Devoir de Philosophie

Faut-il être seul pour être soi-même ?

Publié le 10/02/2005

Extrait du document

La dernière phrase du premier paragraphe le suggère assez nettement : « la chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler ». Cette incitation au conformisme et à la soumission peut sembler difficilement conciliable avec la relativisation radicale du statut des grandeurs d'établissement qu'appelle tout le texte. Tout se passe comme si Pascal amorçait la révolte ou la contestation en en posant les principes, tout en la désamorçant par la condamnation anticipée de toute velléité d'insoumission à l'égard des grandeurs d'établissement. Singulière dialectique, car elle conjugue une éradication décisive du prestige attaché aux grandeurs d'établissement et un conformisme social dont la justification peut sembler énigmatique, d'autant qu'elle est simplement posée dans le texte - sans y être explicitement établie. Dire qu'une attitude est « selon la raison », ou qu'il est injuste de troubler une chose établie du fait qu'elle est établie, ce n'est pas faire une réelle démonstration, mais présupposer des conceptions déterminées. Cette difficulté se retrouve dans la distinction proposée entre les deux types de respect et de considération que requièrent les grandeurs naturelles et les grandeurs d'établissement. Opposées dans leurs essences, celles-ci le sont aussi dans leurs genèses respectives, et cette double opposition fonde, dans l'esprit de Pascal, la hiérarchie qu'il convient d'établir entre deux types de respects : aux unes, les « cérémonies extérieures » ; aux autres l'estime, l'adhésion intérieure que sous-tend la conscience intime de se trouver en présence d'une grandeur authentique. Mais là encore, Pascal semble atténuer ce qu'un tel propos pourrait avoir de subversif ou de dangereux pour les autorités en place (« établies »), en précisant que le « respect d'établissement » doit s'accompagner d'une « reconnaissance intérieure ». La question se pose de savoir ce que peut signifier cette dernière dès lors qu'on a procédé à une certaine désacralisation des autorités en place en leur ôtant le prestige dont elles tendent à s'envelopper. La démystification idéologique des grandeurs d'établissement les dépouille, en fait, des qualités qu'elles prétendent avoir pour développer l'ascendant qui accroît ou renforce leur pouvoir.

La seule façon d'être authentiquement soi-même est de renoncer à tout commerce avec autrui. C'est dans la solitude que je me retrouve moi-même. Mais, je ne peux être moi-même et me connaître sans le concours des autres.  Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même.

« pas à l'égard de tel ou tel, d'un être déterminé, mais à l'égard du public, du « On ».« Dans l'utilisation de transports publics, dans l'emploi de l'information, tout ressemble à l'autre.

Nous nousréjouissons comme on se réjouit, nous voyons, nous lisons et nous jugeons de la littérature et de l'art comme onvoit et juge, plus encore nous nous indignons de ce dont on s'indigne.

»Ce qui est bien sûr remarquable, c'est que ce « On » n'est littéralement personne, il n'est en aucune façon «quelqu'un », et là réside sa puissance.

Il ne s'agit pas de quiconque nous imposant quelque chose, il s'agit de notrepropre alignement sur un mode d'être commun et essentiellement médiocre, dans lequel notre véritable « qui » seperd et se dilue.

« C'est dans cette non-imposition et cette imperceptibilité que le On déploie sa véritable dictature.»Vivre sous le règne du On, c'est d'abord se réfugier dans la médiocrité de l'anonymat, mais c'est par suite, bien plus,se refuser à toute responsabilité :« Comme le On prédonne tout jugement et toute décision, il ôte à chaque fois au Dasein toute la responsabilité.

LeOn ne court pour ainsi dire aucun risque à ce qu'on l'évoque constamment [...] C'était toujours le On et pourtant onpeut dire que « nul » n'était là.

»Ce nivellement, cette médiocrité et cette façon d'éviter toute originalité (« Tout ce qui est original est aussitôtaplati en passant pour du bien connu, tout ce qui a été conquis de haute lutte devient objet d'échange ») serévèlent au mieux dans les bavardages sur la mort.En effet, dans la mort, il en va du tout de mon existence : la mort est ce qui est absolument propre et mien.

Aussil'angoisse devant la mort est-elle en quelque sorte l'angoisse devant la liberté, devant notre être au monde.

Et s' «il est exclu de confondre l'angoisse de la mort avec la peur de décéder », c'est précisément que « l'angoisse de lamort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu, indépassable ».La capacité d'assumer la possibilité de la mort propre, et par suite de se découvrir comme être au monde , commejeté, librement, dans le monde, a donc partie liée avec la capacité du Dasein d'être soi.Or, précisément les bavardages du On à propos de la mort, là encore sombrent dans l'inauthenticité et lerecouvrement.

Il s'agit de camoufler cette mort qui est la mienne en événement, en bien connu.« Si jamais l'équivoque caractérise en propre le bavardage, c'est bien lorsqu'il prend la forme de ce parler sur lamort.

Le mourir, qui est essentiellement et irreprésentablement mien, est perverti en événement publiquementsurvenant.

»Le discours du On transforme la mort en accident : « le On meurt, propage l'opinion que la mort frapperait pour ainsidire le On ».

Là encore il s'agit de se démettre de ses responsabilités et même de soi-même.Ces bavardages interdissent à l'angoisse de la mort de se faire jour : en ce sens, ils privent l'individu de la possibilitéde l'accès à son être propre.

« Dans l'angoisse de la mort, le Dasein est transporté devant lui-même [...] Or le Onprend soin d'inverser cette angoisse en une peur d'un événement qui arrive.

»En faisant miennes ces ratiocinations, sans doute gagnerais-je d'être rassuré, d'être indifférent à ce qui m'est leplus propre, mais au prix de l'aliénation, de la perte de soi.Mais si les analyses d'Heidegger ne se donnaient que comme une dénonciation de la pression des bavardages de lamasse, de la dictature anonyme qui régit les rapports humains et interdit à chacun l'accès à lui-même et au monde,elles perdraient de leur pertinence.Le On n'est pas extérieur au Dasein, à l'individu, il est au contraire l'un de ses modes d'être premier et originaire.

ILn'y a pas à faire le départage entre individus authentiques ou inauthentiques.« Le Dasein est de prime abord Un et le plus souvent il demeure tel.

Lorsque le Dasein découvre et s'approcheproprement du monde, lorsqu'il s'ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde » etcette ouverture du Dasein s'accomplissent toujours en tant qu'évacuation des recouvrements et desobscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le Dasein se verrouille l'accès à lui-même.

»Il n'y a pas d'accès véritable au monde et à soi-même, de façon authentique d'être qui ne se fasse jour à partir dece fond originaire d'inauthenticité.

Le « On » n'est personne, mais il est un mode d'être de chacun.

La dictature du «on » dont parle Heidegger est d'abord la façon commune de se préoccuper d'autrui.

C'est aussi ce que Heideggernomme « déchéance », c'est-à-dire la façon de ne pas être soi.

L'inauthenticité est un accès barré à notre êtrepropre, une aliénation de soi, au profit de l'anonyme. Les us et coutumes m'obligent à porter un masqueEn groupe, il faut toujours plaire, être conforme à une certaine image sociale.

Le jeu social m'empêche d'être moi-même.

Je suis toujours tenu de masquer ce qui fait de moi un individu unique et spécifique.

Que l'on songe parexemple au mimétisme de la mode.

La vie en société me prive de la liberté de dévoiler mes sentiments et mespensées les plus sincères.

Si tous les hommes se disaient toujours la vérité, le monde dégénérerait dans le chaos leplus total. La vie sociale n'est qu'un jeu de rôlesDénonçant la comédie humaine, Pascal distinguera les grandeurs d'établissement et les grandeurs naturelles.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles