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La légende d'Oedipe avant Sophocle

Publié le 17/01/2022

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   Il serait du plus haut intérêt pour l'étude de l'Œdipe-Roi de savoir avec précision comment la légende d'Œdipe avait évolué jusqu'au temps où cette tragédie fut composée. Malheureusement, il en est d'elle comme de presque toutes les légendes de la Grèce antique. Nous sommes hors d'état d'en démêler les origines et d'en suivre sûrement les variations, faute de témoignages suffisants. Ceux que l'on recueille çà et là sont à la fois trop incomplets et en général trop divergents pour qu'on en puisse tirer autre chose que des conjectures plus ou moins ingénieuses, toujours contestables et fragiles. Ce n'est pas ici le lieu de discuter en détail celles qui ont été émises sur la légende d'Œdipe ni d'en proposer de nouvelles. Quelques indications sommaires suffiront à notre dessein.    Certaines allusions de l'Iliade attestent qu'à l'époque où naquit ce poème, une autre épopée, la Thébaïde était en grand renom. Or la Thêbaïde avait pour sujet la guerre qui avait éclaté entre les deux fils d'Œdipe au sujet de l'héritage de leur père. Une allusion au même événement se trouve dans les Travaux d'Hésiode. Il est donc certain que, dès ce temps, la légende d'Œdipe était matière de poésie.   

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« comme était révéré Oedipe, depuis qu'il avait délivré cette terre du monstre qui lui ravissait ses hommes ? Maisquand il eut, l'infortuné, pris soudain conscience de son malheureux hymen, dans sa douleur impatiente, dans ledélire de son âme, il acheva un double malheur ; de sa main parricide, il se priva de ses yeux, plus chers à l'hommeque ses propres enfants.

Et, contre ses fils mêmes, indignés de leurs piètres soins, hélas ! il lança des imprécationsamères : c'est le fer au poing qu'ils se partageraient ses biens ».

Il est clair que tous les événements ainsi résumésne pouvaient être mis en scène dans la tragédie perdue, ne fût-ce qu'en raison de leur durée.

Un intervalle deplusieurs années devait être supposé entre la victoire d'Oedipe sur le Sphinx, suivie de son mariage avec Jocaste, etles imprécations lancées par lui contre les fils négligents et irrespectueux nés de ce mariage.

D'ailleurs, ce résumén'est pas complet.

La donnée des Sept implique la mort antérieure d'Oedipe et de Jocaste, qui n'y est pasmentionnée.

Si l'on réfléchit, d'autre part, à la simplicité de toutes les tragédies d'Eschyle, uniformément réduites àun seul événement, on se persuadera que la pièce avait probablement pour unique sujet la fin d'Oedipe, et quepresque tous les faits antérieurs y figuraient seulement sous forme de récits ou servaient de matière à des chants.Seule, peut-être, la double révélation de l'inceste et du parricide pouvait être associée à la malédiction lancée par lemalheureux contre ses fils et à sa mort1.

Mais, en l'absence de tout témoignage, nous ne pouvons faire sur ce pointque des conjectures.

Notons du moins que l'importance attribuée dans les Sept à cette malédiction donne lieu depenser qu'elle devait avoir dans l'Oedipe une haute valeur dramatique.

Quant à la double révélation du parricide etde l'inceste, dont Sophocle a tiré un si admirable coup de théâtre, rien ne nous apprend comment Eschyle l'avaittraitée.

Faut-il croire que, se contentant de traduire en forme dramatique le vers de l'Odyssée « soudainement, lesdieux révélèrent tout », il avait eu recours soit à un oracle, soit à l'intervention d'un devin, tel que Tirésias, quifigurera aussi dans la pièce de Sophocle ? Le résumé cité plus haut ne nous fournit aucun indice à cet égard.

Ilserait singulièrement téméraire d'y suppléer par des hypothèses dénuées de preuve. Quoi qu'il en soit, il apparaît que le sujet, lorsque Sophocle le choisit, n'était plus neuf pour un public athénien.L'histoire d'Oedipe et le caractère des principaux personnages qu'il avait à mettre en scène étaient connus de tous.C'était pour lui un avantage à certains égards : il était dispensé par là d'un bon nombre d'explications qui auraientalourdi l'action.

En revanche, il se voyait obligé de rivaliser avec Eschyle et, par conséquent, d'opposer à saconception une conception nouvelle.

Soyons assurés qu'il ne s'y décida pas sans avoir examiné les ressources quelui offrait la matière légendaire et les difficultés qu'elle lui donnerait à vaincre.

Il ne sera pas inutile de refaire à notretour cet examen, très brièvement d'ailleurs, pour mieux entrer dans l'intelligence de ses intentions. Rien peut-être n'est plus tragique que le contraste entre la grandeur passagère d'Oedipe et sa chute soudaine, telqu'il ressortait de la légende.

Son entrée dans Thèbes est un triomphe.

Au milieu d'un peuple terrorisé parle Sphinx,qui, chaque jour, tant que son énigme n'aura pas été devinée, réclame une victime humaine, il apparaît tout à coup.Jeune étranger, il ose affronter le monstre, devant lequel les plus hardis tremblaient ; et, par la seule force de sonesprit, sans aucun conseil, sans un secours quelconque, il le confond et le réduit à se donner la mort.

Sur-le-champ,l'admiration et la reconnaissance de tout un peuple saluent en lui un homme égal aux dieux.

Thèbes, dans un éland'enthousiasme, lui confère le pouvoir suprême et fait de lui l'époux de la veuve royale.

Grandeur éblouissante, maiscombien trompeuse ! Cet homme acclamé, à qui tout semble permettre la confiance en l'avenir, porte à son insu lasouillure d'un double crime : meurtrier de son père, il cohabite avec sa propre mère.

De cette union incestueusevont naître plusieurs enfants, héritiers prédestinés de la malédiction qui pèse sur la ra ~;e de Laïos.

Vient le jour oùtout ce qui était ignoré est soudainement révélé.

Et ce même homme, qu'on a vu au comble de la puissance et deshonneurs, le voici écrasé sous le poids de la honte, rejeté de la cité comme un objet d'horreur, en proie à la folie dudésespoir.

L'exécration universelle s'abat sur lui comme un coup de foudre.

Ainsi frappé, il ne peut survivre que pourconnaître le dernier degré de la misère.

Si le spectacle des grandes catastrophes est particulièrement propre à latragédie, il n'en est guère qui le soit plus que celui-là. Seulement, lorsqu'il s'agit de l'adapter au théâtre, une difficulté naît des données elles-mêmes, surtout si la coutumeoblige l'auteur dramatique à resserrer l'action dans une étroite limite de temps.

Elle résulte du nombre d'annéesnécessaire à l'accomplissement des événements.

Comment, en effet, représenter dans une même pièce la victoired'Oedipe sur le Sphinx et sa chute, sans supprimer quelques éléments essentiels de la légende, notamment le rôlequ'elle attribue à ses fils, et sans faire une trop forte violence à la vraisemblance ? Et pourtant,, si le premier de cesdeux événements n'est plus qu'un lointain souvenir, s'il est simplement rappelé, il est clair que le contraste entre lesdeux situations perd une partie de sa force.

Un seul moyen de remédier à cet inconvénient paraît efficace.

C'est deréléguer dans le passé l'avènement d'Oedipe et, pour y suppléer, d'imaginer au début une situation qui nous montreen lui l'homme sur lequel la cité est habituée à compter pour son salut, celui à qui elle recourt lorsqu'elle désespère.En d'autres termes, il s'agit de renouveler en quelque sorte son triomphe déjà ancien en créant une situation qui luiimpose la nécessité d'en remporter un second, analogue au premier, et de faire preuve, une fois de plus, de la mêmefaculté de divination.

C'est ainsi que Sophocle a compris ce qu'il avait à faire et c'est ce qu'il a fait admirablement. Mais outre cet intérêt humain la légende d'Oedipe avait, pour un public grec, un puissant intérêt religieux.

Un poète,interprète des idées de son temps, ne pouvait le négliger.

Eschyle, à coup sûr, en avait senti toute la valeur et nouspouvons être certains qu'il l'avait mise en pleine lumière dans son Oedipe.

Il était impossible que Sophocle agîtdifféremment.

Devait-il donc se placer exactement au même point de vue que son prédécesseur ? Toute la questionétait là. Du fait que l'Oedipe d'Eschyle faisait partie d'une trilogie, nous pouvons conclure avec certitude que cette pièceétait subordonnée à l'idée qui dominait l'ensemble de cette grande composition.

Cette idée fondamentale, c'était. »

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