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Pourquoi la connaissance du réel n'est-elle jamais immédiate et pleine?

Publié le 28/09/2005

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  La connaissance du réel, à la différence de la connaissance formelle comme en mathématiques, ou de la connaissance esthétique, est une connaissance qui porte sur un objet concret du monde qui nous entoure. C’est donc une croyance vraie, qui correspond à la réalité sur laquelle elle porte. Or nous sommes nous-mêmes réels, plongés dans le monde, et entrons en permanence en contact avec le réel : ne devrait-on pas en avoir une connaissance directe et complète ? Il semble bien que nous ayons une connaissance immédiate du réel, c’est-à-dire qui ne passe par aucune médiation, c’est l’intuition sensible : lorsque je vois et sens la pomme, rien ne semble s’intercaler entre moi et mon objet. Mais celle-ci, ne serait-ce que parce qu’elle nous offre ses objets sous un certain angle, sous une certaine perspective, n’est jamais pleine, c’est-à-dire adéquate à tous les aspects de l’objet connu. Si nous voulons avoir une connaissance pleine de la pomme, il faudra la décomposer chimiquement, l’analyser, etc., bref, passer par toute une série de médiations techniques et intellectuelles. La connaissance qui serait à la fois immédiate et pleine nous semble impossible parce que à la différence du Dieu dont parlent les monothéistes, notre intuition n’est jamais parfaitement adéquate à son objet, note finitude nous empêche d’avoir une connaissance à la fois immédiate et pleine.

  Mais il n’est pas sûr que cette limite soit ainsi attachée à notre condition humaine finie et imparfaite. En effet, si la connaissance ne peut être parfaitement immédiate, c’est aussi parce qu’elle est un processus, et qu’en tant que tel elle suppose toujours une série de médiations. Le langage, les concepts, les démonstrations, etc., sont autant d’outils qu’on emploie pour parvenir à la connaissance d’une chose, et qui demandent qu’on passe par une série d’étapes. Le terme même de méthode désigne étymologiquement la route et évoque un parcours. En outre, le réel n’est peut-être pas quelque chose que l’on peut connaître pleinement, parce que cela est dans sa nature (et non la nôtre). En effet, le réel est par principe concret, c’est-à-dire plus complexe et particulier que les réalités abstraites que nous avons simplifiées. Il recèle un certain nombre d’enchevêtrement de causes qu’il faut débrouiller, et de niveaux que l’on doit explorer. En avoir une connaissance pleine, qui en fasse le tour, est donc peut-être parfaitement impossible, car cela supposerait d’avoir non seulement une connaissance parfaite de tout ce qui concerne un objet réel, mais aussi tous les autres qui sont reliés à lui causalement.

  La question qui se pose ici est donc de savoir si l’impossibilité que nous avons à connaître le réel par simple mise en contact avec lui repose sur notre propre impuissance en tant que sujets connaissants (et ce serait alors une impossibilité de fait) ou si elle repose sur l’essence même de la connaissance et des objets connus (et ce serait alors une impossibilité de droit).

 

« requiert des médiations ? Une connaissance parfaitement pleine de l'ensemble du réel, dans lequel nous sommes pris,est-elle possible ? II./ Toute connaissance, même intuitive, passe par des médiations et ne peut saisir le réel pleinement.

A./ Pourquoi l'intuition sensible est-elle incapable de nous livrer une connaissance de l'objet adéquate ? Spinoza, àla proposition 16 du livre II de l' Ethique , en fournit une explication : « les idées des corps extérieurs que nous avons indiquent plutôt l'état de notre propre corps que la nature des corps extérieurs.

» Si je perçois un corps commedur, ce n'est pas qu'il l'est réellement, mais qu'il l'est plus que mon propre corps.

De la même manière, si je vois lesoleil plus petit qu'il n'est en réalité, c'est parce que ma perception exprime la relation qu'il y a entre mon corps et lesoleil.

Et cette relation est bien réelle, la preuve en est que connaître la véritable taille du soleil ne m'empêche pasde la voir ainsi.

Mais cette relation est partielle parce qu'elle n'est qu'un point de vue sur le soleil.

Les idées quiproviennent de la sensation ne sont pas fausses parce qu'elles serait biaisées : elles sont fausses parce qu'ellessont tronquées, parce qu'elles ne sont pas complètes.

Et cela provient du fait que nous sommes nous-mêmes prisdans le réel et incapable d'avoir sur lui un regard surplombant : nous n'avons qu'une perspective sur lui.B./ Mais le remède est dans le mal : le fait d'être plongé dans le réel, notre condition humaine, n'est pas ce quinous empêche de le connaître, comme pour Descartes, mais au contraire ce qui nous fournit la possibilité de leconnaître.

A la proposition 38 du même livre, Spinoza démontre ainsi que « ce qui est commun à toutes choses et setrouve pareillement dans la partie et dans le tout ne peut être conçu qu'adéquatement.

» S'il existe quelque chosede commun à tous les corps, quand je me perçois moi-même ou que je perçois un autre corps, je perçois cettechose adéquatement.

Il y a ainsi certaines « notions communes », perçues clairement et distinctement par tous leshommes.

Or, d'idées adéquates on ne peut tirer, si l'on suit les règles de déduction, que des idées adéquates.

C'estce que Spinoza nomme dans le scolie 2 de la proposition 40 « Raison et Connaissance du deuxième genre.

» Pouréviter les erreurs provoquées par notre immersion dans le réel, il faut donc passer par une médiation qui est ladéduction à partir de notions communes.

Mais il existe un troisième genre de connaissances, que Spinoza nomme« Science intuitive, » et qui consiste à percevoir immédiatement des rapports entre les choses, par exemple entreles nombres 1et 2 d'une part, 3 et 6 d'autre part.C./ Néanmoins, cette connaissance intuitive, n'est pas une intuition intellectuelle immédiate.

C'est une perceptionde rapports qui découlent d'une connaissance adéquate d'une notion.

On ne peut atteindre cette science intuitiveque par la médiation du deuxième genre de connaissance.

Ainsi, on peut dire que notre condition de sujets pensantsimmergés dans le réel n'est pas responsable du fait que l'on ne puisse connaître à la fois immédiatement etpleinement ce réel.

Au contraire, cela nous apporte les premières notions adéquates nécessaires à touteconnaissance.

Ce sont les modes même du connaître qui empêchent la connaissance d'être immédiate, puisquemême la forme la plus intuitive de connaissance est un effet des médiations qui interviennent dans le processus deconnaissance.

Il semble donc que c'est en droit que nous ne pouvons connaître immédiatement, et non de fait.D./ On peut formuler un autre argument en la faveur de cette thèse.

Le réel, nous l'avons dit, est particulièrementcomplexe.

Comment cela s'exprime-t-il ? Waisman, un philosophe épistémologue du XXe siècle, remarque, dans uneconférence intitulée « la Vérifiabilité », que lorsqu'on cherche à vérifier un énoncé formel en le confrontant à uneexpérience concrète on rencontre un problème : on ne peut faire une description complète de cette expérienceconcrète.

Si je veux décrire ce qu'est ma main, je peux dire que c'est un organe avec cinq doigts, mais je peuxajouter qu'il y a une cinquantaine d'os qui s'articulent autour d'une quinzaine de muscles, je peux ensuite décrire lacomposition moléculaire de ces os et muscles, je peux insister sur le grain de la peau, ses reflets et couleurs, etc.

Ily a essentiellement une « incomplétude de toute description empirique », c'est-à-dire une impossibilité à saisir lamoindre partie du réel dans un nombre fini de mots énonçant un nombre fini de propriétés.

Si l'on peut énumérerl'ensemble fini des propriétés du triangle, cela est impossible pour tout objet non formel mais réel, concret.

Cela aune conséquence directe et évidente : il n'est pas possible de connaître pleinement le réel : seuls certains de sesaspects sont connaissables adéquatement, lorsqu'on peut les abstraire.

Il existe certaines formes de connaissance qui sont à la fois immédiates et pleines, mais on peut douter qu'ellesconcernent le réel.

Ce n'est pas un hasard si chez Spinoza, comme chez Descartes et Husserl, les exemples de cetype de connaissance sont des exemples mathématiques, concernant des objets formels et non des objets réels etconcrets.

Mais on pourrait penser que si cette intuition ne vaut pas pour le réel, cela relève de notre proprefinitude, de l'incapacité de notre esprit à saisir d'un seul coup de nombreuses propriétés.

En réalité, c'est parce quenous sommes nous-mêmes finis, pris dans le réel, que nous avons une possibilité de le connaître intuitivement.Seulement, cette science intuitive demande toujours la médiation de la déduction, l'habitude et l'intimité avec leschoses.

En outre, la complexité du réel elle-même rend impossible toute tentative de saisie pleine.

C'est donc bienen droit qu'il est impossible de connaître pleinement et immédiatement le réel, parce qu'à la fois la connaissance etle réel ne sauraient le permettre.. »

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