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VICTOR HUGO « Elle avait pris ce pli... » (CONTEMPLATIONS IV - 5)

Publié le 15/02/2011

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Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin De venir dans ma chambre un peu chaque matin ; Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ; Elle entrait, et disait : Bonjour, mon petit père ; Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait, Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe. Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse, Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant, Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée, Et mainte page blanche entre ses mains froissée Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers. Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts, Et c'était un esprit avant d'être une femme. Son regard reflétait la clarté de son âme. Elle me consultait sur tout à tous moments. Oh ! que de soirs d'hiver radieux et charmants Passés à raisonner langue, histoire et grammaire, Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère Tout près, quelques amis causant au coin du feu! J'appelais cette vie être content de peu ! Et dire qu'elle est morte ! Hélas ! que Dieu m'assiste Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ; J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

Avec les poèmes des Contemplations groupés sous le titre de Pau-ca meae, inspirés à V. Hugo par la mort de Léopoldine, nous pénétrons dans l'intimité du poète : dans l'intimité de sa vie quotidienne, de sa douleur paternelle, de son génie.    Ainsi le poème Elle avait pris ce pli... n'est-il pas de ceux où la communion avec le poète est le plus émouvante ? (Lecture du texte).   

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« père : ...Et mainte page blanche entre ses mains froissée Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers. S'il est vrai que l'Idéal est l'âme de la poésie telle que la conçoit le Mage, quoi de plus propre à retremper cet Idéalque l'innocence de l'enfance ? La beauté du vers 3 et du second hémistiche du vers 13, née de la beauté même du sentiment, prend d'autant plusde relief que ces vers se détachent sur un fond volontairement proche de la prose dans son ensemble. (V.

14-16) — La rêverie du poète passe maintenant des petites habitudes de l'enfant aux qualités de son âme :amour de Dieu, de la Nature, belle et vivante (les prés verts).

Si nous nous rappelons que ce sont là des pointsessentiels de la religion de V.

Hugo, nous comprendrons qu'il vénère sa fille comme « un esprit » et qu'il envisage dèsce moment son autre titre de vénération : sa qualité de femme.

L'un des premiers poèmes de la Légende des Siècless'intitulera Le Sacre de la Femme (V.

Hugo notera encore la gravité précoce de sa fille dans le poème O souvenirs !printemps ! aurore ! Elle montait à petits pas, Et il me disait d'un air très grave : J'ai laissé les enfants en bas (Les enfants = ses petits frères). Le portrait moral s'achève par un vers lent et ému qui unit de façon concrète la clarté de l'âme à celle du regard : Son regard reflétait la clarté de son âme. (V.

17-21) — Capricieuse, la rêverie s'attache à une autre habitude de Léopoldine : Elle me consultait sur tout à tous moments. Ce vers, par son rythme, rase la prose, comme il convient à l'évocation d'une habitude familière.

Les multiplesquestions posées par Léopoldine font que le poète se rappelle les entretiens, les discussions des veillées.

Lesexclamations, les adjectifs « radieux et charmants » font sentir l'intensité du bonheur d'autrefois.

Au vers 21 le rejetde « Tout près » donne au vers la simplicité de la prose et fait ainsi sentir tout simplement l'affection, source debonheur, qui « rapproche » si étroitement le père, les enfants, la mère. (V.

22) — Etre content « de peu » ? En fait le poète était comblé.

Il constate, avec un regret profond teintéd'ironie, qu'il ne le sent vraiment qu'à présent, trop tard ! (V.

23) — « Et dire qu'elle est morte ! » Exclamation pathétique de la douleur paternelle, d'autant plus poignanteque le souvenir du drame surgit tout à coup dans toute son intensité, faisant un contraste violent avec les doucesévocations précédentes, irrémédiablement balayées.

L'expression « Et dire que » appartient au langage familier (lesdouleurs vraies excluent les « phrases »).

On l'emploie quand les catastrophes sont sans recours.

De là l'exclamationde l'abattement « Hélas ! » et le recours à Dieu « Que Dieu m'assiste ! » (V.

24-26) — Les impressions de joie dominaient jusqu'à présent.

Maintenant que le souvenir de la mort s'estimposé, s'imposent seuls des souvenirs tristes.

Du moins la sympathie dans la tristesse— autant que le partage desjoies — fait-elle sentir à quel point le cœur du père et celui de la fille battaient à l'unisson. Conclusion Sans doute, dans ce poème l'artiste se révèle-t-il à maintes reprises, soit en particulier qu'il bâtisse son poème surune opposition de la joie et de la tristesse, soit qu'il fasse jouer de beaux vers ou des vers profonds sur la grisailled'un ensemble volontairement proche de la prose.

Mais l'art est assez discret pour n'apparaître qu'au cours d'uncommentaire attentif.

A la lecture, l'impression dominante est bien celle d'une douleur profonde, émouvante par lasimplicité de son expression.. »

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