il écrit, ceux-là sont grands qui se sont « affranchis du joug des passions » et qui, aprèsl'âpre bataille, ont su « vaincre la vie ».

Cette volonté comme fanatique d'impassibilité s'inspire du mépris deshommes et d'une horreur secrète de la vie.

Son « idéalité », comme dit Lepelletier, son impassibilité ne seraient pasconcevables s'il n'avait, selon son biographe, ignoré « ces extases, ces désirs, ces joies et ces douleurs despremières amours », qui formaient depuis le début du siècle la matière habituelle des jeunes recueils poétiques.C'est dire que ce volume, d'intention tout impersonnelle, est en réalité l'aveu d'une expérience originale.

Une fois lapart faite aux influences, à tous les éléments empruntés, reste ce qui est essentiel, le chant d'une âme triste,inquiète et blessée.

Beaucoup plus tard, Verlaine a parlé de son premier volume de vers avec une justesse et unesubtilité admirables.

Il a insisté sur ce qu'on devait y découvrir qui annonçait déjà les oeuvres suivantes.

Il relève,en ce livre de début, des tendances déjà bien décidées, un fond d'idées parfois contradictoires de rêve et deprécision, une pensée triste, « quelque ton savoureux d'aigreur veloutée et de calmes méchancetés ».

Il avouel'aspect de confidence que Lepelletier -liait plus tard nier.

« L'homme, dit-il, qui était sous le jeune homme un peupédant que j'étais alors, jetait parfois ou plutôt soulevait le masque et s'exprimait en plusieurs petits poèmes,tendrement ».

Dans cette même étude il attire l'attention sur la versification assez libre déjà, sur les enjambementset les rejets dépendant plus généralement des deux césures avoisinantes, sur les allitérations fréquentes, surquelque chose comme de l'assonance dans le corps du vers, sur les rimes rares plutôt que riches.Les Poèmes Saturniens parurent chez Lemerre un peu avant le 17 novembre 1866.

Ils avaient été imprimés à compted'auteur et tirés à 491 exemplaires.

Ils ne se vendirent guère, et vingt ans plus tard le modeste tirage n'était pasencore épuisé.

On a dit que la presse avait gardé un silence à peu près total.

J.

H.

Bomecque a pourtant retrouvésix articles qui mentionnent le nouveau recueil.

Mais la plupart sont d'une malveillance dépourvue d'équité autantque d'esprit.

Les trois lignes que Barbey d'Aurevilly écrivit dans le Nain Jaune ne se distinguent pas, hélas ! par plusde justice.

Anatole France inséra une note dans le Chasseur bibliographe.

Elle témoigne de son amitié plutôt que desa clairvoyance.

Il louait la profession de foi de l'Epilogue et donnait son admiration à.

César Borgia et à la Mort dePhilippe II.

Verlaine avait envoyé des exemplaires à ses maîtres.

Les réponses de Victor Hugo, de Leconte de Lisle,de Banville, de Sainte-Beuve, sont affligeantes de banalité, ou ridicules.

Jules de Goncourt admira le Nocturneparisien.

Seul, un poète alors obscur, modeste professeur à Besançon, sut trouver les mots qu'il fallait.

Il s'appelaitMallarmé.. »

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