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VOLTAIRE: La Henriade (14) - Chant III (23) - La Bataille de Coutras et la mort de Joyeuse.

Publié le 01/04/2011

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Les courtisans en foule, attachés à son sort, Du sein des voluptés s'avançaient à la mort. Des chiffres amoureux, gages de leurs tendresses, Traçaient sur leurs habits les noms de leurs maîtresses ; Leurs armes éclataient du feu des diamants, De leurs bras énervés frivoles ornements. Ardents, tumultueux, privés d'expérience, Ils portaient au combat leur superbe imprudence : Orgueilleux de leur pompe, et fiers d'un camp nombreux, Sans ordre ils s'avançaient d'un pas impétueux. « D'un éclat différent mon camp frappait leur vue : Mon armée, en silence à leurs yeux étendue, N'offrait de tous côtés que farouches soldats, Endurcis aux travaux, vieillis dans les combats, Accoutumés au sang, et couverts de blessures : Leur fer et leurs mousquets composaient leurs parures. Comme eux vêtu sans pompe, armé de fer comme eux, Je conduisais aux coups leurs escadrons poudreux ; Comme eux, de mille morts affrontant la tempête, Je n'étais distingué qu'en marchant à leur tête. Je vis nos ennemis vaincus et renversés, Sous nos coups expirants, devant nous dispersés : À regret dans leur sein j'enfonçais cette épée, Qui du sang espagnol eût été mieux trempée. « Il le faut avouer, parmi ces courtisans Que moissonna le fer en la fleur de leurs ans, Aucun ne fut percé que de coups honorables : Tous fermes dans leur poste, et tous inébranlables, Ils voyaient devant eux avancer le trépas, Sans détourner les yeux, sans reculer d'un pas. Des courtisans français tel est le caractère : La paix n'amollit point leur valeur ordinaire ; De l'ombre du repos ils volent aux hasards ; Vils flatteurs à la cour, héros aux champs de Mars. « Pour moi, dans les horreurs d'une mêlée affreuse, J'ordonnais, mais en vain, qu'on épargnât Joyeuse : Je l'aperçus bientôt porté par des soldats, Pâle, et déjà couvert des ombres du trépas. Telle une tendre fleur, qu'un matin voit éclore Des baisers du Zéphire et des pleurs de l'Aurore, Brille un moment aux yeux, et tombe, avant le temps, Sous le tranchant du fer, ou sous l'effort des vents. « Mais pourquoi rappeler cette triste victoire ? Que ne puis-je plutôt ravir à la mémoire Les cruels monuments de ces affreux succès ! Mon bras n'est encor teint que du sang des Français : Ma grandeur, à ce prix, n'a point pour moi de charmes, Et mes lauriers sanglants sont baignés de mes larmes.

COMMENTAIRE : I. — Le dessein de Voltaire Dans son Essai sur la Poésie Epique, paru en 1728, qui devait servir de Préface à La Henriade, Voltaire écrit à propos de l'Épopée chez les Anciens : Nous ne parlons point la même langue. La religion qui est presque toujours le fondement de la poésie épique, est parmi nous l'opposé de leur mythologie. Nos coutumes sont plus différentes de celles des héros du siège de Troie que de celles des Américains. Nos combats, nos sièges, nos flottes, n'ont pas la moindre ressemblance ; notre philosophie est en tout le contraire de la leur. L'invention de la poudre, celle de la boussole, de l'imprimerie, tant d'autres arts qui ont été apportés récemment dans le monde, ont en quelque façon changé la face de l'univers. Il faut peindre avec des couleurs vraies comme les anciens, mais il ne faut pas peindre les mêmes choses.

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« nouveau titre.

Comme ce titre l'indique, le personnage principal en est Henri de Navarre, et ce sont les exploits etles aventures, vrais ou imaginés, du futur Henri IV que Voltaire y retrace, en s'inspirant, pour la présentation, desformes traditionnelles de l'épopée classique.

L'extrait à commenter permet de mesurer les qualités et les faiblessesde l'ouvrage.

Il se situe au chant III, au moment où Henri de Navarre vient de débarquer en Angleterre, pour ysolliciter du secours contre ses ennemis, et fait à la reine Élisabeth le récit des guerres de religion et des combatsauxquels il a pris part. II.

— Le Récit a) Le fait historique Le récit de Voltaire relate un fait historique : La victoire que remporta Henri de Navarre sur Anne, duc de Joyeuse,favori d'Henri III et amiral de France, le 20 octobre 1587.

Le lecteur du XVIIIe siècle trouvait dans ce récit nonseulement un souci de vérité qui pouvait satisfaire ses goûts, mais encore un intérêt d'actualité et un intérêtnational, puisque Voltaire y retraçait non une lutte fabuleuse, mais un combat relativement récent, où se jouait ensomme le destin de la France. b) Les ennemis en présence En second lieu, le texte oppose à la foule des courtisans richement armés (vers 5), mais inexpérimentés, téméraireset trop sûrs d'eux-mêmes (1er paragraphe), les troupes aguerries et disciplinées d'Henri de Navarre, attendant ensilence et de pied ferme leurs ennemis (2e paragraphe).

Ces deux tableaux, qui forment un habile contraste(voluptés s'oppose à travaux, diamants à fer, tumultueux à en silence...), montrent que Voltaire veut expliquer lavictoire de son héros, non par l'intervention miraculeuse d'une puissance divine ou surnaturelle, qui aurait pris part àla bataille, comme dans les œuvres d'Homère ou de Virgile, mais par des raisons humaines.

C'était renoncer à ce «merveilleux » qui paraissait de règle dans les épopées, puisque Boileau lui-même, que Voltaire admirait, y voyaitl'essentiel de la poésie épique et le recommandait au chant III de L'Art Poétique.

Dans d'autres passages de LaHenriade, Voltaire substituera à ce merveilleux des allégories qui personnifieront les sentiments de ses personnageset viendront les animer à l'action.

Ces allégories, dont il abusera, nous paraîtront bien froides.

Il n'y a rien de toutcela dans ce récit. c) Les réflexions morales D'autre part, en dehors de l'enseignement moral qui se dégage de la défaite, que Voltaire évoque avec discrétion(vers 21 et 22), il y a, dans tout le récit, une admiration chaleureuse pour le héros qui l'inflige.

Ce héros, pour lequelle poète ne cache pas sa sympathie, fait l'unité de l'ouvrage.

Il en est la figure centrale, comme il est de règle dansles épopées.

Dans ce passage tout particulièrement, Voltaire lui prête un certain nombre de qualités.

Simple (vers17) et modeste (v.

20), il ne voit pas en ses hommes des courtisans énervés, c'est-à-dire, au sens classique, « quiont perdu leur force », mais de vrais soldats, dont il partage les dangers (vers 19).

En véritable chef, il aime sapatrie (vers 24), mais il reconnaît le courage ardent et impétueux de ses adversaires; il les frappe à regret, et il voitmourir avec pitié le duc de Joyeuse (3e paragraphe), parce qu'il a horreur de la guerre (v.

25).

Ce personnageplaisait à Voltaire; le poète admirait sa valeur, mais aussi sa générosité, et sa haine des guerre fratricides (dernierparagraphe).

En évoquant ces sentiments, Voltaire avait conscience de composer une épopée toute moderne qui nepeignait pas les mêmes choses que les Anciens.

Si l'on ajoute que son œuvre venait après des poèmes comme LeClovis de Desmarets ou La Pucelle de Chapelain, on comprendra pourquoi les contemporains saluèrent La Henriadecomme un chef-d'œuvre.

Nous n'avons pas les mêmes raisons qu'eux pour l'admirer, mais on doit reconnaître qu'ellepouvait donner satisfaction, dans une certaine mesure, à leurs idées et à leurs goûts. II.

— Les faiblesses Malgré cet effort d'originalité et de rénovation, La Henriade nous paraît aujourd'hui une œuvre médiocre.

La raisonen est que Voltaire n'a pas su, par timidité, se dégager complètement des moules convenus, que lui offraient lesépopées traditionnelles, et que, d'autre part, il s'est fait de la « haute poésie » une conception très discutable, dontil a été la première victime. Conformité aux modèles traditionnels A) Le texte à commenter est un récit.

Voltaire suppose qu'Henri de Navarre, chargé d'une mission par Henri III, estarrivé en 85 Angleterre et raconte ses aventures à la reine Élisabeth.

Mais, outre que cette mission est de pureinvention, il est trop évident que Voltaire ne l'a imaginée que pour servir de prétexte à une narration et se conformerainsi aux habitudes des épopées classiques qui n'y manquent jamais.

Tout en voulant composer une œuvredifférente des œuvres antérieures, Voltaire leur empruntait la forme même qu'elles avaient utilisée.

C'était déjà làune marque de faiblesse.

Cette impression se confirme et s'accentue à la lecture des autres passages de LaHenriade où, après Homère et Virgile, Voltaire ne manque pas de décrire la tempête aux abords de la côte anglaise(chant II), plus loin le songe d'Henri au cours duquel il visite successivement le Ciel puis les Enfers {chant VII), etmême ses amours avec Gabrielle d'Estrées, auprès de laquelle il oublie un certain temps son devoir (chant IX),comme l'avait fait Enée auprès de Didon, au chant IV de Y Enéide. Les procédés d'expression. »

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