VINAVER Michel, pseudonyme de Michel Grinberg : sa vie et son oeuvre
Publié le 12/11/2018
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VINAVER Michel, pseudonyme de Michel Grinberg (né en 1927). Michel Vinaver s’est d’abord livré à des expériences sur le genre romanesque. Lataume (1950) retrace patiemment, à la manière des romans policiers, et en trente-cinq séquences, une semaine de la vie d’un personnage qui s’appelle Lataume, et dont nous suivons les faits et gestes tout au long de la minutieuse succession des heures. L'Objecteur (1951) raconte comment un jeune soldat, qui s’enfuit de prison après avoir été condamné pour refus d’obéissance, provoque une série de perturbations tant dans le milieu militaire qu’il a précipitamment quitté que parmi les civils qu’il a rejoints. Quarante-huit heures s'écoulent seulement entre la première et la dernière ligne de ce roman, dont l’action nous est présentée comme contemporaine.
A partir de 1955, Michel Vinaver s’est consacré exclusivement au théâtre, ayant eu la chance de voir Roger Planchon monter sa première œuvre, les Coréens (1956). La seule pièce véritablement « historique » qu'il ait écrite est une adaptation, pour le Théâtre national
«
populaire, de la Fête du cordonnier (1959) du drama
turge élisabéthain Thomas Dekker; il a également adapté
les Estivants de Gorki (1983) et le Suicidé deN.
Erdman
(1984 ).
Ses œuvres originales, elles, se situent résolu
ment dans le présent ou dans un passé très proche, encore
d'actualité au moment où elles furent composées et
même créées.
Les Coréens ont pour sous-titre Aujour
d'hui et relatent un épisode de la guerre de Corée, termi
née en 1953.
La guerre d'Algérie est une des causes de
la chute du gouvernement présidé par Letaize, dans les
Huissiers (1958).
Iphigénie Hôtel (1960), dont les per
sonnages sont pourtant empruntés partiellement à un
roman de Henry Green, Loving, montre comment les
vacances grecques de certains de nos compatriotes ont
été troublées par les événements qui ramenèrent le géné
ral de Gaulle au pouvoir en 1958, tandis que Par-dessus
bord (1972) raconte l'absorption d'une entreprise fami
liale, Ravoire et Dehaze, par une société multinationale
et A la renverse (1980) l'effondrement du marché de la
crème à bronzer après une série d'émissions TV dénon
çant le rôle cancérigène du soleil.
Philippe, que les poli
ciers viennent arrêter à la fin de Dissident, il va sans dire
(1978), est visiblement un militant gauchiste.
L'Ordi
naire (1 982) s'inspire d'un fait divers abondamment
commenté dans les médias, un accident d'avion dont les
survivants durent, pour survivre, se résoudre au can
nibalisme ...
Mais, face à l'actualité, l'auteur a la même attitude
qu'Arthur Adamov ou Roger Planchon devant l'His
toire : il ne cherche pas, comme les romantiques, à mettre
en scène des événements spectaculaires, préférant s'atta
cher à leurs répercussions sur la vie quotidienne de ceux
qui n'en sont ni les instigateurs ni les acteurs principaux.
Dans les Coréens, ni les soldats du corps expéditionnaire
de l'O.N.U., ni les villageois ne savent où se situe exac
tement le front des combats.
Le petit personnel des
ministères, dans les Huissiers, tire des journaux ses
informations sur les grandes « affaires >> du moment.
Quant aux touristes d'Iphigénie Hôtel, ils ne peuvent que
spéculer à partir des nouvelles fragmentaires qui leur
parviennent.
Ce théâtre au présent a manifestement pour objectif
de nous inciter à renoncer à quelques idées reçues.
L'his
toire de Belair prouve que la désertion n'est pas néces
sairement un acte honteux ou lâche (les Coréens); celle
de M110 Lhospitallier et de M.
Yeluze, que les vacances
ne suffisent pas à transformer les gens médiocres en
héros (Iphigénie Hôtel).
Par-dessus bord souligne
qu'une opération de concentration économique boule
verse nécessairement aussi la vie privée des personnes
dès lors qu'on les manipule comme des pions, tandis
qu'à l'inverse une tragédie individuelle peut ébranler un
trust apparemment tout-puissant (A la renverse); Dissi
dent, il va sans dire conteste que l'incompréhension
entre parents et enfants soit inéluctable; Nina, c'est autre
chose (1978) présente un ménage à trois qui n'a rien de
risible.
Michel Vinaver a toutefois le souci de ne pas effarou
cher son public en le provoquant, et il est convaincu,
d'abord, qu'il n'y a pas de raison commune susceptible
de gouverner tous nos actes; ensuite, que personne ne
croit plus vraiment aux «lendemains qui chantent ».
Autant de raisons qui l'incitèrent à se méfier de 1 'exem
ple de théâtre épique proposé par Brecht.
Il préféra assi
gner à ses pièces la tâche de susciter ce qu'il appelle une
« émotion délivrante » et essaya de concilier les idées
de Brecht avec celles de Stanislavski, à un moment où
celles-ci étaient systématiquement perçues comme
opposées.
Concrètement, cette «émotion délivrante >> n'est pas
communiquée par des personnages dont l'auteur s'effor
cerait de reconstituer l'histoire ou d'expliquer psycholo-
2638 giquement
le comportement.
Le spectateur, par exemple,
ne sait pas comment Belair s'est retrouvé dans le corps
expéditionnaire envoyé en Corée, ni comment Philippe a
pu entrer dans la « dissidence >>.
Importent davantage les
relations entre ces êtres fictifs, tout ce qui les sépare ou
les relie étant l'objet de la mise en scène.
Des Coréens
au Théâtre de chambre (qui regroupe Dissident et Nina),
et aux pièces suivantes, les Travaux et les Jours (1979),
A la renverse, l'Ordinaire, les Voisins (1986), un nou
veau réalisme théâtral se dessine, qui fait penser à celui
d'un auteur allemand comme Kroetz: peinture d'une vie
quotidienne qui n'est pas stéréotypée et qui, tout en
tenant compte des situations sociales, varie selon les
personnages d'un même groupe.
J.-P.
Sarrazac a parlé à
ce propos d'un« théâtre minimal >>.
Au public de trouver
lui-même comment se situer par rapport à ces héros,
de dégager ses propres conclusions, car Je didactisme
brechtien est ici écarté.
Aucune cohérence, même
cachée, n'est postulée par avance : la mécanique sociale
(cf.
Portrait d'une femme, 1986), aussi bien que la méca
nique privée, est constamment grippée; les frottements
et les frictions sont inhérents à la vie de tous les jours.
Le langage joue un rôle essentiel dans cette originale
stratégie dramatique.
Pas de professions de foi, d'épan
chements lyriques.
Ce qui est dit est moins important
que Je fait même que cela soit dit, et les silences sont de
précieux messages.
Par le jeu des coupures, des interrup
tions, des ellipses et des « déponctuations >>, bref, par le
recours au montage de la langue, Michel Vinaver par
vient à convertir la banalité en rareté, à donner une
forme, donc un sens, à ces fragments éparpillés qui
constituent notre réalité quotidienne.
BIBLIOGRAPHIE Michel Vinaver, Théâtre complet, préface de J.-L.
Rivière,
Arles, Actes Sud, 1986, 2 vol.
On lira avec intérêt, de Michel
Vinaver, des réflexions sur le théâtre : >, Théâtre populaire, n• 32, 4• tri m.
1958,
p.
1-28, et Écrits sur le théâtre, Éd.
de l'Aire, 1982.
A consulter.
-J.-P.
Sarrazac, «Vers un théâtre minimal>>,
postface au Théâtre de chambre, Paris, l'Arche, 1978;
A.
Ubersfeld, Vinaver dramaturge, Paris, Librairie théâtrale,
1989.
D.
MORTIER.
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