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COLLETTE: Les vrilles de la vigne

Publié le 22/05/2010

Extrait du document

Toutes trois nous rentrons poudrées, moi, la petite bull et la bergère flamande... Il a neigé dans les plis de nos robes, j'ai des épaulettes blanches, un sucre impalpable fond au creux du mufle camard de Poucette, et la bergère flamande scintille toute, de son museau pointu à sa queue en massue. Nous étions sorties pour contempler la neige, la vraie neige et le vrai froid, raretés parisiennes, occasions, presque introuvables, de fin d'année... Dans mon quartier désert, nous avons couru comme trois folles, et les fortifications hospitalières, les fortifs décriées ont vu, de l'avenue des Ternes au boulevard Malesherbes, notre joie haletante de chiens lâchés. Du haut du talus, nous nous sommes penchées sur le fossé que comblait un crépuscule violâtre fouetté de tourbillons blancs ; nous avons contemplé Levallois noir piqué de feux roses, derrière un voile chenillé de mille et mille mouches blanches, vivantes, froides comme des fleurs effeuillées, fondantes sur les lèvres, sur les yeux, retenues un moment aux cils, au duvet des joues... Nous avons gratté de nos dix pattes une neige intacte, friable, qui fuyait sous notre poids avec un crissement caressant de taffetas. Loin de tous les yeux, nous avons galopé, aboyé, happé la neige au vol, goûté sa suavité de sorbet vanillé et poussiéreux... Assises maintenant devant la grille ardente, nous nous taisons toutes trois. Le souvenir de la nuit, de la neige, du vent déchaîné derrière la porte, fond dans nos veines lentement et nous allons glisser à ce soudain sommeil qui récompense les marches longues...

COLETTE (1873-1954), Les Vrilles de la vigne, 1908.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez, par exemple, tenter de définir ce qui fait le charme de ce court récit, tout en analysant les moyens (vocabulaire, images, sonorités) auxquels l'auteur a recours.

1908 : Colette vient de rompre son union avec Willy, l'époux tyrannique et indélicat, comme le rossignol rompt, un matin, les vrilles de la vigne qui le retiennent prisonnier. Elevée par sa mère, Sido, dans la complicité avec les bêtes et la nature, elle trouve dans l'harmonie avec le monde naturel de quoi guérir les plaies de la séparation et de la solitude. Son lyrisme, s'exprimant librement, célèbre ici un instant privilégié : une promenade dans la neige avec ses chiens, dans un Paris déserté par la tombée du jour. Nous verrons ce qui, dans ce texte, concourt au bonheur des trois, personnages puis comment l'auteur invite tous les sens à jouir d'un spectacle féérique.

« Transition : Ainsi, Colette se trouve placée au coeur d'une intimité animale qui lui fait vivre ce moment exceptionnel avec une sensibilité aiguisée. II.

La féerie d'un spectacle polysensoriel. a) La neige, élément magique.— Mots utilisés par Colette pour désigner la neige et la qualifier : « poudrées », « scintille », « sucre impalpable », «mille et mille mouches blanches » (profusion enchanteresse), « froides comme des fleurs effeuillées » (imagesurréelle).— Les métamorphoses des robes, des silhouettes (les épaulettes) du quartier, de Levallois, des « fortifs ». b) Orienter tous ses sens vers le monde.La vue : tableau composé à la manière des impressionnistes.

Le « crépuscule violâtre » « combl(e) » le fond de latoile sur laquelle Colette pose la couleur par petites touches (« piqué de feux roses », « chenillé », « mille et millemouches blanches », « fleurs effeuillées »).— L'odorat et l'ouïe : « suavité de sorbet vanillé et poussiéreux ».— Le toucher : le contact avec la neige est évoqué très précisément (« au creux du mufle », « vivantes, froidescomme des fleurs effeuillées, fondantes sur les lèvres, sur les yeux, retenues aux cils, au duvet des joues »).Caresse de la neige devenue vivante.— L'ouïe : notation des bruits (aboiements, vent, « crissement caressant du taffetas » — étude des sonorités —,halètement des personnages essoufflés) mais aussi du silence (celui de la nuit, celui de la maison) qui confèrequalité et profondeur de l'émotion.— Étude de quelques métaphores ou comparaisons (poudrées, sucre impalpable, mouches blanches, froides commedes fleurs effeuillées) ainsi que de l'intensité de la dernière phrase du texte dans le but de mettre en évidence latotalisation des sensations.

Pratique de l'élucidation de la sensation et du moi percevant. Conclusion. Dans son Journal à rebours, Colette écrit : « Tous les spectacles suscitent un devoir identique, qui n'est peut-êtrequ'une tentation : écrire, dépeindre.

» Pari tenu dans cet extrait où l'auteur, vivante, sensualiste, réalise par l'emploiimpressionniste des mots, la possession d'un instant qu'elle parvient, par l'écriture, à mettre à l'abri de l'oubli et de lamort.... »

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