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Victor HUGO : Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée

Publié le 17/01/2022

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hugo

 

Victor HUGO   (1802-1885)

 

Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée

 

Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.

 

Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,

Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,

Sonnait de la trompette autour de la cité,

Au premier tour qu'il fit, le roi se mit à rire ;

Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :

" Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? "

À la troisième fois l'arche allait en avant,

Puis les trompettes, puis toute l'armée en marche,

Et les petits enfants venaient cracher sur l'arche,

Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;

Au quatrième tour, bravant les fils d'Aaron,

Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,

Les femmes s'asseyaient en filant leur quenouille,

Et se moquaient, jetant des pierres aux Hébreux ;

À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux, 

Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées

Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées ;

À la sixième fois, sur sa tour de granit

Si haute qu'au sommet l'aigle faisait son nid,

Si dure que l'éclair l'eût en vain foudroyée,

Le roi revint, riant à gorge déployée,

Et cria : " Ces Hébreux sont bons musiciens ! "

Autour du roi Joyeux riaient tous les anciens

Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.

 

À la septième fois, les murailles tombèrent.

 

Tout le poème apparaît comme une description, dans laquelle les notations familières se mêlent aux éléments épiques, c'est-à-dire aux exagérations propres aux récits héroïques du Moyen Age. Mais le premier vers nous avertit immédiatement qu'il s'agit en réalité d'une allégorie, d'un récit qui doit s'interpréter au sens figuré et contient un enseignement moral.

Ce premier vers évoque en effet les « clairons de la pensée «. Il s'agit d'une métaphore : les clairons symbolisent les manifestations de la pensée, de la Vérité ; et sans doute plus particulièrement les oeuvres de Victor Hugo lui-même. L'effet typographique souligne encore la parabole : la ligne sautée entre les vers 1 et 2 marque un changement de ton, une pause, et fait ainsi apparaître le poème comme une illustration de la première phrase.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que le texte tout entier se compose de trois phrases seulement : une phrase d'introduction (un vers), une phrase de conclusion (un vers) et, entre les deux, une longue phrase descriptive constituant le corps du poème. Les éléments essentiels du texte, l'introduction et la « surprise « finale, sont ainsi parfaitement mis en valeur.

Le corps du poème (vers 2 à 25) est construit sur un double effet : une progression dramatique vers le dénouement, une opposition entre l'attitude des Hébreux et celle des habitants de Jéricho.

 

hugo

« 5 et 6, consacrés au roi de Jéricho, le poète utilise des groupes verbaux de quatre syllabes : «Au premier tour», «Au second tour». « Sonnez, sonnez toujours...

» I 235 L'action des Hébreux en paraît plus anodine, moins grandiloquente ; c'est un début...

Mais à partir du troisième tour,Hugo utilise systématiquement un groupe verbal de six syllabes, afin de rythmer son texte de façon plus puissante :«A la troisième fois », «Au quatrième tour»... Cette progression est également marquée par le nombre des vers consacrés à chaque tour : Premier tour 1 vers (5) Second tour 2 vers (6 - 7) Troisième tour 4 vers (8 - 11) Quatrième tour 4 vers (12 - 15) Cinquième tour 3 vers (16 - 18) Sixième tour 7 vers (19 - 25) Septième tour 1 vers, mis en relief par un saut de ligne. Les deux premiers tours, on l'a dit, prennent un aspect un peu anodin.

Du troisième au cinquième, la longueur à peuprès identique de chaque partie produit un effet de redondance qui fait bien sentir l'action répétitive des Hébreux.Enfin, la longueur de la description attachée au sixième tour a pour fonction de créer un effet de rupture, uncontraste avec la simplicité lapidaire du dernier vers.

(Sur l'effet de rupture, voir le chapitre sur «Le Style de VictorHugo ».) Enfin, cette progression correspond à un aveuglement croissant des habitants de Jéricho, qui viennent les uns aprèsles autres se moquer des Hébreux.

Le roi envoie d'abord un messager à Josué (cf.

vers 6: « il lui fit dire »), ce qui est tout de même, malgré la raillerie, une façon de le prendre comme interlocuteur.

Mais très vite le roi disparaît etnous voyons intervenir les «petits enfants» (vers 10), par définition inconscients et irresponsables.

Viennent ensuite «les femmes » (vers 14), normalement plus raisonnables que les enfants.

Au vers 17, ce sont les infirmes, «aveugles et boiteux » mais qui devraient néanmoins pouvoir apprécier le danger.

Enfin l'hilarité et l'inconscience finissent par gagner jusqu'aux plus sages, les « anciens » qui servent de conseillers au roi (vers 24-25). Notons que ces intervenants successifs (petits enfants, femmes, infirmes, vieillards), dont aucun n'hésite à semoquer des Hébreux, ont en commun la faiblesse physique.

Victor Hugo montre ainsi le peu de crainte que les Hébreux inspirent aux habitants, qui se sentent à l'abri derrière leursmurailles et ne comprennent pas les agissements de l'ennemi. Ainsi le mouvement du texte est un élargissement progressif de l'hilarité et de l'aveuglement à toute la population deJéricho, jusqu'à la catastrophe finale. De façon plus subtile, on remarquera comment Hugo prépare l'effet spectaculaire du dernier vers en magnifiantprogressivement les murailles de Jéricho.

Ce sont d'abord des « vieux créneaux» rouillés (vers 13), puis des « murs ténébreux» (vers 16) et finalement une tour indestructible dont la description démesurée (vers 19-21) rend la victoire des Hébreux encore plus éclatante. Un contraste entre les Hébreux et la ville Cette progression se double d'une opposition entre les deux groupes constitués d'un côté par les Hébreux, de l'autrepar les habitants de Jéricho. Il faut d'abord noter que Victor Hugo se place (et par conséquent nous place) en observateur extérieur àl'événement.

Si l'on excepte une mention un peu ambiguë au vers 3 (prophète irrité »), aucune indication ne nous est donnée sur l'état d'esprit des personnages.

Nous n'avons que des descriptions d'actions et de comportements.Ce parti pris renforce l'efficacité de la scène, en nous laissant imaginer les pensées des protagonistes.

Il prend toutesa valeur au dernier vers, dans lequel Hugo donne une description simple et froidement objective du fait essentiel :«les murailles tombèrent ». Pourtant, il faut remarquer que Victor Hugo n'emploie pas les mêmes procédés pour décrire les Hébreux et leshabitants de Jéricho. Le vocabulaire employé pour caractériser ces derniers est simple, sans périphrase ni hyperbole (sauf aux vers 20-21,pour une raison déjà évoquée).

De nombreux détails familiers viennent préciser le tableau : les enfants soufflentdans des trompes (vers 11), les murs sont « brunis par la rouille » (vers 13), les femmes filent la laine (vers 14), le. »

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