Voltaire et Rousseau
Publié le 16/02/2012
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1733. — Elégamment vêtu, portant épée et perruque, un jeune professeur de musique (21 ans), va et vient, un livre à la main, entre deux leçons, dans un jardin de Chambéry. Visiblement, sa lecture le passionne, le met hors de lui-même. A diverses reprises, il tire son mouchoir et s'essuie les yeux. Le petit livre achevé, il s'affale sur un banc et pleure longuement, secoué par des sanglots. Jean-Jacques Rousseau vient de lire pour la première fois Zaïre, de M. de Voltaire. Il va déverser dans l'âme de sa « bonne maman « — une louche aventurière, sa « convertisseuse « et logeuse, la ....

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tures prussiennes, ne sauraient etre le repos et la paix.
Sa plus exquise
jouissance est de jeter le trouble ou regne le calme.
II amenage un theatre aux « Deices » pour y representer ses pieces, it y attire les austeres Ge-
nevois, it les incite, au nom de la civilisation et de leur propre interest,
a creer une scene dans leur ville, en depit de la religion et des lois.
Jean-Jacques est maintenant ,l'auteur du Discours sur (ou contre) les
Sciences et les Arts (1750) et du Devin du Village (1752) un opera, - paradoxe! - Il a pris femme; it a eu cinq enfants - morts, ou disperses
chez les nourrices de l'assistance publique -; it revendique le titre de Citoyen de Geneve », auquel, pratiquement, it avait renonce depuis sa
fuite, en 1728, et supplie de rentrer dans le sein de l'eglise reformee :
double faveur qui lui est accordee le meme jour (1754); il a transforms
son costume, et assists a la representation du Devin, devant le roi, en habit
de drap grossier, la barbe longue et hirsute, la perruque mal peignee.
En aout 1755, le chatelain des e Delices », qui n'avait encore vu en lui
,qu'un musieien et un pate subalterne; commence a s'inquieter.
II vient de recevoir un Discours dedie a la Republique de Geneve, sur l'Origine
de rinegalite parmi les hommes.
Ce personnage obscur, collaborateur de
l'Encyclopedie, pretend-il au titre de « philosophe » ? Cet ennemi des arts
et des plaisirs, va-t-il se meler de reformer les mceurs et la societe? Et
it lui decoche une lettre, mi-badine, mi-serieuse, devenue célèbre « J'ai
regu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain...
On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la societe humaine...
On n'a jamais employe tant d'esprit nous rendre betes;prend envie
.de marcher a quatre pattes quand on lit votre ouvrage.
Cependant, comme
y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheu-
reusement qu'il m'est impossibledelareprendre.
» Et, pour finir :
...Votre sante est bien mauvaise...
venez la retablir dans l'air natal...
boire avec moi du lait de nos vaches et brouter nos herbes...
»
1756.
- Ce n'etait la qu'une premiere friction, a peine une escarmouche.
Le ton s'eleve apres le poeme sur le Tremblement de Terre de Lisbonne.
Voltaire, le riche, en profite pour charger a fond contre la Providence.
Rousseau, le pauvre, la defend - un peu longuement, un peu lourdement mais eloquemment : e ...J'ai trop souffert en cette vie pour n'en pas
attendre une autre.
Toutes les subtilites de la metaphysique ne me feront
pas douter un moment de l'immortalite de rime et d'une Providence bien- faisante.
Je la sens, je la crois, je la veux, je l'espere, je la defendrai jus-
qu'a mon dernier soupir...
» Mme Denis, sa niece, etant malade, Voltaire
ne repond pas.
La riposte viendra plus tard, empoisonnee, avec Candide
(1759).
1757.
- L'article Geneve, paru dans l'Encyclopedie a la fin de cette
annee, consomme la rupture.
Jean-Jacques n'a cure de s'installer a proxi-
miter du terrible chatelain : a la place de bibliothecaire a Geneve, offerte
par le medecin Tronchin (1756), it prefere l'hospitalite de Mme d'Epinay,
A l'Ermitage, pres de Montmorency.
Mal lui en prend; a la suite d'histoires
tres vilaines it se hrouille avec ses hOtes et accepte la maisonnette que lui
propose le procureur fiscal du Prince de Conde.
C'est la qu'en trots se-
maines it compose la Lettre a d'Alembert sur les Spectacles (fevrier 1758), e manifeste anti-voltairien », car Rousseau ne s'y est pas tromps : Vol-
taire a inspire l'article ecrit par d'Alembert.
La guerre est ouvertement
declaree.
Voltaire ne garde aucune mesure : « Charlatan sauvage, magot ambu-
lant, emule d'Erostrate, chien de Diogene,
Mordant egalement la main
De qui le fesse ou qui renchaine
Ou qui lui presente du pain...
1,
Ces atnenites et bien d'autres du meme style pesent lourdement sur la
memoire d'Arouet; jamais son adversaire, dont le crime etait de ne pas
croire aux effets moralisateurs du theatre, ne descendit a d'aussi basses
injures...
e Vous m'avez fait les maux qui pouvaient m'etre le plus sen-
sibles, a moi votre disciple et votre enthousiaste...
Je vous hais enfin puis-
que .vous l'avez voulu.
» Le ton est, on le voit, completement different.
1761.
- La Nouvelle Helofse enthousiasme Paris.
Le seigneur de Ferney s'est etabli definitivement dans ce domaine - ne partage pas l'em-
ballement universel.
Ni la tendresse passionnee, ni les belles tirades sur la
tures prussiennes, ne sauraient être le repos et la paix. Sa plus exquise
jouissance est de jeter le trouble où règne le calme. Il aménage un théâtre aux « Délices » pour y représenter ses pièces, il y attire les austères Ge nevois, il les incite, au nom de la civilisation et de leur propre intérêt,
à créer une scène dans leur ville, en dépit de la religion et des lois.
Jean-Jacques est maintenant l'auteur du Discours sur (ou contre) les Sciences et les Arts (1750)"et-du Devin du Village (1752) un opéra, — ô paradoxe! — Il a pris femme; il a eu cinq enfants — morts, ou dispersés chez les nourrices de l'assistance publique —; il revendique le titre de
«Citoyen de Genève», auquel, pratiquement, il avait renoncé depuis sa fuite, en 1728, et supplie de rentrer dans le sein de l'église réformée : double faveur qui lui est accordée le même jour (1754); il a transformé son costume, et assisté à la représentation du Devin, devant le roi, en habit
de drap grossier, la barbe longue et hirsute, la perruque mal peignée.
En août 1755, le châtelain des «Délices», qui n'avait encore vu en lui qu'un musicien et un poète subalterne, commence à s'inquiéter.
Il vient
de recevoir un Discours dédié à la République de Genève, sur l'Origine
de l'inégalité parmi les hommes. Ce personnage obscur, collaborateur de
l'Encyclopédie, prétend-il au titre de « philosophe » ? Cet ennemi des arts
et des plaisirs, va-t-il se mêler de réformer les mœurs et la société? Et il lui décoche une lettre, mi-badine, mi-sérieuse, devenue célèbre : « J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain... On ne peut
peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine...
On n'a jamais employé tant d'esprit à nous rendre bêtes; il prend envie
,de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage.
Cependant, comme jl y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheu
reusement qu'il m'est impossible de la reprendre. » Et, pour finir :
« ...Votre santé est bien mauvaise...
venez la rétablir dans l'air natal...
boire avec moi du lait de nos vaches et brouter nos herbes... »
1756.
— Ce n'était là qu'une première friction, à peine une escarmouche.
Le ton s'élève après le poème sur le Tremblement de Terre de Lisbonne.
Voltaire, le riche, en profite pour charger à fond contre la Providence.
Rousseau, le pauvre, la défend — un peu longuement, un peu lourdement — mais éloquemment : « ...J'ai trop souffert en cette vie pour n'en pas attendre une autre.
Toutes les subtilités de la métaphysique ne me feront
pas douter un moment de l'immortalité de l'âme et d'une Providence bien
faisante. Je la sens, je la crois, je la veux, je l'espère, je la défendrai jus qu'à mon dernier soupir... » Mme Denis, sa nièce, étant malade, Voltaire
ne répond pas.
La riposte viendra plus tard, empoisonnée, avec Candide (1759).
1757.
— L'article Genève, paru dans l'Encyclopédie à la fin de cette année, consomme la rupture.
Jean-Jacques n'a cure de s'installer à proxi-
miter du terrible châtelain : à la place de bililiothécaire à Genève, offerte par le médecin Tron chin (1756), il préfère l'hospitalité de M me d'Epinay, à l'Ermitage, près de Montmorency. Mal lui en prend; à la suite d'histoires très vilaines il se brouille avec ses hôtes et accepte la maisonnette que lui propose le procureur fiscal du Prince de Condé. C'est là qu'en trois se maines il compose la Lettre à d'Alembert sur les Spectacles (février 1758),
« manifeste anti-voltairien », car Rousseau ne s'y est pas trompé : Vol taire a inspiré l'article écrit par d'Alembert. La guerre est ouvertement déclarée.
Voltaire ne garde aucune mesure : « Charlatan sauvage, magot ambu lant, émule d'Erostrate, chien de Diogène,
Mordant également la main
De qui le fesse ou qui l'enchaîne Ou qui lui présente du pain... »
Ces aménités et bien d'autres du même style pèsent lourdement sur la
mémoire d'Arouet; jamais son adversaire, dont le crime était de ne pas croire aux effets moralisateurs du théâtre, ne descendit à d'aussi basses injures... « Vous m'avez fait les maux qui pouvaient m'être le plus sen sibles, à moi votre disciple et votre enthousiaste... Je vous hais enfin puis
que vous l'avez voulu. » Le ton est, on le voit, complètement différent.
1761. — La Nouvelle Hèloïse enthousiasme Paris. Le seigneur de Ferney T- il s'est établi définitivement dans ce domaine — ne partage pas l'em
ballement universel. Ni la tendresse passionnée, ni les belles tirades sur la.
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