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ASSOMMONS LES PAUVRES ! BAUDELAIRE

Publié le 27/09/2010

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baudelaire

 

Or, sa voix me chuchotait ceci: "Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir." Immédiatement, je sautai sur mon mendiant. D'un seul coup de poing, je lui bouchai un oeil, qui devint, en une seconde, gros comme une balle. Je cassai un de mes ongles à lui briser deux dents, et comme je ne me sentais pas assez fort, étant né délicat et m'étant peu exercé à la boxe, pour assommer rapidement ce vieillard, je le saisis d'une main par le collet de son habit, de l'autre, je l'empoignai à la gorge, et je me mis à lui secouer vigoureusement la tête contre un mur. Je dois avouer que j'avais préalablement inspecté les environs d'un coup d'oeil, et que j'avais vérifié que dans cette banlieue déserte je me trouvais, pour un assez long temps, hors de la portée de tout agent de police. Ayant ensuite, par un coup de pied lancé dans le dos, assez énergique pour briser les omoplates, terrassé ce sexagénaire affaibli, je me saisis d'une grosse branche d'arbre qui traînait à terre, et je le battis avec l'énergie obstinée des cuisiniers qui veulent attendrir un beefteack. Tout à coup, - ô miracle! ô jouissance du philosophe qui vérifie l'excellence de sa théorie! - je vis cette antique carcasse se retourner, se redresser avec une énergie que je n'aurais jamais soupçonnée dans une machine si singulièrement détraquée, et, avec un regard de haine qui me parut de bon augure, le malandrin décrépit se jeta sur moi, me pocha les deux yeux, me cassa quatre dents, et avec la même branche d'arbre me battit dru comme plâtre. - Par mon énergique médication, je lui avais donc rendu l'orgueil et la vie. Alors, je lui fis force signes pour lui faire comprendre que je considérais la discussion comme finie, et me relevant avec la satisfaction d'un sophiste du Portique, je lui dis: "Monsieur, vous êtes mon égal! veuillez me faire l'honneur de partager avec moi ma bourse; et souvenez-vous, si vous êtes réellement philanthrope, qu'il faut appliquer à tous vos confrères, quand ils vous demanderont l'aumône, la théorie que j'ai eu la douleur d'essayer sur votre dos." Il m'a bien juré qu'il avait compris ma théorie, et qu'il obéirait à mes conseils.

 

 

• Le poète ou, du moins, son représentant dans ce poème narratif, ne supporte pas qu'on lui fasse la leçon en lui répétant des idées reçues faussement démocratiques et réellement démagogiques. La thèse, si thèse il y a, du mendiant, est exprimée dans le premier paragraphe. Elle constitue une manière de provocation dans la mesure où elle requiert du poète une réaction morale en le culpabilisant. Elle signifie à peu près ceci : si tu veux être un citoyen égal aux autres, prouve-1e en me donnant l'aumône ; ainsi, tu sauras te libérer de la tyrannie de l'argent. En effet, dans ce texte, Baudelaire se moque de Proudhon, rendu célèbre par sa formule : « La propriété, c'est le vol «.

 

baudelaire

« par Baudelaire, pour « douleur» (l.40), soulignent l'approximation, l'emploi ironiquement abusif d'un termeappartenant au lexique philosophique pour désigner une application « frappante » de la thèse soutenue par le poète.A quoi donc se résument les « conseils » du poète ? Il engage le mendiant à se montrer vraiment digne en prouvantqu'il domine la situation en agissant, et non en se plaignant et en se posant en individu moralement supérieur auxautres.

Véritable dandy, Baudelaire ne supporte pas, en effet, les gémissements. Question 3 : Identifiez les procédés relevant de l'humour. Dans son Anthologie de l'humour noir, André Breton (1896-1966) affirme : «L 'humour, chez Baudelaire, fait partieintégrante de sa conception du dandysme.

On sait que, pour lui, "le mot dandy implique une quintessence decaractère et une intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde".

» [QUINTESSENCE signifie « ce quirésume l'essentiel de quelque chose.] Ici, l'humour résulte de la volonté désintéressée de ne pas se prendre ausérieux et d'exploiter le paradoxe : l'effet de surprise crée de la beauté, pour Baudelaire comme pour le surréalismedont Breton théorise les principes.

En effet, d'ordinaire, il est convenu de faire l'aumône aux pauvres : le poètefrappe de dérision les lamentables formules creuses dont se gorgent les nantis comme le pauvre évoqué dans sontexte.

Il dénonce le conformisme des individus bornés qui font l'opinion.

En ce sens, il fait acte de « dandy » dans lamesure où, tout en refusant de faire la morale, il démonte les mécanismes de la comédie sociale — tout en semoquant de lui-même comme en témoignent ses remarques sur ses propres attitudes.En effet, l'auteur se montre à la fois prudent — « Je dois avouer que j'avais préalablement [...] agent de police »(l.12) — et très « dandy » — « Je cassai un de mes ongles » (l.6), « étant né délicat » (l.8) — même si sescomparaisons ne constituent pas des modèles de délicatesse « l'énergie obstinée des cuisiniers [...] beefsteak »(l.20) et l'image conventionnelle « comme plâtre » (l.31) — parce qu'il veut souligner encore la transformation descorps en matière.L'humour passe, en outre, au travers de l'exagération car la lutte évoque des récits épiques comme l' Iliade, l'Odyssée, la Chanson de Roland, où les combattants se réduisent les uns les autres en bouillie.

Notons toutes leshyperboles : appuyée sur une comparaison, « un oeil, qui devint, en une seconde, gros comme une balle » (l.5); «Je cassai un de mes ongles à lui briser deux dents » (l.6) — notation à laquelle fait écho la réplique du vieillard : «me cassa quatre dents » (l.

30), si bien qu'on se demande comment les deux lutteurs peuvent encore parler.

En fait,ce poème anticipe les bandes dessinées caractérisées par la plasticité des corps qui se déforment puis retrouventavec aisance leur allure initiale.

Exploitant ce système d'échos, le poème constitue une unité refermée sur elle-même : le poète bat le vieillard avec une branche et inversement ; la narration mime le principe de l'échange à tousles sens du terme. L'auteur produit une description fort minutieuse de la lutte, qui précise les endroits du corps atteints — « le colletde son habit » (l.10), « la gorge » (l.11), « la tête » (l.12), « omoplates » (l.

18), « les deux yeux » (l.29) — Ildésigne son « interlocuteur » à l'aide de diverses appella-tions : « vieillard » (l.

9) devrait inspirer l'indignation dulecteur mais, en fait, le texte requiert sa complicité car il vise à châtier l'outrecuidance des donneurs de leçons.Ensuite, le poète file la métaphore avec « carcasse » (l.

25) et « machine » (l.

27), qui donnent l'impression d'unmécanisme enfin mis en marche par le combat.

Le terme péjoratif « malandrin » (l.

28) — autrement dit « voleur » —exprime bien le point de vue du poète sur les donneurs de leçons et les mendiants.

Enfin, l'auteur joue sur les mots,comme en témoignent le passage du figuré au propre déjà signalé plus haut. Travaux d'écriture 1.

«Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, dit Baudelaire, c'est tout le plaisir aristocratique dedéplaire.

» Expliquez la formule de Baudelaire et justifiez votre réponse en une page environ. Dans la réponse qui suit, nous avons surtout illustré notre propos en nous référant au dandysme de Baudelaire, maisil était possible de se référer seulement à l'anticonformisme en général.

En quoi le « mauvais goût » peut-il apparaître comme l'apanage d'une nouvelle aristocratie ? Essentiellement parceque le « goût » renvoie au conformisme de la mode.

Baudelaire se définit comme un dandy, qui se démarque del'opinion.

Facilement provocateur, imprévisible et toujours réservé, le « vrai » dandy se donne ses propres lois etdéfinit donc le cadre d'un nouvel élitisme.Comme le disaient fort bien les moralistes Montaigne et Pascal, les coutumes varient d'un pays à l'autre et ce quiest considéré comme honteux dans l'un peut s'assimiler à une haute distinction dans l'autre.

Et, d'ailleurs, neprétend-on pas que Louis XIV crachait sur le décolleté des femmes qu'il remarquait et qui s'en trouvaient flattées ?Avec l'accession de la bourgeoisie au pouvoir, au cours du XIXe siècle, apparaît le thème de la bêtise, qui, d'aprèsFlaubert et Maupassant, consiste à ne plus savoir penser tout seul mais à répéter des idées reçues.

Ainsi l'opiniondécrète comme relevant du « bon » goût ce qui renvoie à son appréciation en fonction du contexte historique,géographique, culturel, etc.Le dandy vulgaire affiche ses prétentions à l'originalité et tend à prendre le contre-pied systématique du « bon »goût — ce qui lui fait courir le risque de se référer, négativement, à lui, comme le font tour à tour remarquerChateaubriand et Stendhal, qui, séjournant en Italie, y croisent certains Anglais, adeptes du « fashionable »...

Dans. »

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